Catégorie : Spectacles

« La Vallée de l’étrange » du Rimini Protokoll – humain ou robot ?

La Vallée de l’étrange est un spectacle qui a été présenté pour quelques dates seulement à Paris au Centre culturel suisse d'abord, puis à la Villette. Il s’agit de la dernière création du Rimini Protokoll, collectif de théâtre allemand connu pour ses enquêtes documentaires sur certains lieux, à partir desquels ils révèlent des pans d’histoire ou de la réalité contemporaine. En décembre dernier, le collectif présentait ainsi Les Trombones de La Havane à la Commune d’Aubervilliers, après plusieurs mois d’immersion à Cuba. La démarche de Stefan Kaegi, à l’origine du projet, est cette fois différente. La Vallée de l’étrange n’est pas le résultat d’un long travail de recherches documentaires sur un contexte spatio-temporel particulier. Le spectacle naît d’une rencontre avec Thomas Melle, écrivain allemand, avec qui le Rimini Protokoll propose un test de Turing extrême au spectateur : parviendra-t-il à faire la différence entre un robot et un humain ? L’expérience proposée met à l’épreuve nos capacités perceptives, mais nous amène surtout à nous questionner sur notre humanité, nous invitant à nous demander à quoi elle tient quand la technologie entreprend de l'imiter.
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« Forums » mis en scène par Jeanne Herry au Théâtre du Vieux-Colombier – plongée dans le subconscient d’un monde malade

En marge des mises en scènes des œuvres du répertoire, la Comédie-Française s’essaie régulièrement à quelques incursions dans le monde contemporain, sollicitant de nouvelles écritures. A l’origine de Forums, se trouve ainsi un projet de Maël Piriou, exhumé par Jeanne Herry, artiste polyvalente qui semble réussir dans tout ce qu’elle entreprend, que ce soit au théâtre, en littérature ou au cinéma. L’an dernier, elle a fait parler d’elle avec Pupille, film récompensé par plusieurs César. Après avoir amené la lumière sur les enfants abandonnés à la naissance en attente d’adoption, elle aborde avec son spectacle un autre pan de notre réalité laissé dans l’ombre : les forums en ligne. Le sujet apparaît d’emblée comme un défi pour le théâtre, tenu de représenter et d’incarner un monde virtuel. Si ce genre de gageure peut l’amener à se renouveler, voire à se surpasser, un tel sujet est loin de ne soulever que des problèmes artistiques. La question qui aurait dû guider Jeanne Herry dans ce travail aurait plutôt dû être : comment penser cette réalité étrange, qui met mal à l’aise, voire qui déprime sur le monde dans lequel on vit.
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« Phèdre » de Brigitte Jaques-Wajeman aux Abbesses – que faire de nos classiques aujourd’hui ?

Après avoir monté toutes les pièces de Corneille ou presque, Brigitte Jaques-Wajeman aborde désormais celles de Racine. Assurée par ses précédents spectacles, elle se confronte d’emblée à ses tragédies les plus célèbres : Britannicus, il y a quinze ans, et Phèdre désormais. Pour cette dernière création, la metteure en scène travaille encore et toujours avec la compagnie Pandora, qu’elle a créée en 1976 avec François Regnault. Pendant quatre décennies, les déviations ont été rares de Corneille à Racine, avec quelques incursions du côté de Molière, une pièce de Claudel (Partage de midi) ou une autre d’Hugo (Ruy Blas). Même lorsque la compagnie s’est aventurée du côté des écritures contemporaines, elle choisissait des réécritures, de Sophocle par exemple (Tendre et cruel, Martin Crimp). Une telle persistance à monter un répertoire classique, dans l’indifférence de toutes les évolutions plus ou moins heureuses qu’a connu le théâtre depuis les années 1980, invite à se demander ce qu’il est possible de faire des tragédies du XVIIe siècle sur nos scènes actuelles.
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« Un conte de Noël » mis en scène par Julie Deliquet aux Ateliers Berthier – un spectacle « sur rien »

