Catégorie : Spectacles

« Hedda » d’Aurore Fattier aux Ateliers Berthier – pendant les répétitions

Le Théâtre de l’Odéon offre en cette fin de saison l’occasion de découvrir le travail d’Aurore Fattier – actrice dans Le Firmament de Chloé Dabert en ce moment en tournée – en tant que metteuse en scène. L’artiste française dont les spectacles sont surtout présentés en Belgique est ici programmée avec une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou plutôt, une « variation contemporaine » signée par son dramaturge, Sébastien Monfè, et par Mira Goldwicht. À l’origine de ce projet, il y a sans doute la question : comment monter ce texte classique aujourd’hui ? La réponse est apportée sous forme de mise en abyme : le spectacle donne à voir une metteuse en scène et sa compagnie au travail, à quelques jours de la première. La dramaturgie d’Ibsen se trouve ainsi décalée, décentrée, mais aussi dédoublée. La mise à distance n’est pas des plus fines, mais le dispositif exerce un certain pouvoir de fascination.
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« Némésis » de Tiphaine Raffier aux Ateliers Berthier – l’air vicié de notre temps

Tiphaine Raffier présente aux Ateliers Berthier l’adaptation d’un roman de Philip Roth, Némésis. La metteuse en scène, qui jusqu’ici montait ses propres textes, a cette fois choisi de s’emparer du dernier roman de l’auteur américain Philip Roth, écrit en 2010. Celui-ci n’a a priori rien à voir avec le théâtre, mais il a quelque part beaucoup à voir avec le précédent spectacle de Tiphaine Raffier. Dans le sillage de La Réponse des hommes, la metteuse en scène soulève en effet des questions d’ordre moral sur scène et parvient avec elles à saisir quelque chose d’impalpable qui paraît caractéristique de notre époque, un air du temps dans ce qu’il a de plus volatile.
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« Nul si découvert » de Valérian Guillaume au Théâtre de la Cité internationale – gros plan sur le théâtre des centres commerciaux

Au Théâtre de la Cité internationale, est créé un texte passé par le sas de la Mousson d’été. Après une lecture de Charles Berling en 2020, Nul si découvert, roman publié aux Éditions de l’Olivier cette même année, a entre-temps fait l’objet d’une adaptation par l’auteur, Valérian Guillaume, qui est également metteur en scène de ce spectacle. Si cette œuvre a aussitôt fait l’objet d’une mise en voix et en espace, avant d’arriver pleinement au théâtre, c’est probablement car elle prend la forme d’une longue tirade sans ponctuation – modalité d’écriture qui rappelle celle de Thomas Bernhard, le ressassement et la colère en moins. Pour donner corps à cette langue et à son personnage principal, Valérian Guillaume a choisi un acteur de taille : Olivier Martin-Salvan. Un de ces rares acteurs avec lesquels on veut bien prendre le risque d’un seul en scène, car il ne fait pas du Olivier Martin-Salvan, mais met sa virtuosité au service du texte qu’il porte, donné à entendre avec une précision réjouissante.
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« Un sacre » de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix au TGP – monument au chagrin

Créé en septembre 2021 à la Comédie de Valence, Un sacre termine sa longue tournée au TGP, où le spectacle est déjà passé fin 2022 et où Lorraine de Sagazan est artiste associée. Pour ce spectacle, la metteuse en scène a une nouvelle fois collaboré avec Guillaume Poix, après L’Absence de père et La Vie invisible. Dans le mouvement initié par ce dernier spectacle, inspiré par la rencontre avec des non et malvoyants, le duo s’attèle cette fois à la question de la mort et du deuil dans notre sociét à partir de neuf témoignages choisis parmi près de 300 pendant le premier confinement, réécrits et travaillés au plateau avec les membres de la compagnie. Le résultat est une tentative pour bâtir un monument non pas aux morts, mais au chagrin.
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« Le Massacre du printemps » d’Elsa Granat au Théâtre 13 – thérapie haute tension

Le Théâtre 13 a repris pour une dizaine de dates l’un des premiers spectacles d’Elsa Granat, Le Massacre du printemps, créé au Théâtre-Studio d’Alfortville en 2017 et programmé au Théâtre du Train bleu à Avignon en 2019. Ce spectacle est donc découvert après King Lear Syndrome, que l’on pourrait grossièrement désigner comme une transposition de la pièce de Shakespeare en EHPAD – ce qui ne lui rendrait pas pleinement justice. La pelouse synthétique que l’on retrouve dans les deux spectacles produit un effet de signature évident, tout comme le choix de faire intervenir des acteurs et actrices amateurs aux côtés de professionnels, et de représenter un prisme d’âges étendu (de 27 à 90 ans). Ce que révèle en revanche ce spectacle d’inspiration autobiographique, c’est une écriture intime, dont la portée thérapeutique achève d'être atteinte avec la mise en scène.
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« Des femmes qui nagent » de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez au TGP – traces de films déposées sur la scène

