Étiquette : narration

« Drive Your Plow Over the Bones of the Dead » de Simon McBurney à l’Odéon – fable écologique sur ce qui nous relie

Retrouvailles avec Simon McBurney plus de dix ans après son mémorable Maître et Marguerite, présenté dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Une continuité profonde lie ce spectacle au dernier en date, Drive Your Plow Over the Bones of the Dead : il s’agit une nouvelle fois de l’adaptation d’un roman – Sur les ossements des morts dans sa traduction française, écrit par l’autrice polonaise Olga Tokarczuk, Prix Nobel 2018 – qui a pour figure principale une femme. Après Marguerite donc, Janina. Ou plutôt Mme Doucheyko, car le personnage déteste son prénom. Ce n’est cette fois pas la magie de Woland qui inspire le metteur en scène britannique, mais, de manière plus diffuse, une perception ésotérique du monde, qui relie les astres à la nature, les animaux aux hommes, le petit au grand. Avec ce spectacle, la compagnie Complicité nous embarque dans une grande fresque narrative aux accents écologiques, grâce à un langage aussi précis que sophistiqué et un jeu d’acteur fascinant.
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« Vernon Subutex 1 » de Thomas Ostermeier au Théâtre de l’Odéon – galerie de portraits au vitriol

Après Histoire de la violence en 2018 et Qui a tué mon père en 2020 d’Édouard Louis, Thomas Ostermeier s’empare d’un autre roman contemporain, Vernon Subutex de Virginie Despentes. En prenant appui sur des écrivains qui tout à la fois défraient la chronique et sont encensés comme de grands auteurs de notre époque, le célèbre metteur en scène allemand tire parti de leur aura. Son nom associé à celui d’une œuvre dont le public a déjà entendu parler – s’il ne l’a pas lue – pour un spectacle programmé par un Théâtre national assure une salle pleine. C’est le cas de l’Odéon qui accueille les quatre heures de spectacle, devant un public en manque de dramaturgie et de narration mais séduit par la galerie de portraits qui lui est présentée.
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« La Faculté des rêves » de Christophe Rauck au Théâtre Nanterre-Amandiers – « Andy Warhol a volé la pièce de Valerie Solanas ! »

Christophe Rauck reprend à Nanterre un spectacle créé il y a un peu plus d’un an au Théâtre du Nord, La Faculté des rêves, d’après un roman de Sara Stridsberg. L’œuvre est consacrée à Valerie Solanas, « pute intellectuelle » des années 1960 aux États-Unis, connue pour l’écriture d’un manifeste féministe radical et pour une tentative d’assassinat à l’encontre d’Andy Warhol. Après s’être intéressé à cette personnalité historique oubliée malgré son destin extraordinaire, Christophe Rauck a ensuite monté un autre texte de l’autrice suédoise contemporaine, Dissection d’une chute de neige, cette fois inspiré par la reine Christine de Suède. Quoique ces deux spectacles semblent pouvoir constituer en diptyque à la cohérence profonde, une différence majeure les distingue : l’un est une adaptation de roman, l’autre la mise en scène d’une pièce de théâtre. Alors que l’appel à la scène est évident dans le deuxième cas, la pratique de l’adaptation exige de justifier le passage de la page à la scène. La nécessité théâtrale manque cependant cruellement, dans La Faculté des rêves.
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« The Hidden Force » d’Ivo van Hove à la Villette – dissolution des frontières

Dans le cadre du Festival 100% qu’organise la Villette, qui réunit plusieurs disciplines, sont invités les metteurs en scène belges Jan Lauwers et Ivo van Hove. Ce dernier présente un autre volet de sa trilogie autour des œuvres de Louis Couperus, auteur néerlandais méconnu au-delà des frontières de son pays : après Les Choses qui passent, présenté à Avignon l’année dernière, le public français découvre désormais The Hidden Force. Pour ce spectacle, Ivo Van Hove s’inspire d’un roman qui porte sur l’histoire coloniale des Pays-Bas, centré sur la figure du Résident. Comme le Consul de Malcolm Lowry dans Au-dessous du volcan, ou le directeur de comptoir Kurtz d’Au cœur des ténèbresde Conrad, ce personnage incarne le choc de deux civilisations et la nécessaire dissolution de l’une dans l’autre – mais pas celle que l’on croit. Pour figurer les contradictions d’Otto van Oudjick, Ivo van Hove entraîne au cœur de la jungle indonésienne, où se déchaînent les éléments et s’évanouissent les repères.
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« L’Adolescent » de Dostoïevski – Confession aveugle d’un enfant du XIXe siècle