Après Brecht, Tchekhov et Ingmar Bergman, Julie Deliquet s’approprie pour son dernier spectacle un scénario d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël. Ses choix la rapprochent progressivement de notre époque, de la fin du XIXe à 2008, date de la sortie du film. Mais aussi étendues ses recherches soient-elles, Deliquet en revient toujours à la même chose : de longs plans-séquences au sein de familles réunies autour de grandes tablées pour s’écharper, se déchirer, s’aimer et rire ensemble. Son adaptation de Fanny et Alexandre se distingue néanmoins au sein du corpus qu’elle constitue, car ce scénario lui permettait de tendre à la troupe de la Comédie Française un miroir lui renvoyant un reflet brillant, qui mettait le jeu à l’honneur. Avec Un conte de Noël, Deliquet essaie de retrouver cet effet miroir, grâce à des personnages en lien avec le théâtre, et l’improvisation d’un spectacle un soir de Noël. Mais ce qui reste au centre ici, c’est le thème de la famille, et l’ambition de cette adaptation semble alors de faire, comme Flaubert le voulait en littérature, un spectacle « sur rien ».
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« Contes et légendes » de Joël Pommerat aux Amandiers – humanité troublée

Après Le Petit Chaperon rouge, Cendrillon et Pinocchio, Joël Pommerat paraît encore puiser dans les œuvres de Perrault, des Frères Grimm ou de la Mère l’Oye pour sa dernière création, Contes et légendes. Il n’en est pourtant rien, et ce titre est d’autant plus trompeur que le non-lieu et le non-temps qu’il suggère n’entraîne pas du côté d’un monde passé, conçu de manière manichéenne. Il projette contre toute attente vers l’avenir, dans un monde où les humains cohabitent avec des robots qui leur ressemblent de manière troublante. Cette fiction, qui repose entièrement sur la qualité du jeu des acteurs, permet au metteur en scène de soulever de nombreuses questions sur l’enfance, sur le genre, ou sur le retour en force de certaines valeurs sociales réactionnaires à l’ère de l’intelligence artificielle.
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« Bajazet, en considérant le Théâtre et la peste » de Castorf à la MC93 – parcelles brillantes d’humanité au coeur du chaos

Alors que le corpus qu’il avait constitué au fil des ans le tenait à distance de la littérature française, l’Allemand Frank Castorf s’intéresse à Racine en cette fin d’année, après le Don Juan de Molière en 2018. Parmi ses pièces, il choisit Bazajet, tragédie de l’amour et du pouvoir, mais surtout tragédie de l’Orient, du sérail, des sultans et des esclaves. Contrairement à ses habitudes, Castorf précise néanmoins le titre de son spectacle : Bazajet, en considérant le Théâtre et la peste. Il annonce ainsi d’emblée lire Racine à la lumière d’Artaud – ou l’inverse. L’indication annonce également de manière plus implicite que le metteur en scène fait preuve dans ce spectacle d’une conscience aigüe de son art, qui le rend pleinement maître de ses moyens.
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« Item » au Théâtre de Gennevilliers – le Radeau englouti par Dostoïevski

Tous les deux ou trois ans, le Festival d’Automne donne un rendez-vous régulier à ses spectateurs avec le Théâtre du Radeau. En 2011, il programmait Onzième ; en 2014, Passim ; en 2017, Soubresaut – pour ne citer que la dernière décennie. En cette fin d’année, c’est Item que le public du T2G est invité à découvrir. Le titre, qui signifie « de même », « de plus, et aussi », suivant la pratique du Radeau, ne présage ni texte, ni auteur, à peine un motif. Il résiste à l’appréhension, ne programmant qu’un prolongement des expériences passées pour le spectateur habitué, qui sait qu’un même flux unit en profondeur les créations de la compagnie. Cette fois, le spectacle aurait pourtant pu porter un titre d’un autre type, alors que celui choisi est longtemps resté provisoire. L’exclamation « Pas un idiot ! » par exemple, lancée un moment et aussitôt soulignée par une musique dramatique. Ce titre dirait un rapport de biais à Dostoïevski, une anti-adaptation de son roman L’Idiot, ce qu’est d’une certaine manière Item. Le Radeau paraît en effet s’être laissé submerger par la vague Dostoïevski dans ce spectacle, perdant tous ses principes dans la tempête. Le spectateur, loin d’être embarqué, reste sur la rive, assistant impuissant au naufrage.
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« GRANMA. Les trombones de La Havane » du Rimini Protokoll – partie de béisbol entre deux générations et deux pays

