« Oui » de Célie Pauthe aux Ateliers Berthier – nous pauvres porcs-épics
Les Ateliers Berthier accueillent les retrouvailles de Célie Pauthe et Claude Duparfait autour d’un auteur qu’ils ont déjà adapté ensemble, il y a douze ans : Thomas Bernhard. Après leur mémorable Des arbres à abattre, roman dont s’était également emparé Krystian Lupa deux ans plus tard, le duo adapte un texte moins connu de l’auteur autrichien, et plus court, dans son titre et son format : Oui. Un titre qui retentit comme une affirmation positive, une promesse, un engagement solennel. Mais gare aux apparences : il s’agit bien d’un texte de Bernhard, qui passe une nouvelle fois au scalpel les relations humaines et en révèle de manière impitoyable les aspects les plus cruels et les plus sombres – d’autant plus sombres qu’il en envisage aussi, pour une fois, certains aspects lumineux.« Les Émigrants » de Krystian Lupa au Théâtre de l’Odéon – interroger les vivants pour faire revivre les morts, du Sebald dans le texte, du Lupa dans le texte
Les Émigrants marque le grand retour de Krystian Lupa en France, depuis Le Procès, en 2018. Entre temps, l’artiste polonais a pourtant créé plusieurs spectacles : Capri, île des fugitifs d’après Kaputt et La Peau de Malaparte (2019), Austerlitz d’après Sebald (2020) et Imagine (2022), spectacle dont le texte a paru chez Deuxième Époque. Ces retrouvailles étaient d’autant plus attendues que retardées l’été dernier par une polémique déclenchée lors de la création du spectacle par les techniciens et techniciennes de la Comédie de Genève, qui ont dénoncé des conditions de travail insoutenables. Cette annulation avait entraîné celle du Festival d’Avignon, quelques semaines plus tard. Stéphane Braunschweig, directeur du Théâtre de l’Odéon, a fait le choix de maintenir le spectacle prévu dans sa programmation et a créé les conditions rendant possible la création, sept mois plus tard. Malgré les débats qu’a engendrés cette affaire, sur la réputation colérique, voire tyrannique du metteur en scène, qui appartient comme d’autres à une génération qui se distingue de celles qui suivent par sa capacité à centraliser l’énergie créatrice, le public est largement présent au rendez-vous de ce nouveau spectacle, au début comme au terme des quatre heures quasi et demie. L’épopée de son processus de création mise à part, le résultat est incomparable. Lupa confirme, avec l’adaptation de deux récits de W. G. Sebald, la singularité de son théâtre – de son esthétique, de sa direction d’acteur, de sa façon de restituer une œuvre et de penser la mémoire européenne.« Entre chien et loup » de Christiane Jatahy à la Comédie de Caen – actualisation manichéenne de la parabole de Lars von Trier
La dernière création de Christiane Jatahy, Entre chien et loup, a été programmée pour quelques dates à la Comédie de Caen, dans le cadre du festival « Les Boréales » qui met à l’honneur les liens que la Normandie entretient avec les pays nordiques. La metteuse en scène est d’origine brésilienne, mais elle adapte dans ce spectacle le film du danois Lars von Trier, Dogville. Le projet semble se justifier d’emblée : le film est un huis clos déployé dans un décor minimal, qui évoque un plateau de théâtre par quelques traits dessinés au sol pour distinguer les différents espaces qui composent une ville. Ce rapprochement posé, il ne suffit pas de refaire sur scène ce qui a été fait de manière magistrale à l’écran, il faut qu’une ambition profonde sous-tende le projet d’adaptation. Celle de Jatahy est de lire la parabole de Trier au travers de la situation actuelle du Brésil, et plus largement du contexte ambiant de la montée du fascisme dans le monde. Le risque d’aplatir un récit allégorique particulièrement puissant en l’appliquant à une situation précise apparaît d’emblée. Il n’est pas contré par une acuité du propos de la metteuse en scène sur le temps présent, « qui déborde » comme elle le disait elle-même dans une précédente création. Ne reste qu’à observer l’effet produit par l’emploi de la vidéo sur le jeu des acteurs, qu’à sonder le trouble produit par la coprésence des corps et de leur image filmée.« Les Démons » de Guy Cassiers à la Comédie-Française – ombres falotes de démons
