Étiquette : texte

« EXTRA LIFE » de Gisèle Vienne à la MC93 – opération de re-sensibilisation par la scène

Deux ans après L’Étang, d’après Robert Walser, Gisèle Vienne revient dans le cadre du Festival d’Automne avec une nouvelle création présentée à la MC93 dans le cadre du Festival d'Automne : EXTRA LIFE. Plusieurs éléments établissent une grande continuité entre ces deux spectacles : la présence d’Adèle Haenel sur scène, la question des violences sexuelles exercées contre des mineurs, l’esthétique extrêmement singulière que propose l’artiste, ainsi que la place, encore problématique – quoique nouvelle – du texte, dans cette esthétique.
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« Le Songe » de Gwenaël Morin au Jardin de la rue Mons – fulgurance d’une folle fantaisie

Gwenaël Morin a été invité par Tiago Rodrigues à un compagnonnage avec le Festival pour les quatre années à venir, intitulé « Démonter les remparts pour finir le pont » (d’Avignon). Grand fidèle au répertoire, textuel avant tout mais aussi plus largement théâtral avec ses récentes créations inspirées du Living Theatre ou Antonin Artaud, le metteur en scène est invité à choisir une œuvre en relation avec la langue invitée à chaque édition. Cette année, il a réuni deux acteurs et deux actrices présents dès les débuts de sa troupe, le Théâtre permanent, et nous propose avec eux une folle traversée de la merveilleuse comédie merveilleuse de Shakespeare, dont il révèle toute la facétie.
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« Des femmes qui nagent » de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez au TGP – traces de films déposées sur la scène

Le TGP accueille pour une dizaine de dates la nouvelle création d’un texte de Pauline Peyrade, résultat d’une commande d’Émilie Capliez qui le met en scène. Des femmes qui nagent manifeste un déplacement profond dans l’écriture de l’autrice. Jusqu’ici, ses textes pour le théâtre prenaient la forme de fictions soigneusement mises en page, pour rendre compte de notre perception éclatée du réel. Des textes qui mettent la scène au défi de restituer les multiples plans et strates de l’écriture. Avec cette œuvre, pour la première fois, Pauline Peyrade écrit explicitement à partir de. En l’occurrence, à partir d’une vaste culture cinématographique, conjuguée au féminin. Son écriture incisive, rythmée, se trouve ainsi arrimée à un vaste matériau qui laboure notre mémoire et fait surgir de multiples images – images sublimées et décuplées par la mise en scène très esthétique d’Émilie Capliez.
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« Nous revivrons » de Nathalie Béasse au Théâtre de la Bastille – impressions d’impressions tchekhoviennes

Nathalie Béasse est de retour au Théâtre de la Bastille, qui accueille fidèlement ses spectacles depuis plusieurs années. Le dernier en date, Nous revivrons, est une commande de la Comédie de Colmar et du Théâtre national de Strasbourg, avec la complicité du programme 1er acte qui soutient la visibilité des jeunes issus de la diversité sur les plateaux de théâtre. Nathalie Béasse a ainsi travaillé pour la première fois avec deux acteurs et une actrice, et a choisi pour point de départ L’Homme des bois, pièce inachevée de Tchekhov qui contient en germe Oncle Vania, mais aussi Les Trois Sœurs et La Cerisaie. Ce texte n’est qu’un point de départ, comme le signale la locution « d’après », car le travail singulier de la metteuse en scène consiste tout à la fois à effacer le texte, dont ne restent que des bribes, et à le rejoindre par des actions performatives. Le résultat prête à la rêverie autant qu’à la réflexion, sur notre état moral et sur le théâtre.
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« Poquelin II » des tg STAN à la Bastille – la puissance de jeu de Molière révélée par des Flamands ironiques

L’année Molière – dont le quadricentenaire de la naissance a été fêté de multiples manières ces derniers mois –, et plus largement l’année théâtrale 2022, se terminent en beauté avec Poquelin II, spectacle du tg STAN créé en 2018 et pour la première fois présenté à Paris, à la Bastille toujours. Le « II » du titre, qui inscrit ce spectacle à la suite d’un autre créé en 2003, annonce discrètement un diptyque, composé de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Les deux comédies sont jouées l’une après l’autre, sans transition. Cette soirée deux en une fait prendre la mesure du talent du collectif, tout comme de la puissance de jeu du théâtre de Molière, dont le texte n’a jamais été aussi bien entendu que dans la bouche de ces Flamands.
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« Vider Vénus » de Gaëlle Bourges au Carreau du Temple – beau comme la rencontre fortuite sur une scène du strip-tease et de l’histoire de l’art

Au Carreau du Temple, sont repris les trois premiers spectacles de Gaëlle Bourges, sous la forme d’un triptyque intitulé Vider Vénus. Ces trois spectacles, Je baise les yeux, La Belle Indifférence et Le Verrou, ont été conçus entre 2008 et 2012 comme le rappelle une voix off, une fois les lumières de la salle éteintes, dont l’un des fils rouges qui les unit est la pratique du strip-tease. La voix off poursuit en précisant que le sujet était alors moins visibilisé qu’aujourd’hui, mais aucune modification n’a été apportée aux spectacles entre temps, et, pour déjouer leur caractère potentiellement périmé, elle invite à les aborder comme des archives, des documents du passé. Une immense pertinence se dégage pourtant du propos de ces trois œuvres, qui en outre se révèlent fondatrices dans le rapport à l’histoire de l’art que Gaëlle Bourges a tissé de manière extrêmement singulière tout au long de sa trajectoire. Un rapport d’appropriation des grandes œuvres par l’écriture, le corps et la scène, tout à la fois facétieux, érudit, irrévérent et profondément vivant.
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« L’Étang » de Robert Walser mis en scène par Gisèle Vienne à Points communs – adaptation ventriloque