Le TGP accueille pour une dizaine de dates la nouvelle création d’un texte de Pauline Peyrade, résultat d’une commande d’Émilie Capliez qui le met en scène. Des femmes qui nagent manifeste un déplacement profond dans l’écriture de l’autrice. Jusqu’ici, ses textes pour le théâtre prenaient la forme de fictions soigneusement mises en page, pour rendre compte de notre perception éclatée du réel. Des textes qui mettent la scène au défi de restituer les multiples plans et strates de l’écriture. Avec cette œuvre, pour la première fois, Pauline Peyrade écrit explicitement à partir de. En l’occurrence, à partir d’une vaste culture cinématographique, conjuguée au féminin. Son écriture incisive, rythmée, se trouve ainsi arrimée à un vaste matériau qui laboure notre mémoire et fait surgir de multiples images – images sublimées et décuplées par la mise en scène très esthétique d’Émilie Capliez.
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« Un ennemi du peuple » de Thibaut Wenger au Théâtre Châtillon-Clamart – démocratie en panne de dialogue

Au Théâtre Châtillon-Clamart a été créée la dernière mise en scène de Thibaut Wenger, qui après Une maison de poupée en 2016 revient à Ibsen avec Un ennemi du peuple. La pièce a plusieurs fois été montée ces dernières années – par Jean-François Sivadier en 2019 ou Thomas Ostermeier en 2012 –, et l’actualité que lui confère la crise écologique est encore accrue par la crise sanitaire engendrée par le covid. La tentation est grande, à notre époque, de faire du Dr Stockmann, qui découvre que les eaux de la ville thermale où il habite et exerce sont contaminées, une victime de la société qui refuse d’entendre la vérité qu’il brandit au nom d’intérêts publics et privés. De faire grâce à lui le procès des classes dirigeantes et des médias. La pièce d’Ibsen est cependant beaucoup moins manichéenne que cela. Thibaut Wenger le démontre en embrassant pleinement l’ambivalence de son personnage, afin de dire avec lui l’impossible dialogue des instances qui composent notre société et l’impasse dans laquelle se trouve notre démocratie.
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Présentation d’ « Un ennemi du peuple » d’Ibsen dans la perspective de la mise en scène de Thibaut Wenger

Présentation d'Un ennemi du peuple d'Ibsen, dans la perspective de la mise en scène de Thibaut Wenger. Show devant réalisé au Théâtre de Châtillon-Clamart. Un ennemi du peuple, pièce publiée en 1882 et créée l’année suivante à Copenhague, est considérée comme une pièce de la maturité d’Ibsen. L’auteur a en effet déjà fait ses preuves plusieurs fois, notamment avec Peer Gynt (1867) et Une maison de poupée (1879), qui sont probablement ses deux œuvres les plus connues.
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« Nous revivrons » de Nathalie Béasse au Théâtre de la Bastille – impressions d’impressions tchekhoviennes

Nathalie Béasse est de retour au Théâtre de la Bastille, qui accueille fidèlement ses spectacles depuis plusieurs années. Le dernier en date, Nous revivrons, est une commande de la Comédie de Colmar et du Théâtre national de Strasbourg, avec la complicité du programme 1er acte qui soutient la visibilité des jeunes issus de la diversité sur les plateaux de théâtre. Nathalie Béasse a ainsi travaillé pour la première fois avec deux acteurs et une actrice, et a choisi pour point de départ L’Homme des bois, pièce inachevée de Tchekhov qui contient en germe Oncle Vania, mais aussi Les Trois Sœurs et La Cerisaie. Ce texte n’est qu’un point de départ, comme le signale la locution « d’après », car le travail singulier de la metteuse en scène consiste tout à la fois à effacer le texte, dont ne restent que des bribes, et à le rejoindre par des actions performatives. Le résultat prête à la rêverie autant qu’à la réflexion, sur notre état moral et sur le théâtre.
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« Grief and Beauty » de Milo Rau au Théâtre de la Colline – TRIGGER WARNING: LIVE DEATH PROJECTION ON STAGE

Depuis Five Easy Pieces, spectacle dans lequel il revenait sur l’affaire Marc Dutroux avec des enfants sur scène, puis avec Familie, spectacle dans lequel il invitait une famille à reconstituer le suicide collectif d’une autre famille, le metteur en scène suisse Milo Rau emprunte des voies très border. La presse réactionnaire en fait d’ailleurs son miel et crie au scandale à la première occasion, et il faut soigneusement déconstruire puis reconstruire sa démarche pour en justifier la pertinence. Dans les deux spectacles cités, c’était encore possible car le théâtre était utilisé comme un outil d’enquête, pour apprivoiser l’horreur ou pour sonder l’incompréhensible. Mais le deuxième, Familie, était déjà plus difficile à défendre car le jeu tendait à disparaître, et amenait à parler de théâtre pornographique. L’étiquette est encore plus valable pour le deuxième volet de la Trilogie de la vie privée, Grief and Beauty, cette fois indéfendable car le théâtre s’évanouit face au spectacle obscène de la mort.
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