Quoique grand adaptateur de romans à la scène, Guy Cassiers ne s’était jamais intéressé à Dostoïevski jusqu’ici. Il faisait exception parmi ses contemporains, et plus largement au sein de la longue et riche histoire des relations que la scène entretient avec les romans de Dostoïevski. En 1999, Cassiers avait adapté Anna Karénine de Tolstoï – comme Fernand Gémier, Georges Pittoëf ou Jean-Louis Barrault, qui avaient aussi préféré un russe au détriment de l’autre. Cassiers a néanmoins été amené à choisir un roman de Dostoïevski, pour fêter avec la Comédie-Française le bicentenaire de la naissance de l’auteur. Comme Ivo van Hove, Julie Deliquet ou Christophe Honoré récemment, le metteur en scène flamand en effet été invité à diriger la troupe. Le spectacle apparaît le fruit d’un concours de circonstances, voire d’une commande, plutôt qu’un véritable projet né du fin fond des entrailles de l’artiste. Cela explique peut-être pourquoi Cassiers, qui propose d’ordinaire un théâtre profondément littéraire et dramaturgique, manque complètement son coup avec cette adaptation.« Bajazet, en considérant le Théâtre et la peste » de Castorf à la MC93 – parcelles brillantes d’humanité au coeur du chaos
Alors que le corpus qu’il avait constitué au fil des ans le tenait à distance de la littérature française, l’Allemand Frank Castorf s’intéresse à Racine en cette fin d’année, après le Don Juan de Molière en 2018. Parmi ses pièces, il choisit Bazajet, tragédie de l’amour et du pouvoir, mais surtout tragédie de l’Orient, du sérail, des sultans et des esclaves. Contrairement à ses habitudes, Castorf précise néanmoins le titre de son spectacle : Bazajet, en considérant le Théâtre et la peste. Il annonce ainsi d’emblée lire Racine à la lumière d’Artaud – ou l’inverse. L’indication annonce également de manière plus implicite que le metteur en scène fait preuve dans ce spectacle d’une conscience aigüe de son art, qui le rend pleinement maître de ses moyens.« Joueurs » de Julien Gosselin aux Ateliers Berthier – Réflexions sur le live cinéma
Après Michel Houellebecq et Roberto Bolaño, le jeune metteur en scène Julien Gosselin s’est tourné vers l’écrivain américain Don DeLillo pour poursuivre ses recherches théâtrales dans le champ du romanesque. Pour l’édition 2018 du Festival d’Avignon, il n’a retenu non pas une mais trois de ses œuvres : Joueurs, Mao II et Les Noms. En tournée à l’Odéon, dans le cadre du Festival d’Automne, le spectacle-fleuve de 10 heures est décomposé en trois spectacles indépendants les soirs de semaine.« Grensgeval (Borderline) » de Guy Cassiers et Maud Le Pladec au Parc des expositions d’Avignon – une question de regard sur les réfugiés
Grensgeval (Borderline) réunit autour des danseurs du Conservatoire royal d’Anvers et de quatre comédiens deux artistes : Guy Cassiers d’une part, metteur en scène flamand qui vient des arts plastiques et dont l’art se distingue par l’emploi de la vidéo sur scène, et Maud Le Pladec, de l’autre, chorégraphe française.…
« Les Frères Karamazov » d’après Dostoïevski à la Friche Babcock – dynamitage signé Castorf
Après Bellorini cet été à Avignon, c’est au tour de l’Allemand Frank Castorf de présenter son adaptation des Frères Karamazov, créée en 2015. Le metteur en scène, venu en France il y a quatre ans pour la dernière fois avec sa Dame aux camélias, a cette fois été invité dans le cadre du Festival d’Automne.…
« Le Mariage de Maria Braun » d’après Fassbinder au Théâtre de la Ville
En 2007, Thomas Ostermeier adapte le film de Rainer Werner Fassbinder Le Mariage de Maria Braun à la scène. L’an dernier, il reprend cette création et la présente notamment dans le cadre du Festival d’Avignon, et ce même spectacle continue sa tournée jusqu’au Théâtre de la Ville où il est présenté en cette fin de saison.…