Catégorie : Spectacles

« Grand-peur et misère du IIIe Reich » de Julie Duclos au Théâtre de l’Odéon – exercices d’analyse critique

La dernière création de Julie Duclos, Grand-peur et misère du IIIe Reich, en tournée depuis septembre, arrive à l’Odéon en ce début d’année. La metteuse en scène qui a commencé avec des matériaux non destinés au théâtre – Fragments d’un discours amoureux de Barthes et La Maman et la Putain d’Eustache dans Nos Serments –, s’est ensuite mesurée à des œuvres du répertoire : Juste la fin du monde de Lagarce, Kliniken de Lars Norén, et désormais un texte de Brecht. Cette œuvre a la particularité d’être composée de scènes indépendantes les unes des autres, liées entre elles par le contexte dans lequel elles s’inscrivent, l’Allemagne, entre 1933 et 1938. La metteuse en scène ne monte qu’une partie de ces scènes, mais c’est suffisant pour raconter comment un climat de terreur s’est insinué dans les moindres relations humaines et sociales après l’accession d’Hitler au pouvoir, et plus encore pour démontrer la nécessité d’opposer au fascisme une pensée complexe et nuancée.
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« Le Baiser comme première chute » d’Anne Barbot au Théâtre de Châtillon – spectacle des ravages de l’alcoolisme

Alors que tourne en ce moment La Terre, sa dernière création, Anne Barbot reprend de manière concomitante son avant-dernier spectacle, Le Baiser comme première chute, autre adaptation d’un autre roman de Zola, L’Assommoir. Le titre, inspiré par une phrase issue du chapitre V, indique une lecture de l’œuvre, une manière de s’emparer d’elle par un endroit bien précis. En réalité non pas tant le motif du baiser comme chute, qui peut servir à retracer plusieurs moments importants de la trajectoire de Gervaise, que la seule relation de Gervaise et Coupeau. Le couple est soutenu par la présence en mineur de Nana, et ils ne sont ainsi que trois sur scène, non pas pour rendre compte du roman mais pour développer sur scène l’un de ses motifs les plus marquants : celui de la chute dans l’alcoolisme.
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« Les Fausse Confidences », mis en scène par Alain Françon au Théâtre Nanterre-Amandiers – Marivaux classical rock

Trois ans après La Seconde Surprise de l’amour, et quarante-deux ans après La Double inconstance à ses débuts, Alain Françon revient à Marivaux pour Les Fausses Confidences, programmé pour une vingtaine de dates au Théâtre Nanterre-Amandiers en cette fin d’année. Ce spectacle confirme la permanence du geste artistique de ce metteur en scène de près de 80 ans, qui monte depuis plus de cinquante ans des œuvres du répertoire et qui en offre chaque fois des lectures claires et justes. Cette dernière création offre plus précisément le plaisir d’un texte, d’une direction d’acteur très vivante et de partis pris scéniques qui mettent en lumière l’un et l’autre.
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« … how in salts desert is it possible to blossom… » de Robyn Orlin au Manège de Reims – explosion éclosion de couleurs

Après être passé par des festivals à Marseille, Montpellier et Paris l’an dernier, … how in salts desert is it possible to blossom… de Robyn Orlin est passé par le Manège de Reims pour deux dates. La chorégraphe sud-africaine, qui signe la création dès son titre par sa longueur et ses points de suspension, est régulièrement invitée à créer des spectacles avec des compagnies déjà existantes. Cette fois, elle a travaillé avec le Garage Dance Ensemble, originaire d’Okiep, ville située au nord-ouest de l’Afrique du Sud, à la frontière de la Namibie, qui, quoique semi-désertique, se couvre de milliers de fleurs sauvages pendant quelques semaines après les pluies d’hiver. Cette singularité climatique a inspiré à Robyn Orlin et les interprètes de la compagnie, accompagnés par les deux musiciens de l’ensemble uKhoiKhoi, un spectacle dansé sur les thèmes de la résilience et de la renaissance.
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« Les Chroniques » d’Éric Charon au TGP – « qui trop embrasse mal étreint »

Au Théâtre Gérard-Philipe est créé un spectacle d’Éric Charon, membre du collectif In Vitro et acteur fidèle de Julie Deliquet qui dirige les lieux. Les Chroniques est l’adaptation non pas d’un mais deux romans de Zola, L’Assommoir et La Bête humaine. Ces œuvres sont liées l’une à l’autre par le personnage de Jacques Lantier, héros de la seconde et fils de Gervaise, héroïne de la première. L’attelage laisse donc présager une reconduction sur scène de la réflexion menée par Zola sur l’hérédité. Ce projet ambitieux a de grandes qualités, mais « qui trop embrasse mal étreint », proverbe qui ne s’applique pas seulement au meurtrier qu’est Jacques Lantier.
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« Aria da capo » de Séverine Chavrier à la Comédie de Reims – « c’est un peu limite »

