Catégorie : Spectacles

« Le Ciel de Nantes » de Christophe Honoré à la Villette – se consoler d’un rêve de cinéma par le théâtre

Après sa famille rêvée dans Les Idoles en 2018, spectacle dans lequel il faisait revivre les personnalités touchées par le Sida qui ont marqué sa jeunesse, Christophe Honoré s’attaquait en 2021 à sa vraie famille avec Le Ciel de Nantes, repris pour quelques dates ce printemps dans la Grande Halle de la Villette. Une famille d’autant plus dysfonctionnelle qu’elle est démesurément grande, composée des dix enfants de sa grand-mère maternelle. Il y a là de quoi puiser des histoires, des drames, des anecdotes, et aussi de quoi dresser le portrait d’une génération qui mûrit dans les années 70-90, à Nantes. Au départ, l’artiste pensait tirer un film de ce matériau inépuisable. Le projet prend finalement la forme d’un spectacle sur un film qui n’a pas été réalisé, commenté par les fantômes qui auraient dû être incarnés à l’écran. Cette déviation du projet d’origine donne naissance à une fresque théâtrale maîtrisée, émouvante grâce à la belle bande d’acteurs et d’actrices réunie au plateau, et qui nourrit la réflexion sur les rapports qu’entretiennent non pas le théâtre et la littérature, comme souvent chez Honoré, mais le théâtre et le cinéma, ainsi que sur l’usage et l’interprétation de chansons pop sur scène.
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« May B » de Maguy Marin au T2G – infini, et impérissable

Créé en 1981, May B, de Maguy Marin, est repris pour quelques dates au T2G ce printemps. Ce n’est pas la première fois que ce spectacle qui a été commenté d’innombrables fois et situé comme un repère décisif pour quantité d’artistes reprend vie sur scène : depuis 2006, il est recréé presque tous les deux ans pour une poignée de dates. Ces recréations laissent croire que l’œuvre a passé la difficile épreuve du temps – celle qui peut frapper plus ou moins durement d’obsolescence des spectacles qui ont profondément marqué l’histoire du théâtre, qu’il s’agisse de la Mère Courage de Brecht ou d’Einstein on the Beach de Bob Wilson, dont la singularité ou la nouveauté paraît parfois émoussée depuis le moment de leur création. C’est peut-être ici le caractère hybride de l’œuvre, qui relève de la catégorie de la danse-théâtre rendue célèbre par Pina Bausch, qui lui permet de conserver toute sa puissance originelle et de convoquer notre sensibilité avec autant de force qu’il y a plus de quarante ans.
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« Hamlet » de Christiane Jatahy au Théâtre de l’Odéon – relecture tubesque de la pièce de Shakespeare

Le Théâtre de l’Odéon affiche en ce moment un Hamlet de Shakespeare, signé par Christiane Jatahy. L’artiste brésilienne ne reprend pas pour ce spectacle la mention « d’après » qui fait florès depuis de nombreuses années maintenant et qu’elle a elle-même pratiqué pour Julia d’après Mademoiselle Julie de Strindberg, What if they went to Moscow d’après Les Trois Sœurs de Tchekhov, La Règle du jeu, d’après le scénario du film de Renoir, Le Présent qui déborde d’après Homère, Entre chien et loup d’après Dogville de Lars von Trier, ou Depois do silencio d’après un roman d’Itamar Vieira Júnior… Depuis ses débuts, Jatahy ne fait que ça, adapter des œuvres du répertoire théâtral, des scénarios de film ou des textes de type narratif. Ici, croit-on un instant, elle s’en tiendrait simplement au Hamlet de Shakespeare. Et pourtant, elle signe la mise en scène, l’adaptation et la scénographie de ce spectacle, et le geste d’adaptation évoqué en passant se révèle en réalité central : elle transpose la pièce dans un contexte contemporain – au point de faire même référence à la date même du jour de représentation – et propose en outre une relecture féministe de l’œuvre. Mais le plus intéressant dans sa démarche réside dans ce qui peut ne paraître qu’une composante de cette entreprise d’adaptation : l’usage de quantité de tubes tout au long du spectacle, qui esquissent les contours d’une dramaturgie par ailleurs flottante.
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« Bérénice » de Romeo Castellucci au Théâtre de la Ville – fantasmes castelluppertiens de Bérénice

Ce spectacle était d’emblée annoncé comme un temps fort de la saison en cours, depuis près d’un an : il annonçait le retour de Castellucci sur la scène théâtrale française après plusieurs mises en scène d’opéra avec une adaptation de Bérénice de Racine et Isabelle Huppert dans le rôle principal, pour la première fois dirigée par le grand maître italien. Le nom du personnage, celui de l’actrice et celui de l’artiste se disputent la première place sur l’affiche du Théâtre de la Ville, récemment rouvert. La salle comble, plus mondaine que d’ordinaire encore, se divise au moment des saluts : après plusieurs vagues de départ en cours de spectacle, une partie du public hue Isabelle Huppert et ses comparses de scène tandis qu’une autre essaie de couvrir les cris désapprobateurs d’applaudissements frénétiques et de « bravo ». La proposition radicale – comme attendu – scinde. Si cette mise en scène n’est pas du Racine, ni même une lecture de Racine, elle est pourtant bien du Castellucci, et bien du Huppert, qui à eux deux fantasment de loin en loin le personnage de Bérénice pour créer à partir d’elle des images aussi neuves que déroutantes.
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« Tom na fazenda » de Rodrigo Portella et Armando Babaioff au Théâtre de Châtillon – anthologie de la violence sur scène

