Étiquette : récit

« Le roman théâtral » de Mikhaïl Boulgakov – quand la littérature rencontre le théâtre

Le Roman théâtral est une œuvre inachevée de Boulgakov, non parce qu’il a brûlé la fin du manuscrit – comme Gogol qui a jeté au feu le second volume des Âmes mortes –, non parce qu’il a délaissé le projet à la faveur d’un autre, mais parce que la mort le surprend. Son décès condamne son œuvre à demeurer en chantier, pour toujours, délaissée au milieu d’un chapitre, et presque, d’une phrase. Cet inachèvement désole d’autant plus que ce qui nous reste laisse mal entrevoir ce qui manque. L’œuvre est fuyante, qui parle d’une autre œuvre. Ou plutôt de deux : ce qu’on lit est un cahier de notes, pas vraiment destiné à la publication, écrit par un narrateur qui se découvre un jour auteur, qui publie un texte qu’on lui demande bientôt d’adapter pour le théâtre. Boulgakov écrit donc un roman sur une pièce de théâtre adaptée d’un roman, dont on ne sait rien, ou peu de choses. La substance du récit réside dans cette rencontre de la littérature et du théâtre, dans les étincelles que produit le choc de la découverte de ces deux mondes, confrontation sur laquelle plane la menace d’un échec – dont on ne connaîtra jamais les circonstances.
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« La Trilogie de la vengeance » de Simon Stone – histoires de femmes en trois saisons

Après Les Trois Sœursen 2017, Simon Stone présente à l’Odéon où il est artiste associé son nouveau spectacle, La Trilogie de la vengeance. Auparavant, il avait été invité avec Ibsen huisau Festival d’Avignon. Dans cette œuvre déjà, librement inspirée d’Ibsen, Stone mêlait plusieurs pièces de l’auteur norvégien pour composer une grande fresque familiale sur plusieurs générations, et menait son public de révélation en révélation dans l’unique cadre d’une grande maison aux grandes baies vitrées. Le metteur en scène australien réitère l’expérience d’écriture pour sa Trilogie, annonçant cette fois un spectacle qui se nourrit de pièces de John Ford, Thomas Middleton, Shakespeare et Lope de Vega. Pour mettre en scène ce texte qu’il a composé en trois parties, il distingue trois espaces aux Ateliers Berthier. Mais l’originalité de l’œuvre qu’il a conçue réside surtout dans le fait qu’elle peut être découverte de trois manières différentes, suivant trois parcours désignés par les lettres A, B et C. Stone entraîne ainsi son public dans un labyrinthe sophistiqué qui suscite chez lui un plaisir d’enquêteur.
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« L’Adolescent » de Dostoïevski – Confession aveugle d’un enfant du XIXe siècle

Quelques années avant Les Frères Karamazov, Dostoïevski commence un nouveau grand roman, L’Adolescent. Pour cette œuvre, il fait un choix radical, qui déjà le tentait pour Crime et châtiment : la forme qu’il choisit est celle de la confession, qui transforme l’adolescent qui donne son titre à l’œuvre en narrateur de l’histoire emmêlée qu’il imagine. La voix qui s’exprime alors est semblable à beaucoup d’égards à celle des Carnets du sous-sol– à la nuance près que ces carnets-là représentent deux gros volumes de près de mille pages en tout. Limitée à cette seule perspective, toute l’écriture de l’œuvre résulte profondément déterminée par ce parti-pris. Renonçant à la polyphonie à laquelle on attribuera en grande partie le caractère moderne de ses autres grands romans, Dostoïevski (s’)immerge dans la perception de son personnage, dont les contradictions sont particulièrement exacerbées alors qu’il est en pleine formation.
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« Je suis un pays » de Vincent Macaigne aux Amandiers – écriture sans dialogue

Le hall du Théâtre des Amandiers est une fois de plus plongé dans la brume en ce mois de décembre, alors que le froid sévit à l’extérieur, et que Vincent Macaigne a envahi les lieux et mis en marche ses machines à fumée à l’intérieur. La musique qui accueille le public dans le théâtre n’est pas encore tout à fait assourdissante, comme les habitués pourraient s’y attendre, mais les airs de piano joués sur un mode dérisoire donnent le ton, ainsi que les parois taggées à gros traits. En réalité ce n’est pas une œuvre que Macaigne présente à Nanterre, mais deux : Je suis un pays d’une part, et Voilà ce que jamais je ne te dirai de l’autre, la seconde étant imbriquée dans la première. Pour Je suis un pays, que Macaigne présente comme une « Comédie burlesque et tragique de notre jeunesse passée », le comédien, réalisateur et metteur en scène qui a dominé l’actualité culturelle de la rentrée n’invoque pas une grande œuvre du patrimoine comme il l’a déjà fait, mais reprend un texte de jeunesse, Friche 22.66, qui avait donné son nom à sa compagnie. Cette œuvre proprement macaignienne révèle la continuité de ses préoccupations et de son discours depuis sa sortie du Conservatoire, mais ce dialogue avec lui-même se révèle moins puissants que les précédents dialogues qu’il avait pu mettre en place avec Shakespeare ou Dostoïevski.
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« Si c’est un homme » de Primo Levi – l’éloquence de l’indicible

Si c’est un homme de Primo Levi est une des œuvres de la littérature concentrationnaire les plus connues aujourd’hui. Elle relate l’expérience de l’auteur, chimiste italien incarcéré au camp de Monowitz, à Auschwitz, en janvier 1944, qui a survécu là-bas jusqu’à la libération – ou plutôt l’abandon du camp par les SS – en janvier 1945.…

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« Ça ira (1) Fin de Louis » de Pommerat aux Amandiers : ça ira, oui, il faut bien que ça aille, alors ça ira

Après Au monde l’an dernier, Joël Pommerat propose une nouvelle création au Théâtre Nanterre-Amandiers, Ça ira (1) Fin de Louis. Le chiffre entre parenthèses du titre suggère qu’il s’agit là du premier volet d’une suite, d’une première partie, consacrée à la Révolution Française, de son avant, depuis 1787, à son après, jusqu’en 1791.…

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« Procès ivre » de Koltès : un cauchemar

Quelques temps avant l’écriture des pièces qui le rendront célèbres et qui resteront attachés à son nom, alors qu’il n’a que vingt-trois ans Koltès, marqué par ses récentes lectures de Dostoïevski, écrit Procès ivre. Reprenant les figures principales de Crime et Châtiment, il compose une variation à partir du roman et en saisit l’essence.…

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