Étiquette : Théâtre

« Théorème(s) » de Pierre Maillet à la Comédie de Caen – la jouissance à tout prix

D’un roman né de la réalisation d’un film de Pasolini, Pierre Maillet a entrepris de faire une adaptation. Ce faisant, il tire parti de l’art hybride de l’artiste italien, écrivain, poète, journaliste et encore réalisateur, qui avait rêvé de donner une forme théâtrale à son œuvre, Théorème. Entouré d’une dizaine d’acteurs à l’énergie communicative, Pierre Maillet réalise ce rêve et s’approprie ce texte singulier, qui offre le récit d’un ange qui passe dans une famille et en désaxe tous les membres. La structuration de l’œuvre en deux parties, de la séduction à l’abandon aux multiples conséquences, aurait probablement réclamé une rupture plus nette dans le spectacle, mais la jubilation première l’emporte sur la gravité – scindant la perception entre le partage authentique de cette jubilation et l’impression de désinvolture que laisse la fin du spectacle.
Lire la suite

« Du roman adapté au roman inadaptable : Dostoïevski sur la scène théâtrale française moderne et contemporaine » : fin de la thèse

Dostoïevski est l’auteur le plus adapté sur la scène française moderne et contemporaine, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Dès le moment de la découverte de ses œuvres en France, ses romans attirent le théâtre, qui en livre des adaptations. Tout au long du XXe siècle, les termes de cette appropriation de la littérature par la scène changent – selon l’évolution de la réception des œuvres de Dostoïevski en France, selon les grandes mutations que connaît l’art théâtral pendant cette période, et selon le renouvellement constant de la pratique de l’adaptation. La prise en compte de ces multiples paramètres révèle le pouvoir magnétique que les romans de Dostoïevski exercent sur le théâtre : ils l’attirent autant qu’ils lui résistent.
Lire la suite

« Illusions perdues » de Pauline Bayle au Théâtre de la Bastille – Balzac sans illusion mais avec beaucoup d’ambition

Le Théâtre de la Bastille inaugure sa saison avec un spectacle créé en janvier 2020 mais resté de longs mois dans les limbes (tout le temps de la crise sanitaire) avant de reprendre vie au printemps dernier : Illusions perdues de Pauline Bayle, d’après Honoré de Balzac. La jeune metteuse en scène confirme avec ce spectacle sa prédilection pour les textes non théâtraux. Après Iliade et Odyssée, après Chanson douce d’après Leïla Slimani, voilà qu’elle s’attaque à l’une des œuvres les plus connues de Balzac, représentant emblématique du genre romanesque. Illusions perdues relate l’ascension et la chute d’un jeune poète venu trouver la gloire à Paris. D’un roman de 700 pages, Pauline Bayle crée une œuvre de 2h30 qui embarque et offre le spectacle d’un vaste récit mis en corps et en actes – spectacle permis par des acteurs impressionnants.
Lire la suite

« Le spectateur », Christian Biet et Christophe Triau

C’est déjà commencé. Ce soir, j’y vais. Il a  d’abord fallu « envisager-d’aller-au-théâtre », se mettre dans l’idée qu’on va voir des corps vivants, entendre un texte, s’asseoir devant un plateau dans un espace réservé au spectacle, à côté d’autres spectateurs que, contrairement au cinéma, on ne peut ignorer, que l’on sent, que l’on entend et souvent que l’on voit. Il a fallu prendre les places, à l’avance, généralement numérotées. Une cérémonie que tout cela, un rite qui marque la sortie du soir, une vraie envie. Ce n’est pas banal. Et puis il a encore fallu que je choisisse : le lieu, le bâtiment, sa réputation, son directeur (j’ai mes fidélités), les acteurs (on dit que tel ou telle est très bien dans la pièce), le metteur en scène, l’auteur (un classique, un moderne dont on parle ?), le texte (y en a-t-il un, au moins, cette fois ?). Ah, oui ! le texte, ce qu’il faut entendre et juger, à travers une suite d’entités qui le revendiquent : un texte éclairé, scénographié, exploré par la diction, porté par le jeu des acteurs, magnifié par le plateau ou englouti par lui. Compliqué. En me rendant au théâtre, je me sens obligé de faire plus de choix que pour tout autre spectacle, avec bien plus de prérequis. C’est intimidant en somme. Au point qu’on en vient à proposer des écoles du spectateur, ce qui me désespère. Ce soir, donc, j’ai décidé d’être curieux, de renouer avec ce qu’est d’abord le théâtre : un spectacle dont on n’a rien vu et que l’on n’a pas lu encore, un spectacle tout entier vivant.
Lire la suite

Gide, dramaturge de Copeau pour « Les Frères Karamazov » ?

