Étiquette : scénographie

« Rapt » de Chloé Dabert à la Comédie de Reims – au piège de l’art théâtral, et de notre crédulité

Il y a – mais c’est heureusement rare – des spectacles qui placent la critique dans une position impossible. Soit elle doit prendre le parti de ne rien dire, de contourner le sujet principal et de se contenter de louer la précision de la mise en scène, la finesse de la direction d’acteur en citant les artistes, la sophistication et la fluidité de la scénographie, et sa pertinence aussi – mais sans pouvoir expliquer pourquoi... exercice consisterait alors à distribuer des éloges sans les fonder et ne servirait qu’à féliciter l’équipe de création – ce qui n’est pas rien, mais ce qui ne met pas en réflexion et ne permet pas de conserver la trace du spectacle. Soit elle doit se résoudre à spoiler, à divulgâcher l’essentiel, au risque de compromettre le plaisir du spectateur, voire, avec un peu de prétention, la vie du spectacle et ses possibles tournées. Le dilemme reste irrésolu tout au long de la représentation de Rapt, dernière création de Chloé Dabert à la Comédie de Reims. Jusqu’à la fin, ce questionnement place dans une position de vulnérabilité et de crédulité qui rend la démonstration plus magistrale encore. Après beaucoup d’hésitation, cette critique prend le parti de révéler l’effet de surprise, non seulement car elle n’a pas la prétention d’être assez lue pour compromettre quoi que ce soit, mais surtout car il n’est pas envisageable de passer sous silence une expérience aussi profondément troublante.
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« Andromaque » de Stéphane Braunschweig à l’Odéon – sinistre reflet du désordre extrême de notre époque

Après Jours de joie d’Arne Lygre en 2022, Comme tu me veux de Luigi Pirandello en 2021 et Iphigénie de Racine en 2020, Stéphane Braunschweig revient à ce dernier et à la guerre de Troie avec Andromaque. Ce n’est que le troisième texte de Racine que le metteur en scène monte depuis Britannicus en 2016, alors que son identité artistique est fortement constituée par la mise en scène des classiques, qu’il fait partie des rares artistes, dans le paysage actuel, qui s’y mesurent sans les adapter ou les confronter à d’autres textes. Avec l’équipe qui lui est fidèle, il propose donc le texte de Racine seul et intégral, dans une scénographie sur laquelle repose, comme à son habitude, une grande partie de sa dramaturgie. Sans en avoir l’air, Braunschweig produit cependant un effet de relecture profond de la pièce de Racine, qui n’apparaît plus comme une tragédie classique qui puise dans un matériau épique antique pour démontrer à partir de lui les lois implacables de la fatalité, mais comme un reflet sinistre – au sens racinien du terme – de notre époque et de nos passions destructrices.
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« Hedda » d’Aurore Fattier aux Ateliers Berthier – pendant les répétitions

Le Théâtre de l’Odéon offre en cette fin de saison l’occasion de découvrir le travail d’Aurore Fattier – actrice dans Le Firmament de Chloé Dabert en ce moment en tournée – en tant que metteuse en scène. L’artiste française dont les spectacles sont surtout présentés en Belgique est ici programmée avec une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou plutôt, une « variation contemporaine » signée par son dramaturge, Sébastien Monfè, et par Mira Goldwicht. À l’origine de ce projet, il y a sans doute la question : comment monter ce texte classique aujourd’hui ? La réponse est apportée sous forme de mise en abyme : le spectacle donne à voir une metteuse en scène et sa compagnie au travail, à quelques jours de la première. La dramaturgie d’Ibsen se trouve ainsi décalée, décentrée, mais aussi dédoublée. La mise à distance n’est pas des plus fines, mais le dispositif exerce un certain pouvoir de fascination.
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« Par autan » de François Tanguy à la Comédie de Caen – promenade sur cimes alpines

Après Strasbourg, après Perpignan, Par autan arrive à Caen. Le Théâtre du Radeau a courageusement repris les routes avec son dernier spectacle créé à Montpellier en mai dernier, spectacle irrémédiablement marqué par le décès de François Tanguy, survenu début décembre 2022, à quelques jours des premières dates prévues au T2G. François Tanguy a signé la mise en scène et la scénographie et cosigné l’élaboration sonore et les lumières de toutes les créations de la compagnie depuis 1985. Son activité théâtrale se résume à ses spectacles ou presque, car il n’a jamais répondu à une commande, ni jamais dirigé une institution. Ce faisant, il a affirmé une singularité exceptionnelle, grâce à laquelle il a occupé une place bien particulière dans le paysage théâtral contemporain, une place qui lui est propre. Par autan bien loin d’offrir le point final, imprévu, de quarante ans de travail, révèle tout ce qui était encore en mouvement, en déplacement, dans la recherche artistique de Tanguy. Le spectacle se présente comme une promenade sur cimes alpines parfois venteuses, promenade composée d’innombrables textes dont se dégagent facétie et mélancolie.
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« Quai ouest » de Koltès mis en scène par Ludovic Lagarde au Théâtre Nanterre-Amandiers – errances dramaturgiques

