Catégorie : Lectures

« Don Quichotte » de Cervantès – d’une satire des romans de chevalerie à une démonstration en acte des pouvoirs de la littérature

Un demi-siècle après Rabelais, Cervantès écrit avec Don Quichotte l’un des premiers romans modernes de la littérature européenne. L’œuvre peut être considérée comme le roman des romans, tant elle contient d’œuvres à venir. Dix ans s’écoulent, entre l’écriture de la première partie, en 1605, et celle de la seconde. Plus encore que cette durée, c’est l’intégration de la réception de la première partie à la narration de la deuxième qui donne l’impression d’avoir presque affaire à deux œuvres distinctes. Leur dissociation repose également sur le fait que la première est la plus connue, alors qu’elle est pourtant la plus disparate, la plus étonnante dans sa structure – ou son absence de structure –, ce que met en évidence la deuxième par contraste. Il faut relire l’ensemble de manière cursive pour s’en rendre compte et rencontrer enfin cette œuvre dont on parle souvent sans l’avoir lue, pour paraphraser Pierre Bayard, qu’on connaît de réputation ou par ses extraits les plus célèbres, et appréhender ainsi sa composition déroutante, son mouvement inlassable, sa complexité, et tout ce qu’elle contient de littérature en puissance.
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« Don Quichotte » de Cervantès [extrait] – blâme et éloge des romans de chevalerie

Le chanoine écouta avec attention le curé, qui leur parla du caractère, de la vie, des habitudes et de la folie de don Quichotte, et leur exposa brièvement l'origine de ses extravagances et la suite de l’histoire, jusqu'au moment où on l'avait enfermé dans cette cage pour le ramener dans son village, avec l'espoir de le guérir de sa folie.
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Aliocha Karamazov, homme positivement beau et ami de l’humanité

Avant toute chose, je déclarerai que ce jeune homme, Aliocha, était tout sauf un fanatique, et, à mon avis, même, pas du tout un mystique. J'exprimerai à l'avance mon opinion la plus tranchée : c'était tout simplement un précoce ami de l'humanité, et, s'il s'était lancé sur la voie monastique, c'était pour cette raison unique qu'à ce moment-là c'était la seule qui l'eût frappé et lui eût présenté, pour ainsi dire, l'idéal pour le salut d'une âme qui aspirait, hors de la haine d'ici-bas, à se jeter vers la lumière de l'amour. Et si elle l'avait frappé, cette voie, c'était seulement pour cette raison que c'était là qu'il avait alors rencontré un être qu'il jugeait extraordinaire – notre célèbre starets du monastère, Zossima, auquel il s'était attaché par le premier et brûlant amour de son cœur insatiable.
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Présentation d’« Oncle Vania » de Tchekhov dans la perspective de la mise en scène de Gilles Bouillon

Les dernières pièces de Tchekhov sont les plus célèbres. La Mouette est créé en 1895, Oncle Vania en 1897, Les Trois Sœurs en 1901 et enfin La Cerisaie en 1904, quelques mois avant sa mort. En 1895, il travaille donc à La Mouette et place quantité d’espoirs dans cette pièce. Cependant, elle ne rencontre pas le succès escompté. La création est même un échec retentissant, qui fait prendre à Tchekhov la décision de s’éloigner du théâtre. Amer, il confie dans sa correspondance regretter d’avoir « gâché » plusieurs sujets en en faisant des pièces de théâtre, et non des récits.
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« Les Émigrants » de W. G. Sebald [extrait] – chef d’œuvre inconnu

Entre-t-on dans l'atelier, il faut un certain temps pour s'habituer à l'étrange lumière ambiante, et une fois que l'on commence à voir, il vous semble, dans cet espace de peut-être douze mètres sur douze que le regard ne saurait saisir en entier, que tout converge lentement et inexorablement vers le centre. L’obscurité accumulée dans les angles, le crépi à la chaux boursouflé, salpêtré, et la peinture qui s’écaille sur les murs, les étagères croulant sous le poids des livres et des piles de journaux, les caisses, établis et dessertes, les fauteuils à oreilles, le réchaud à gaz, les matelas à terre, les monceaux de papier, de vaisselle et de matériaux entassés pêle-mêle, les pots de peinture rouge carmin, vert vif et blanc de zinc luisant dans la pénombre, les flammes bleues des deux poêles à paraffine : le mobilier tout entier avance millimètre par millimètre vers le point central où Ferber, dans la lumière grise tombant de la haute fenêtre nord recouverte de la poussière de plusieurs décennies, a installé son chevalet.
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« L’Enfant brûlé » de Stig Dagerman – passions du deuil