Quelques années avant Les Frères Karamazov, Dostoïevski commence un nouveau grand roman, L’Adolescent. Pour cette œuvre, il fait un choix radical, qui déjà le tentait pour Crime et châtiment : la forme qu’il choisit est celle de la confession, qui transforme l’adolescent qui donne son titre à l’œuvre en narrateur de l’histoire emmêlée qu’il imagine. La voix qui s’exprime alors est semblable à beaucoup d’égards à celle des Carnets du sous-sol– à la nuance près que ces carnets-là représentent deux gros volumes de près de mille pages en tout. Limitée à cette seule perspective, toute l’écriture de l’œuvre résulte profondément déterminée par ce parti-pris. Renonçant à la polyphonie à laquelle on attribuera en grande partie le caractère moderne de ses autres grands romans, Dostoïevski (s’)immerge dans la perception de son personnage, dont les contradictions sont particulièrement exacerbées alors qu’il est en pleine formation.
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« Le Narrateur » de Walter Benjamin [extrait] – information VS narration

Le premier signe avant-coureur d’un processus, qui devait aboutir au déclin de la narration, fut l’apparition du roman au début des Temps modernes. Ce qui distingue le roman du récit (et de l’épopée au sens étroit), c’est qu’il est inséparable du livre. Le roman n’a pu se développer qu’avec l’invention de l’imprimerie. La tradition orale – domaine de l’épopée – est d’une tout autre nature que ce qui fait l’étoffe même du roman.
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« Crowd » de Gisèle Vienne aux Amandiers – hallucination perceptive sur musique électro

Après les airs de variété italienne et les derniers tubes de Rihana, c’est au son de la musique électronique que vibrent les Amandiers de Nanterre. Vincent Macaigne a en effet laissé la place à Gisèle Vienne, qui présente dans le cadre du Festival d’Automne sa dernière œuvre, Crowd. L’artiste franco-autrichienne, qui pratique aussi bien l’art des marionnettes, le théâtre ou la danse, propose cette fois un spectacle chorégraphique, dans lequel elle revisite les codes de la rave-party. Portant sur la pratique un regard presque scientifique, elle donne à voir un groupe de jeunes réunis par la musique électro. Décomposant l’événement, elle étudie les comportements auxquels il donne lieu, les rapports des individus à l’espace, les distances et rapprochements qui unissent les corps, les mouvements. Le résultat est une œuvre hallucinatoire, qui saisit la perception, amène à tisser de multiples histoires, et ouvre ainsi des espaces d’investissements singuliers dans cette pratique pourtant caractérisée par sa dimension communautaire.
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« Humiliés et offensés » de Dostoïevski – raconter, ou revivre

Parmi les œuvres dites de jeunesse de Dostoïevski, s’en trouve une aussi ample que celles de la maturité. Il s’agit d’Humiliés et offensés, roman écrit avant la double rupture que constituent le séjour de Dostoïevski au bagne, raconté dans ses Carnets de la maison morte, et l’écriture des Carnets du sous-sol, son œuvre la plus sombre et la plus pessimiste quant à la nature humaine.…

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« Les Frères Karamazov » d’après Dostoïevski à la Friche Babcock – dynamitage signé Castorf

Après Bellorini cet été à Avignon, c’est au tour de l’Allemand Frank Castorf de présenter son adaptation des Frères Karamazov, créée en 2015. Le metteur en scène, venu en France il y a quatre ans pour la dernière fois avec sa Dame aux camélias, a cette fois été invité dans le cadre du Festival d’Automne.…

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