L’Étang de Gisèle Vienne est de ces spectacles qui entretiennent un désir particulier avant leur découverte, à force d’être programmé, annulé, reporté – d’abord à cause du décès d’une actrice, Kerstin Daley, puis à cause du covid. Le spectacle est en outre chaque fois présenté pour quelques dates seulement aussitôt prises d’assaut, ce qu’explique entre autres la présence d’Adèle Haenel sur scène. La tournée touchait à son terme – pour cette saison du moins – à Pontoise, où s’est réuni un public nombreux. Comme espéré, L’Étang s’inscrit dans le sillage des précédentes créations de Gisèle Vienne, Jerk, This Is How You Will Disappear, The Ventriloquist Convention ou Crowd. L’artiste intègre cependant une nouvelle donnée à son geste artistique : un texte de Robert Walser, adapté à plusieurs mains. Le spectacle ne prend pas pour autant la forme d’une adaptation ; la relation au texte mise en place est plutôt de l’ordre de l’ingurgitation. Le travail mené sur les conditions d’appréhension du plateau impose une perception intra-utérine du texte qui produit une nouvelle expérience singulière – mais peut-être moins convaincante que les précédentes.
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« Quai ouest » de Koltès mis en scène par Ludovic Lagarde au Théâtre Nanterre-Amandiers – errances dramaturgiques

Ludovic Lagarde fait partie des rares metteurs en scène aujourd’hui qui montent des textes de théâtre – de Tchekhov, Brecht, Shakespeare, Sarah Kane, Büchner, Jelinek... et d’autres moins renommés qu’il contribue à faire connaître. Avec un tel répertoire, il paraissait inévitable qu’il en vienne à Koltès. Lagarde ne choisit pas l’une des plus connues de cet auteur, mais Quai ouest, qui n’a fait l’objet que d’une vingtaine de mises en scène en France depuis la création de Patrice Chéreau en 1986. C’est justement au même endroit, à Nanterre, qu’est programmé le spectacle, mais dans le bâtiment temporaire, en attendant la fin des travaux. Entouré de ses acteurs fétiches, Lagarde promet un beau spectacle. Le rendez-vous est cependant manqué, ce spectacle ne sera pas mémorable comme ont pu l’être L’Avare ou la trilogie Büchner. À défaut d’être embarqué, on aura pensé à tout ce que pourrait ou devrait être une mise en scène de ce texte.
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« Le spectateur », Christian Biet et Christophe Triau

C’est déjà commencé. Ce soir, j’y vais. Il a  d’abord fallu « envisager-d’aller-au-théâtre », se mettre dans l’idée qu’on va voir des corps vivants, entendre un texte, s’asseoir devant un plateau dans un espace réservé au spectacle, à côté d’autres spectateurs que, contrairement au cinéma, on ne peut ignorer, que l’on sent, que l’on entend et souvent que l’on voit. Il a fallu prendre les places, à l’avance, généralement numérotées. Une cérémonie que tout cela, un rite qui marque la sortie du soir, une vraie envie. Ce n’est pas banal. Et puis il a encore fallu que je choisisse : le lieu, le bâtiment, sa réputation, son directeur (j’ai mes fidélités), les acteurs (on dit que tel ou telle est très bien dans la pièce), le metteur en scène, l’auteur (un classique, un moderne dont on parle ?), le texte (y en a-t-il un, au moins, cette fois ?). Ah, oui ! le texte, ce qu’il faut entendre et juger, à travers une suite d’entités qui le revendiquent : un texte éclairé, scénographié, exploré par la diction, porté par le jeu des acteurs, magnifié par le plateau ou englouti par lui. Compliqué. En me rendant au théâtre, je me sens obligé de faire plus de choix que pour tout autre spectacle, avec bien plus de prérequis. C’est intimidant en somme. Au point qu’on en vient à proposer des écoles du spectateur, ce qui me désespère. Ce soir, donc, j’ai décidé d’être curieux, de renouer avec ce qu’est d’abord le théâtre : un spectacle dont on n’a rien vu et que l’on n’a pas lu encore, un spectacle tout entier vivant.
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« Rester vivant » d’Yves-Noël Genod : mettre à mort le théâtre, avec la poésie

Yves-Noël Genod, « Distributeur de poésie et de lumières » A l’occasion d’un entretien, l’artiste Yves-Noël Genod affirme : « Pour faire du théâtre, il faut sans doute tuer le théâtre : le théâtre doit être vivant ! »[1]. Le caractère paradoxal de son propos repose sur un usage polysémique – et donc poétique – du terme « théâtre » : à celui de conventions, qu’il faudrait tuer, il oppose celui auquel il aspire, qu’il ne définit pas autrement que par son caractère vivant.
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