L’Enfant brûlé est l’un des quatre romans de l’auteur suédois Stig Dagerman, dont l’œuvre la plus connue est un essai sur le suicide qui précède de deux ans celui de l’auteur à 31 ans : « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». L’Enfant brûlé peut se lire comme une illustration de ce titre poignant, en ce qu’il relate le difficile travail de deuil d’un jeune homme après le décès de sa mère, et les relations conflictuelles que cette situation engendre avec son père, avec sa fiancée, et avec la nouvelle amante de son père. Son besoin de consolation incommensurable, Bengt l’assouvit par la haine, la sournoiserie, la passion et la pensée du suicide. Tout au long d’une année, sont ainsi disséquées les étapes du deuil d’un jeune garçon en pleine formation morale et émotionnelle.
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« Dans les dernières années du monde » de Jean Delabroy [extrait] – fuite d’une star dans les rues de New-York

Il s'est échappé par une porte de service, il n'avait rien prémédité, mais probablement son esprit en avant de lui-même s'organisait pendant tous ces mois, parce que, lorsque le jour est venu, tout a semblé prévu, quoi faire, par où passer, où s'enfuir, et c'est pourquoi tout s'était passé dans une sorte de détachement, il n'avait qu'à laisser faire apparemment des puissances à sa place qui avaient examiné les difficultés et décidé des solutions,
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« Les Armoires vides » d’Annie Ernaux – dernier jour d’une condamnée

Le premier roman d’Annie Ernaux, Les Armoires vides, contient en puissance plusieurs de ses œuvres à venir. Dans ce texte d’inspiration autobiographique, l’autrice relate son enfance et son parcours de transfuge, du café-épicerie de ses parents à l’université, au travers du personnage de Denise Lesur. Quoiqu’elle révèle en creux la genèse d’une autrice, l’œuvre ne livre pas le récit victorieux d’une ascension sociale permise par l’école. La trajectoire de la jeune femme est retracée dans un moment de crise, qui la condamne selon elle à la fatalité de son milieu d’origine.
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« Le Nom secret des choses » de Blandine Rinkel [extrait] – sur la plage abandonnée

J'aurais dû dire que je ne savais pas, mais je n'ai rien dit. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? », cela faisait bientôt six mois que j'étais à nouveau seule dans les cafés et que, régulièrement, on me posait la question. Sans m'en rendre compte, manifestement, je fixais les gens. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? », c'était la voix d'une femme aux cheveux longs et lisses, noirs, quoique parsemés de quelques fils blancs, une femme que je ne connaissais pas et, c'est vrai, pourquoi la regardais-je comme ça ? J'aurais dû inventer quelque chose, un prétexte, sans doute, mais je n'ai rien dit. Je n'ai rien dit et j'ai pensé : écoute, sans doute parce qu'il n'y a qu'un café ouvert jusqu'à 21 heures à Saint-Jean-des-Oies, 496 habitants à l'année, ce qui ne fait pas grand monde à regarder, un café seulement et en son sein deux serveuses qui sont sœurs, jumelles pour le moins désagréables qui, si vous avez le malheur de demander à manger à 14 heures, vous rétorquent vivement un « Il est un peu tard pour ça, vous ne croyez pas ?".
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« Mausolée » de Louise Chennevière [extrait] – tombeau de mots pour l’amour

Mausolée. Tu as ramassé sur le sol les feuilles par nos corps éparpillées. Je t'ai regardé faire en tirant lentement sur cette cigarette que tu venais de rouler, tes cigarettes épaisses, sans filtre, qui m'avaient toujours un peu brûlé, la gorge, les yeux, mais que j'aimais tant fumer, juste après. Je t'ai regardé les reposer soigneusement sur le bureau, une à une, dans l'ordre, hypnotisée par cette vision. Fascinée et inquiète, d'être soudain, démasquée.
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