Tom na fazenda, « Tom à la ferme » en portugais, est un spectacle qui a permis de découvrir en France le travail d’un metteur en scène brésilien, Rodrigo Portella, qui a déjà créé quantité de spectacles dans son pays. Celui-ci date de 2017, et après une grande tournée nationale, il a été accueilli au Festival TransAmérique en 2018, puis au Off d’Avignon 2022, avant une série de dates françaises cette saison. La réception du spectacle passe sans doute par le prisme du film de Xavier Dolan, pour le public québécois et le public français. Mais Rodrigo Portella ne l’a découvert qu’après lui, engagé dans ce projet par Armando Babaioff, acteur qui a découvert le texte de théâtre de l’auteur québécois Michel Marc Bouchard et l’a sollicité pour le monter car il lui semblait parler exactement de lui et du monde d’où il vient, porté par la conviction que l’homophobie dont traite l’œuvre n’est pas cantonnée au Québec de 2009 (date d’écriture de la pièce), de 2013 (date du film de Dolan), mais qu’elle retentit encore puissamment au Brésil en 2017, ou en France, aujourd’hui. Les deux artistes réunis pour ce spectacle s’emparent donc de ce texte d’une grande subtilité et explorent avec elle de multiples formes de violence sur scène.
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« Le Silence » de Lorraine de Sagazan à la Comédie-Française – indicible infrangible du deuil

Après Christiane Jatahy, Chloé Dabert, Ivo van Hove, Christophe Honoré, Julie Deliquet, Guy Cassiers, Thomas Ostermeier, Silvia Costa et d’autres encore ces dernières années, c’est au tour de Lorraine de Sagazan d’être invitée à diriger la troupe de la Comédie-Française. Comme plusieurs parmi celles et ceux cités, l’artiste fait un pas de côté par rapport au répertoire théâtral et trouve avec Guillaume Poix son inspiration du côté du cinéma. Non pour adapter un scénario de film, comme Christiane Jatahy, Ivo van Hove ou Julie Deliquet : c’est dans toute une œuvre cinématographique que le duo puise, celle de Michelangelo Antonioni. Ce matériau donne lieu à un spectacle radical, qui confronte de manière extrême à la souffrance indicible causée par le deuil.
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« Les Forteresses » de Gurshad Shaheman au Théâtre de la Bastille – trois sœurs iraniennes

Reporté par le covid, finalement créé en 2021, le spectacle Les Forteresses arrive au Théâtre de la Bastille après une grande tournée en France. Après avoir fait œuvre de sa vie, après avoir fait entendre la voix de réfugiés LGBT, l’artiste franco-iranien Gurshad Shaheman rassemble les femmes de sa famille pour faire entendre leur histoire. La découverte des Forteresses est précédé d’une bonne réputation qui n’est pas volée : le spectacle se révèle de ses œuvres qui constituent un précédent dans l’appréhension que l’on a d’un pan d’histoire – en l’occurrence l’histoire de l’Iran, depuis les années 1960.
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« La Brande » d’Alice Vannier au Théâtre de la Cité internationale – immersion en névropathie

Cette semaine avait lieu la première parisienne d’un spectacle créé il y a plus d’un an au Point du jour à Lyon, La Brande, de la compagnie Courir à la Catastrophe, mis en scène par Alice Vannier. Après entre autres un spectacle inspiré par la pensée de Pierre Bourdieu en 2018, En réalités, la compagnie s’est cette fois intéressée à la clinique de La Borde, établissement ouvert dans le Loir-et-Cher en 1953 sous l’impulsion de Jean Oury, qui a permis le développement de la psychothérapie institutionnelle, et qui constitue aujourd’hui encore une référence dans le domaine. Des recherches sur l’histoire du lieu et deux semaines d’immersion de l’équipe artistique au moment de l’année où soignants et soignés donnent rendez-vous aux personnes extérieures à la clinique pour une journée de fête ponctuée par une représentation, ont donné naissance à ce spectacle.
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« Oncle Vania » de Galin Stoev à Points communs – Tchekhov insubmersible

L’Oncle Vania de Galin Stoev, créé il y a un an au ThéâtredelaCité à Toulouse que le metteur en scène bulgare dirige, poursuit sa tournée française en passant par Pontoise. La mise en scène propose une lecture résolument contemporaine de la pièce de Tchekhov, projetée dans un « futur dystopique » et retraduite avec quantité d’anachronismes qui surlignent le caractère prémonitoire des préoccupations du médecin Astrov et du mal-être des autres personnages. L’approche ludique mais parfois arbitraire de Galin Stoev est rattrapée par une distribution qui fait percevoir quantité de nuances et révèle le caractère insubmersible de Tchekhov.
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« Le Malade imaginaire ou le silence de Molière » d’Arthur Nauzyciel à la Comédie de Reims – exalter la comédie, le jeu, le théâtre, pour soigner les malades et consoler les morts

Près de 25 ans après la création originale, Arthur Nauzyciel recrée sa toute première pièce : une mise en scène du Malade imaginaire de Molière, mise en dialogue avec un texte du critique, chercheur et enseignant Giovanni Macchia, grand passeur de Molière en Italie, dont les écrits ont été traduits en français. Cette reprise est programmée à la Comédie de Reims en ce début d’année, mais le spectacle pourrait donner l’impression d’avoir été créé il y a quelques mois seulement, tant la pertinence en paraît intacte. D’une grande intelligence dramaturgique et remarquablement joué – par des acteurs et actrices présents lors de la création, Catherine Vuillez, Laurent Poitrenaux et Arthur Nauzyciel, ainsi que par la 10e promotion du TNB que ces deux derniers ont formée – ce Malade imaginaire ou le silence de Molière offre un grand moment de théâtre.
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