En avril 1911, le Théâtre des Arts présente l’adaptation des Frères Karamazov par Jacques Copeau. Le rôle central qu’a joué André Gide dans ce projet a été occulté par l’histoire théâtrale, alors qu’il a été conseiller littéraire, confident, premier lecteur et premier spectateur de Copeau – soit son dramaturge. La lecture de leursJournaux respectifs et de leur Correspondance permet de réévaluer l’importance de Gide dans le mouvement de rénovation du théâtre qu’a initié Copeau avec ce premier spectacle.
Lire la suite

« Blanche » de Catherine Blondeau – éclats d’une identité scindée

Catherine Blondeau, directrice du Grand T de Nantes (maison de la culture de la Loire-Atlantique), a publié au début de cette année son deuxième livre, après un premier roman paru en 2019, Débutants. Le texte, intitulé Blanche, est cette fois inclassable. Il relève plus de l’autobiographie que de la fiction, mais une autobiographie séquencée en courts chapitres, si courts qu’ils ressemblent à des fragments, des éclats, grâce auxquels l'autrice s'efforce de retracer le parcours biographique et intellectuel qui l'a amenée à prendre conscience du fait qu’elle était blanche.
Lire la suite

« Danses pour une actrice (Valérie Dréville) » de Jérôme Bel à la MC93 – mémoires du corps

Il y a un an, Jérôme Bel annonçait qu’il ne prendrait plus l’avion, et ne ferait plus tourner ses spectacles à l’étranger (alors qu’il y a quelques années à peine, il venait jusqu’à Cuba avec Shirtologie). Ce qu’il consent à faire en revanche, c’est recréer ses spectacles avec des artistes étrangers, grâce à des répétitions via Skype. Pour que le spectacle vivant ne se résume pas à des captations (menace qui pèse en temps de covid), pour continuer à faire l’expérience de la présence, la nécessité s’impose plus que jamais d’aller voir ses œuvres, d’aller jusqu’à la MC93 pour découvrir sa dernière création, Danses pour une actrice (Valérie Dréville), présentée dans le cadre du Festival d’Automne. Pour la version française de ce spectacle, il fait appel à une actrice-monument, qui a marqué les œuvres de Vitez, Régy, Vassiliev, et plus récemment d’Ostermeier, Lupa ou Creuzevault. Une actrice qui porte en sa chair tout un pan de la mémoire théâtrale depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, que Jérôme Bel confronte à une autre mémoire, celle de la danse. Ensemble, ils créent un objet hybride, qui s’offre exceptionnellement le luxe d’une double réception.
Lire la suite

« Familie » de Milo Rau à Nanterre-Amandiers – théâtre pornographique : la reconstitution du réel à tout prix, au prix du jeu et de l’intimité des acteurs

Depuis plusieurs années, l’artiste suisse Milo Rau est accueilli en France avec ses spectacles, qui toujours explorent les relations entre le réel et le théâtre à partir de la question de la représentation de la violence sur scène. Après Five Easy Pieces, sur les crimes de Marc Dutroux, La Reprise, sur le meurtre d’un homosexuel à Liège en 2012, Rau s’empare d’un nouveau fait divers dans Familie : le suicide des quatre membres d’une famille en 2007, près de Calais. Les deux précédentes œuvres de ce triptyque démontraient comment le théâtre pouvait permettre d’apprivoiser l’horreur, par le jeu. Dans celle-ci, la démarche est inverse. Le fait d’amener une vraie famille sur scène évacue presque totalement le jeu, au point de faire naître un malaise extrême.
Lire la suite

« Une lumière au cœur de la nuit : le lustre, de l’intime à la scène » de Georges Banu – Réverbérations d’une lecture

En 2009, Georges Banu faisait paraître Des murs… au Mur aux Editions Gründ. En 2015, La Porte, au cœur de l’intime, aux Editions Arléa. Cette dernière maison a offert à l’auteur une nouvelle opportunité d’écrire un de ces textes situés un peu à la marge de ses publications habituelles, généralement consacrées au théâtre.
Lire la suite

« Le Bain » de Gaëlle Bourges au T2G – ecphrasis théâtrale

Après la figure de Vénus, après la tapisserie de La Dame à la licorne, après les grottes de Lascaux, Gaëlle Bourges explore avec les moyens de la scène de nouvelles œuvres appartenant à l’Histoire de l’art : Diane au bain de l’Ecole de Fontainebleau, et Suzanne au bain, du Tintoret. Pour ce diptyque qu’elle nomme Le Bain, l’artiste change d’échelle et passe de celle humaine des corps à celles de poupées. Alors que sa pratique, qui mêle théâtre, peinture, danse et musique, est déjà caractérisée par la transdisciplinarité, son spectacle se nourrit cette fois en plus de l’art des marionnettes. Elle crée ainsi un objet hybride, qui conjugue les corps dans l’espace et les actions dans le temps, ou la poésie et l’image, que Lessing avait soin de distinguer dans son essai d’esthétique Le Laocoon (1766).
Lire la suite