Catégorie : Spectacles

« La Tendresse » de Julie Bérès au TGP – bande de gars en cours de déconstruction

Après Désobéir, « Pièce d’actualité » née en novembre 2017 à Aubervilliers et depuis en tournée, Julie Bérès a souhaité offrir le pendant masculin de ce spectacle et constituer ainsi un diptyque sur le genre et ses injonctions. Le souvenir très fort laissé par Désobéir, coup de cœur d’Avignon 2019, spectacle depuis resté en tête et souvent évoqué comme référence à une forme de théâtre immédiat, très juste à l’endroit qu’elle occupe, rendait inévitable la découverte de La Tendresse. Le risque de la déception était pourtant à la hauteur de l’attente, d’autant que la déclinaison d’une formule qui a fait ses preuves ne constitue jamais une garantie, que ce soit au théâtre, en littérature, au cinéma ou dans l'industrie des séries. En outre, il ne semble pas aussi nécessaire de laisser place au masculin sur scène comme au féminin. Très rapidement, ces craintes ont cependant été balayées par une authentique joie, nourrie tout au long du spectacle, qui amène à conclure que c’est précisément de ce théâtre-là dont nous avons besoin par les temps qui courent.
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« It don’t worry me » du collectif Atresbandes, Bertrand Lesca et Nasi Voutsas au WET°6 – l’activité spectatrice en spectacle

It don’t worry me est un spectacle né de la rencontre d’une compagnie catalane, le collectif Atresbandes, et d’un duo franco-britannique formé par Bertrand Lesca et Nasi Voutsas. Il a été présenté dans le cadre du WET°6, festival consacré à la jeune création dont la programmation est prise en charge par un ensemble de jeunes artistes et de techniciens associés au CDN de Tours. Le choix de présenter ce spectacle démontre la maturité des organisateurs du festival, qui invitent avec lui à prendre du recul sur la création contemporaine et son rapport au public. En déconstruisant le geste artistique aussi bien que l’activité spectatrice, It don’t worry me prend la forme d’un long commentaire métathéâtral aussi humoristique que fin.
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« Cowboy » de Delphine de Baere au WET°6 – errance aux frontières de l’absurdie

Delphine de Baere a été invitée dans le cadre du WET°6, festival consacré à la jeune création organisé avec le soutien du CDN de Tours, à présenter sa dernière création, Cowboy. La grande salle de la Pléiade, située en banlieue de Tours, est pleine d’un public dans l’ensemble jeune, frémissant avant le spectacle et franchement enthousiaste au moment des applaudissements. Le spectacle déplace pourtant, et entraîne dans des zones incertaines. Le plateau convoque l’imaginaire du Far West américain, en cohérence avec le titre qui sert de cadre d’appréhension, mais les coordonnées spatio-temporelles dans lequel s’inscrivent les personnages sont troublées pour dresser le portrait d'êtres désœuvrés, qui se racontent des histoires pour faire passer le temps.
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« Une cérémonie » du Raoul Collectif au Théâtre de la Bastille – collection de fulgurances pour temps de crises

En juillet 2016, le public français découvrait dans le cadre du Festival d’Avignon un de ces groupes d’acteurs dont les Belges ont le secret, le Raoul Collectif. Rumeur et petits jours a laissé le souvenir d’une expérience d’autant plus mémorable qu’elle est restée unique. Le covid a en effet retardé le moment de la découverte de leur nouvelle création, Une cérémonie, accueillie comme les spectacles de tg STAN ou De KOE, à la Bastille. Les mois qui se sont écoulés depuis l’été 2020 – date initialement prévue – n’ont pas mis le propos du collectif sur la touche. Bien au contraire, l’actualité des deux dernières années et celle plus brûlante encore des dernières semaines n’a fait que nourrir le désarroi dont ils font état, avec beaucoup d’humilité.
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« La Faculté des rêves » de Christophe Rauck au Théâtre Nanterre-Amandiers – « Andy Warhol a volé la pièce de Valerie Solanas ! »

Christophe Rauck reprend à Nanterre un spectacle créé il y a un peu plus d’un an au Théâtre du Nord, La Faculté des rêves, d’après un roman de Sara Stridsberg. L’œuvre est consacrée à Valerie Solanas, « pute intellectuelle » des années 1960 aux États-Unis, connue pour l’écriture d’un manifeste féministe radical et pour une tentative d’assassinat à l’encontre d’Andy Warhol. Après s’être intéressé à cette personnalité historique oubliée malgré son destin extraordinaire, Christophe Rauck a ensuite monté un autre texte de l’autrice suédoise contemporaine, Dissection d’une chute de neige, cette fois inspiré par la reine Christine de Suède. Quoique ces deux spectacles semblent pouvoir constituer en diptyque à la cohérence profonde, une différence majeure les distingue : l’un est une adaptation de roman, l’autre la mise en scène d’une pièce de théâtre. Alors que l’appel à la scène est évident dans le deuxième cas, la pratique de l’adaptation exige de justifier le passage de la page à la scène. La nécessité théâtrale manque cependant cruellement, dans La Faculté des rêves.
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« Les Océanographes » d’Emilie Rousset et Louise Hémon au Théâtre de Châtillon – sonder le potentiel théâtral du langage scientifique