Le Laboratorio Escenico Experimental Social (LEES) est une association qui stimule la création artistique cubaine grâce à des invitations à des artistes étrangers, des résidences, des rencontres ou encore des conférences. En février 2018, ses fondatrices recevaient Stefan Kaegi dans les murs de la Casona Teatral Vincente Revuelta, pour un atelier au cours duquel l’artiste suisse présentait les principes du collectif berlinois Rimini Protokoll, aujourd’hui internationalement reconnu. Depuis ses débuts en 2000, le collectif a été initiateur d’un théâtre documentaire – particulièrement prisé par le théâtre contemporain – fondé sur un travail de terrain et la collaboration avec des « experts du quotidien », des individus non-acteurs qui montent sur scène et mettent en perspective l’Histoire avec leur vie intime. Ce mode de création implique un long temps de collecte et une pénétration profonde dans la vie des individus, mais il nécessite également l’élaboration d’une dramaturgie précise, pour que toute cette matière devienne spectacle. Au moment de la rencontre évoquée, le Rimini Protokoll avait déjà commencé une vaste « investigation théâtrale » sur Cuba. Trois ans et demi plus tard, le résultat de cette enquête, intitulé GRANMA. Les Trombones de La Havane, est présenté à la Commune d’Aubervilliers dans le cadre du Festival d’Automne. L’œuvre conçue immerge de manière fascinante dans l’histoire et dans la réalité cubaine d’aujourd’hui, à travers les récits de quatre jeunes.
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« Nous pour un moment » d’Arne Lygre, mis en scène par Stéphane Braunschweig – fugue sur la fragilité des liens entre les hommes

Avec Nous pour un moment, Stéphane Braunschweig poursuit son compagnonnage avec l’auteur norvégien Arne Lygre, qu’il a initié en 2011 avec Je disparais, du temps de sa direction de la Colline. Avant de monter cette pièce, Braunschweig l’a co-traduite avec Astrid Schenka, s’immergeant ainsi profondément dans sa langue et sa structure. Une fois metteur en scène et scénographe, il en déploie la dramaturgie complexe, semblable à une fugue dont le thème poursuivi est celui de l’insurmontable solitude des êtres.
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« A Pink Chair (In Place of a Fake Antique) » du Wooster Group, d’après Kantor – théâtre palimpseste

Une des tendances du théâtre actuel semble être son désir de penser son histoire sur scène et de faire revivre ses grands moments. Tandis que le Berliner Ensemble présente dans le monde entier les créations historiques des pièces de Brecht, et que Bob Wilson a recréé il y a quelques années son Einstein on the Beach, Gwenaël Morin, lui, a récemment recréé Paradise du Living Theatre et les Molière de Vitez. Ces démarches tantôt versent dans la muséification, qui fige les spectacles et amenuise leur puissance originelle, tantôt aspirent à la réactivation au présent de principes artistiques éprouvés par le passé. Avec A Pink Chair, le Wooster Group explore une autre voie encore, celle de la mémoire : il ne prétend pas à une restitution à la lettre d’un spectacle de Kantor, d’après archives, et ne se contente pas non plus de reprendre ses principes artistiques. Le point d’approche choisi est celui de l’intimité.
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