Catégorie : Spectacles

« Finir en beauté » de Mohamed El Khatib à la Manufacture – faut-il toujours écouter sa sœur ?

Dix ans plus tard, et tandis qu’il présente La Vie secrète des vieux dans le In, Mohamed El Khatib reprend pour quelques dates l’un de ses premiers spectacles, celui qui l’a fait connaître et l’a propulsé dans le cœur battant de l’institution théâtrale : Finir en beauté. Il se retrouve ainsi dans le même lieu que pour sa première fois dans le Off, la Manufacture, face à un public nombreux, dont la majorité aborde sans doute l’occasion comme une séance de rattrapage, pour comprendre d’où tout est parti. Le spectacle révèle en effet les germes dramaturgiques et esthétiques de la démarche de l’artiste, et soulève la question suivante, en regard des créations qui ont suivi : faut-il toujours écouter sa sœur ?
Lire la suite

« Història d’un senglar (o alguna cosa de Ricard) » de Gabriel Calderón au Théâtre Benoît-XII – acteur recherche rageusement spectateur intelligent

L’auteur uruguayen Gabriel Calderón est pour la première fois invité au Festival d’Avignon, et son travail ainsi soumis à l’appréciation d’un vaste public. Ce n’est pas pour autant sa première fois en France, car en 2013, il créait une trilogie au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Quoique Jean-Pierre Han lui ait à cette occasion consacré tout un numéro de sa revue Frictions, dans lequel il prédisait alors la rencontre avec un auteur et un metteur en scène puissant, l’événement ne suffisait pas à faire découvrir un artiste plusieurs fois récompensé dans son pays et largement reconnu en Amérique latine, et à l’inscrire durablement dans le paysage théâtral français ouvert à l’étranger. Cette rencontre retardée arrive enfin, grâce à un seul en scène porté par l’acteur catalan Joan Carreras qui interprète un monologue imprégné par le Richard III de Shakespeare dans Història d’un senglar, œuvre exemplaire du caractère brillant de la dramaturgie de Gabriel Calderón.
Lire la suite

« Les Raisins de la colère » d’Hugo Roux au Théâtre 11 – road show théâtral dans l’Amérique en crise des années 1930

Deux ans après Leurs enfants après eux, le public avignonnais a à nouveau rendez-vous au Théâtre 11 à 22h15 avec Hugo Roux, qui, après le roman de Nicolas Mathieu, propose cette fois l’adaptation d’un roman de Steinbeck. Après La Place d’Annie Ernaux, le metteur en scène s’attaque cette fois à une œuvre un peu plus datée qui appartient au panthéon de la littérature mondiale : Les Raisins de la colère. Par ses choix, il met au jour des thèmes communs entre les romans qu’il adapte, et manifeste face à eux une même ambition narrative, portée par une troupe nombreuse et un art de la mise en scène qui sert de support à l’imagination et permet de suivre le périple de la famille Joad, de l’Oklahoma à la Californie.
Lire la suite

« Quichotte » de Gwenaël Morin dans le Jardin de la rue de Mons – de l’importance de croire

Depuis Le Songe l’an dernier, rendez-vous est pris dans le Jardin de la rue de Mons avec Gwenaël Morin, invité pendant quatre ans à créer un spectacle en rapport avec la langue du Festival d’Avignon invitée. Cette année, le metteur en scène choisit un monument, si ce n’est le monument de la littérature de langue espagnole : Don Quichotte de Cervantès. Une de ces œuvres que tout le monde connaît sans même l’avoir lue, dont les personnages sont familiers, dont certaines scènes sont inlassablement reprises, mais que finalement très peu de monde a effectivement lue in extenso. Le projet de Morin promet ainsi la rencontre, ou au moins une rencontre avec cette œuvre. Pour s’en emparer, le metteur en scène réunit une équipe qui n’est pas historiquement la sienne, celle du Théâtre Permanent, comme l’an dernier. Il prend le parti de la célébrité et engage une tête d’affiche : Jeanne Balibar. Et une autre tête d’affiche, plus discrète mais tout aussi grande pour les gens de théâtre : Marie-Noëlle (ex Yves-Noël Genod). À leurs côtés, Thierry Dupont et Léo Martin, en alternance avec lui-même. Ils sont donc quatre pour ce roman de quelques mille pages qui fourmille de personnages, et cette disproportion paraît caractéristique de Morin. Cette œuvre, en ce lieu, avec ces artistes, retentissaient comme une promesse. Une promesse hélas non tenue, mal tenue, qui révèle l’importance de croire.
Lire la suite

« Les Paravents » de Genet, mis en scène par Arthur Nauzyciel – monument aux morts, à l’adresse des vivants

À l’invitation du directeur du Théâtre de l’Odéon et de son programmateur, Arthur Nauzyciel a choisi de mettre en scène Les Paravents de Jean Genet – auteur dont il avait monté Splendid’s en 2015. Le spectacle a été créé en septembre dernier au Théâtre National de Bretagne que Nauzyciel dirige, et le voilà qui clôt la saison du Théâtre de l’Odéon. Entre temps, ces Paravents n’ont pas tourné, ce qui s’explique sans doute par l’ampleur de ce spectacle, sa scénographie monumentale, sa vaste distribution de seize personnes et sa durée de quatre heures. Il n’en faut pourtant pas moins pour représenter cette pièce-monstre de Genet, pièce qui paraît parfois si abstraite et injouable à la lecture. Après Roger Blin en 1966 et Patrice Chéreau en 1983, il était temps qu’un grand metteur en scène de notre époque s’attaque à cette œuvre et y donne accès aux nouvelles générations afin d’en faire percevoir tout à la fois la folie, l’exubérance provoquante et la puissance théâtrale extraordinaire. Nauzyciel pose ainsi un nouveau jalon dans l’histoire des mises en scène de cette pièce et relance avec elle la réflexion sur sons sens et les partis pris auxquels elle oblige.
Lire la suite