Le binôme Émilie Rousset et Louise Hémon s’est reformé pour un nouveau spectacle créé en septembre dernier au T2G et présenté ces jours-ci au Théâtre de Châtillon, Les Océanographes. Après Le Grand Débat, consacré au rituel du débat précédant le deuxième tour des présidentielles et dont il faudra se souvenir dans quelques semaines, les deux artistes poursuivent leur réflexion sur les discours que tiennent les images sur un tout autre terrain. Elles s’inspirent cette fois du travail d’Anita Conti, première femme océanographe et écologiste avant l’heure, et embarquent leur public dans le monde de la pêche au chalut. En plus de mettre à l’épreuve de ce qu’un langage ultraspécialisé peut donner à voir, elles poursuivent leurs recherches passionnantes sur le jeu à partir d’archives sonores.
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« Exit » de Fausto Paravidino mis en scène par Anne-Sophie Pauchet à la Comédie de Caen – autopsie ludique d’un couple

Anne-Sophie Pauchet s’est attelée à la création française d’Exit, texte du dramaturge italien contemporain Fausto Paravidino – nom qui paraît contenir la promesse de récits fondateurs par ses sonorités, qui convoque une tradition littéraire mêlant de manière facétieuse Goethe et Dante. Ce texte offre l’autopsie d’un couple, comparable à celle qu’a pu offrir Bergman dans ses Scènes de la vie conjugale. Par rapport à l’auteur suédois, Parvidino ne décortique pas la fin de l’amour de manière chronologique, par percées successives, mais grâce à un carrousel temporel qui déplie le passé dans le désordre avant de faire coexister le présent et son commentaire. S’il choisit pour toile de fond une géopolitique contemporaine elle aussi en crise, l’humour dompte l’émotion en la mettant souvent à distance. Grâce à ses acteurs dirigés avec beaucoup de finesse, la metteuse en scène réussit à faire percevoir les infinies modulations de ce texte qui conjugue plusieurs registres et plusieurs modalités de parole.
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« Beauté fatale » et « Ceci est mon corps » au Lavoir Moderne Parisien – autobiographies scéniques de corps féminins

Pendant quelques jours, deux spectacles peuvent être vus en une seule soirée au Lavoir Moderne Parisien : Beauté fatale d’Ana Maria Haddad Zavadinack et Ceci est mon corps d’Agathe Charnet. Deux spectacles de jeunes metteuses en scène qui se font multiplement écho et qui offrent l’un et l’autre des autobiographies de corps féminins - des autobiographies scéniques.
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« Une mort dans la famille » d’Alexander Zeldin aux Ateliers Berthier – rétablir un continuum entre les âges

Le dernier spectacle du metteur en scène britannique Alexander Zeldin constitue un événement en ce début d’année, d’autant que l’attente de la découverte d’Une mort dans la famille a été nourrie par un report de quelques semaines de la première dû au covid. Vient enfin le moment d’entrer en salle, une salle comble aux Ateliers Berthier, impression que nourrit le fait qu’une partie des gradins est ouverte en éventail et que le public déborde jusque sur le plateau. La frontière scène-salle, d’emblée poreuse, prépare à l’abattement du mur bâti entre la troisième ou quatrième génération et celles qui se rendent au théâtre. Afin de penser le sort réserver à nos vieux – question d’actualité avec le scandale Orpea – et plus encore de rétablir un continuum entre les âges, Zeldin immerge dans un Ehpad grâce à une scénographie spectaculaire, une dramaturgie très fine qui multiplie les points de fuite, et, de manière inattendue, une langue sensible qui maintient sur le fil de l’émotion.
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« Poings » de Pauline Peyrade, mis en scène par Céleste Germe au T2G – intériorité en mille morceaux

Pauline Peyrade est une autrice multiplement primée et parfaitement identifiée dans le paysage théâtral contemporain. Quoique son écriture mette la scène à l’épreuve, elle ne la décourage pas pour autant, elle ne se contente pas de mises en voix ou de lectures théâtrales. Exigeante, elle invite à mobiliser un arsenal technologique sophistiqué si l’on en croit les mises en scène de Cyril Teste ou du collectif Das Plateau. Céleste Germe, membre de ce dernier, a entrepris de se mesurer au dernier texte de l'autrice plusieurs fois distingué (par Artcena, ou le Prix Bernard-Marie Koltès), Poings. Cette alliance renouvelée entre Peyrade et Das Plateau contient la promesse d’un véritable spectacle. Et de fait, la mise en scène envoûtante déploie le texte dans toutes ses dimensions, elle le diffracte et en décuple la puissance de représentation – et avec elle, la violence qu'il exprime.
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