Ludovic Lagarde fait partie des rares metteurs en scène aujourd’hui qui montent des textes de théâtre – de Tchekhov, Brecht, Shakespeare, Sarah Kane, Büchner, Jelinek... et d’autres moins renommés qu’il contribue à faire connaître. Avec un tel répertoire, il paraissait inévitable qu’il en vienne à Koltès. Lagarde ne choisit pas l’une des plus connues de cet auteur, mais Quai ouest, qui n’a fait l’objet que d’une vingtaine de mises en scène en France depuis la création de Patrice Chéreau en 1986. C’est justement au même endroit, à Nanterre, qu’est programmé le spectacle, mais dans le bâtiment temporaire, en attendant la fin des travaux. Entouré de ses acteurs fétiches, Lagarde promet un beau spectacle. Le rendez-vous est cependant manqué, ce spectacle ne sera pas mémorable comme ont pu l’être L’Avare ou la trilogie Büchner. À défaut d’être embarqué, on aura pensé à tout ce que pourrait ou devrait être une mise en scène de ce texte.
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« Fraternité, conte fantastique » de Caroline Guiela Nguyen aux Ateliers Berthier – théâtre de larmes sans catharsis

Dans la continuité de Saïgon, qu’un des personnages introduisait comme une « histoire de larmes », le dernier spectacle de Caroline Guiela Nguyen, Fraternité, conte fantastique, propose à nouveau un théâtre de larmes. La metteuse en scène propose cette fois un conte dans lequel la moitié de l’humanité a disparu, et ceux qui ont survécu dépensent toute leur énergie à se consoler les uns les autres. La catastrophe imaginée fait écho aux temps que nous vivons, mais l’émotion ne naît pas de cette possible résonance avec le réel. Le décalage est encore plus net que dans Saïgon, entre un projet théâtral fort, lourd de convictions, et un spectacle qui n’en livre que des bribes.
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« Gloucester Time – Matériau Shakespeare – Richard III » de Marcial di Fonzo Bo et Frédérique Loliée à la Comédie de Caen – Shakespeare au présent

Les spectacles portant la mention « d’après » sont nombreux de nos jours : ils s’inspirent de romans, de scénarios de films, de textes poétiques ou philosophiques. La dernière création de Marcial di Fonzo Bo et Frédérique Loliée porte quant à elle la mention : « d’après la mise en scène de Matthias Langhoff ». Voilà que le théâtre s’imite lui-même, pour faire vivre sa propre histoire ! La saison du CDN de Caen s’ouvre en effet avec la reprise d’une mise en scène créée à Avignon en 1995, Gloucester Time – Matériau Shakespeare – Richard III, mise en scène légendaire, dont le plateau incliné est notamment devenu une référence dans l’histoire de la scénographie. L’approche de ce spectacle est cependant intime. Les deux metteurs en scène à l’origine du projet étaient jadis acteurs dans la première promotion de l’École du Théâtre National de Bretagne. Sous le regard bienveillant du metteur en scène d’origine allemande, ils rassemblent souvenirs et archives et entraînent dans leur aventure toute une bande de jeunes acteurs. Le spectacle recréé est une démonstration de vie et d’énergie qui célèbre le retour au théâtre après plusieurs mois et donne le coup d’envoi d’une saison qui s’annonce extrêmement riche.
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« Forums » mis en scène par Jeanne Herry au Théâtre du Vieux-Colombier – plongée dans le subconscient d’un monde malade

En marge des mises en scènes des œuvres du répertoire, la Comédie-Française s’essaie régulièrement à quelques incursions dans le monde contemporain, sollicitant de nouvelles écritures. A l’origine de Forums, se trouve ainsi un projet de Maël Piriou, exhumé par Jeanne Herry, artiste polyvalente qui semble réussir dans tout ce qu’elle entreprend, que ce soit au théâtre, en littérature ou au cinéma. L’an dernier, elle a fait parler d’elle avec Pupille, film récompensé par plusieurs César. Après avoir amené la lumière sur les enfants abandonnés à la naissance en attente d’adoption, elle aborde avec son spectacle un autre pan de notre réalité laissé dans l’ombre : les forums en ligne. Le sujet apparaît d’emblée comme un défi pour le théâtre, tenu de représenter et d’incarner un monde virtuel. Si ce genre de gageure peut l’amener à se renouveler, voire à se surpasser, un tel sujet est loin de ne soulever que des problèmes artistiques. La question qui aurait dû guider Jeanne Herry dans ce travail aurait plutôt dû être : comment penser cette réalité étrange, qui met mal à l’aise, voire qui déprime sur le monde dans lequel on vit.
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« En miettes » en scène

Après sa création en janvier 2017 dans l’Oise, En miettes a été programmé deux semaines au Théâtre de Belleville, du 7 au 18 mars. Deux ans après nos premiers échanges dramaturgiques avec Laura, en février 2015, le spectacle a donc vu le jour et a été soumis au regard des spectateurs – certains désireux de découvrir le projet dont ils entendaient parler depuis longtemps, d’autres entraînés par le bouche-à-oreille, et même quelques-uns venus là par l’effet du hasard, peut-être.…

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