« L’Atelier du spectateur », mis en scène par Anne-Françoise Benhamou, en salle Simone Weil – la classe bien vivante

Le public, nombreux comme à son habitude pour ce rendez-vous attendu avec toujours beaucoup d’impatience, se presse dans la salle Simone Weil une fois la porte ouverte et s’installe à la place qui lui revient. Ou plutôt, installe la salle, car il n’est pas question ici de s’en tenir à un dispositif frontal : les tables sont déplacées, traînées à même le sol dans un bruit rauque ou soulevées, seul ou à deux, tandis que les chaises volent au-dessus d’elles – on croirait assister à un spectacle de François Tanguy, pendant quelques instants ! Le brouhaha et l’agitation prennent cependant progressivement forme et laissent apparaître une reconfiguration en quadrifrontal, parfois semée d’îlots pour les retardataires les jours de grande affluence, retardataires contraints de se retrouver non pas dans les derniers rangs des gradins ou sur les côtés mais au milieu de l’arène, du terrain d’échange délimité.
Lire la suite

« Oui » de Célie Pauthe aux Ateliers Berthier – nous pauvres porcs-épics

Les Ateliers Berthier accueillent les retrouvailles de Célie Pauthe et Claude Duparfait autour d’un auteur qu’ils ont déjà adapté ensemble, il y a douze ans : Thomas Bernhard. Après leur mémorable Des arbres à abattre, roman dont s’était également emparé Krystian Lupa deux ans plus tard, le duo adapte un texte moins connu de l’auteur autrichien, et plus court, dans son titre et son format : Oui. Un titre qui retentit comme une affirmation positive, une promesse, un engagement solennel. Mais gare aux apparences : il s’agit bien d’un texte de Bernhard, qui passe une nouvelle fois au scalpel les relations humaines et en révèle de manière impitoyable les aspects les plus cruels et les plus sombres – d’autant plus sombres qu’il en envisage aussi, pour une fois, certains aspects lumineux.
Lire la suite

« Koulounisation » de Salim Djaferi au Théâtre de la Bastille – leçon de linguistique au service de l’histoire

Le Théâtre de la Bastille reprend ce printemps un spectacle créé à Bruxelles en 2021, qui a déjà beaucoup tourné en France – au Wet°, dans le Off et dans le cadre du Festival Impatience en 2022, puis à Montreuil, à Châtillon ou à Saint-Ouen. La bonne réputation que Koulounisation a acquise dès ses débuts et le fait que la problématique abordée – la guerre d’Algérie, et plus largement la colonisation – résonne depuis plusieurs endroits de notre actualité saturée expliquent sans doute que les responsables des lieux théâtraux parient sur le fait que leur salle sera pleine. Théâtralement, le spectacle ne repose pas pour autant uniquement sur la performance de Salim Djaferi. D’une simplicité presque provocante au départ, le seul en scène se densifie à tous les niveaux – dramaturgique, scénique, actoral – à mesure qu’il progresse.
Lire la suite

« Les Garçons qui croient sont très seuls, les autres Garçons sont perdus » du Groupe T à la Commune d’Aubervilliers – théâtre alternative, théâtre réparation

Le Théâtre de la Commune orchestre nos retrouvailles avec le Groupe T, après Les Toits bossus en 2021, et Together !, créé un an plus tôt et repris en 2022, en accueillant leur dernière création : Les Garçons qui croient sont très seuls, les autres Garçons sont perdus. Un sentiment de familiarité saisit dès l’arrivée au théâtre, au moment de se constituer en public avec des personnes qu’on devine proches et des artistes amis, et en découvrant la scène, occupée par une pente de bois placée devant un tissu peint qui représente avec des traits d’enfants un paysage naturel. Les conditions sont d’emblée réunies pour une de ces expériences singulières et touchantes dont le Groupe T a le secret, qui, grâce à une écriture hautement poétique ouvre la sensibilité et invite à la réflexion sur les capacités du théâtre à proposer des alternatives au réel et à dégager des espaces de réparation.
Lire la suite

« La Septième » de Marie-Christine Soma au T2G – odyssée philosophique d’un Ulysse immortel

Au T2G, est repris pour quelques dates un spectacle créé en novembre 2020 mais empêché par le covid, qui n’a commencé pour de bon sa tournée qu’en 2022. La Septième, de Marie-Christine Soma, est l’adaptation du dernier roman du même titre d’un recueil intitulé 7, écrit par le philosophe Tristan Garcia. Le destin du spectacle, qui a survécu à la pandémie et continue d’être programmé malgré les lois du marché du spectacle vivant qui réclament la nouveauté, imite en quelques sortes celui du personnage du roman : « la septième » désigne la dernière vie d’un être qui, réactivant la croyance selon laquelle les chats auraient plusieurs vies, ressuscite plusieurs fois. Ce récit des différentes existences d’un homme immortel est porté pendant deux heures vingt de spectacle par Pierre-François Garel qui, seul sur scène, parvient à embarquer dans une aventure philosophique.
Lire la suite