Aria da capo, spectacle de Séverine Chavrier créé en 2020, est en tournée cette année. Sa longévité interroge car son ambition était de rendre compte de la vie de quatre adolescents destinés à une carrière de musicien professionnel. Entre temps, leur projet s’est affermi et ils sont devenus de jeunes adultes. Le caractère éphémère du projet de départ qu’accuse le passage du temps aurait pu être atténué par le fait qu’importent moins à la metteuse en scène leur parcours, leur formation ou leurs ambitions que leurs préoccupations hors de la musique – les relations sexuelles, pour l’essentiel. Cependant, c’est tout l’inverse. En quatre ans, on prend la mesure des questions que soulèvent leurs propos, et le spectacle apparaît moins comme une ode à la jeunesse, comme on nous le promet, qu’une preuve de l’enracinement de la culture du viol dans notre société.
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« La Mouette » de Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odéon – à l’écoute de la jeunesse, ses inquiétudes, ses ambitions, ses espoirs

Pour sa dernière création en tant que directeur du Théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig a décidé de revenir à La Mouette qu’il a montée pour la première fois il y a plus de vingt ans, lorsqu’il dirigeait le Théâtre National de Strasbourg. Le metteur en scène a voulu revenir à ce texte pour en proposer une lecture imprégnée des questions soulevées par notre présent, qui n’est pas le même qu’il y a vingt ans, démontrant, s’il était encore nécessaire, que les classiques sont même inépuisables à l’échelle de la vie d’un artiste. Malgré le contexte particulier que constitue son départ de l’Odéon, ce spectacle n’a rien de testamentaire. Bien au contraire, Braunschweig agrège à ses fidèles de longue date de nouvelles recrues dont il fait puissamment retentir les voix face à celles de leurs aînés pour souligner la pulsion de vie des personnages qu’elles incarnent, leurs espoirs presque indestructibles dans le monde pourtant apocalyptique qu'ils ont reçu en héritage, monde figuré par une scénographie magnifique.
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« La Vegetariana » de Daria Deflorian aux Ateliers Berthier – récit décentré d’une métamorphose sismique

Depuis des années, Daria Deflorian songe à adapter La Végétarienne, roman de l’autrice coréenne Han Kang. Ce projet, accueilli aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon dans le cadre du Festival d’Automne, a trouvé une forme de validation quelques jours avant la création du spectacle à Bologne avec la remise du Prix Nobel de littérature à Han Kang. Le prestigieux prix entend récompenser « sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine ». Cette courte caractérisation, qui se veut une synthèse de l’œuvre autant qu’une justification de la récompense même si elle paraît pouvoir s'appliquer à beaucoup d'écrivains, ne laisse pas présager grand-chose avant le spectacle mais trouve un peu de sens à la sortie : la délicatesse de l’art de Deflorian rencontre dans La Vegetariana une écriture qui se dérobe, qui ne semble pas dire l’essentiel, mais qui travaille la sensibilité et y dépose des impressions durables.
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« Cécile » de Marion Duval au Théâtre de la Bastille – dîner en ville… ou mystification sans fin

En juillet 2023, Cécile était programmé à la Chartreuse, à Avignon. Le spectacle avait été créé en 2019 à Lausanne et était passé auparavant par Gennevilliers et Aurillac. Puis il a été invité au WET°, à Tours, avant d’arriver au Festival d’Automne cette année. Sur le papier, le projet ne présente rien de particulièrement spectaculaire ni attirant : on nous raconte qu’il est issu de la rencontre entre une metteuse en scène, Marion Duval, et une femme aux « mille vies », Cécile Laporte, personnalité si singulière qu’elle mérite visiblement qu’on lui consacre trois heures portées par elle seule. La proposition paraît un peu légère, mais la rumeur s’accorde à dire qu’il faut voir le spectacle. Alors direction le Théâtre de la Bastille pour une soirée qui a l’allure d’un dîner en ville. Ou qui est peut-être une immense mystification.
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« Parallax » de Kornél Mondruczó aux Ateliers Berthier – sonde humaine pour abîmes intergénérationnels

Après plusieurs années d’absence, l’artiste hongrois Kornél Mondruczó, également réalisateur pour le cinéma – notamment du très beau Pieces of a woman (2021) – revient sur les scènes françaises avec Parallax, adaptation de son film Évolution (2022) réalisé avec la scénariste Kata Wéber. Le spectacle, créé en mai dernier au Wiener Festwochen, est accueilli par le Théâtre de l’Odéon aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d’Automne. Dans le programme de salle, il est précisé que la compagnie indépendante Proton Theatre n’a reçu aucun soutien financier de la part de la Hongrie pour ce spectacle. Ce choix politique octroie aux artistes la liberté d’aborder deux sujets différemment épineux dans ce pays : la mémoire de la Shoah et l’homosexualité. Ces questions font l’objet d’une réflexion passionnante et émouvante sur la transmission et sur l’identité.
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