Étiquette : musique

« Sans tambour » de Samuel Achache au Cloître des Carmes – symphonie d’émotions hors des mots

Sept ans après Fugue au Cloître des Célestins, Samuel Achache est invité à investir un autre Cloître du Festival d’Avignon, celui des Carmes, avec sa nouvelle création, Sans tambour. Le public est nombreux, mondain, pressé de s’offrir un de ces objets incomparables dont l’artiste a le secret, objet composé de musique et d’humour, dont la clé dramaturgique nous reste secrète mais qui nous invite pour cette raison à un investissement subjectif conséquent. Avec ce spectacle, Achache fait du spectateur un être de pure émotion, bien en peine de rendre compte de tout ce qu’il a vu et entendu et de tout ce qui l’a traversé.
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« La Bombe humaine » de Vincent Hennebicq et Eline Schumacher au Théâtre des Doms – ouvrir sur scène la boîte de Pandore de notre conscience écologique

Alors que La Bombe humaine est annoncé comme un spectacle sur la catastrophe écologique, la scène du Théâtre des Doms est recouverte de cotillons et de confettis. Mais qui a déjà cherché des décorations de fête non sans quelques scrupules d’acheter des consommables notera que celle-ci sont en papier crépon, et non en plastique. Ces premières réflexions en attendant le début du spectacle nous immergent d’emblée dans les questions qui seront soulevées ici, celles qui nous taraudent et composent désormais notre quotidien : notre éco-anxiété, nos compromis, nos dilemmes, nos inquiétudes et nos faibles espoirs – en deux mots, la boîte de Pandore de notre conscience écologique. Malgré les titres des chapitres qui composent le spectacle, le propos tissé n’est pas catastrophiste, ni non plus utopiste. Eline Shumacher et Vincent Hennebicq se tiennent sur le fil, au plus près de nos oscillations intimes.
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« Vernon Subutex 1 » de Thomas Ostermeier au Théâtre de l’Odéon – galerie de portraits au vitriol

Après Histoire de la violence en 2018 et Qui a tué mon père en 2020 d’Édouard Louis, Thomas Ostermeier s’empare d’un autre roman contemporain, Vernon Subutex de Virginie Despentes. En prenant appui sur des écrivains qui tout à la fois défraient la chronique et sont encensés comme de grands auteurs de notre époque, le célèbre metteur en scène allemand tire parti de leur aura. Son nom associé à celui d’une œuvre dont le public a déjà entendu parler – s’il ne l’a pas lue – pour un spectacle programmé par un Théâtre national assure une salle pleine. C’est le cas de l’Odéon qui accueille les quatre heures de spectacle, devant un public en manque de dramaturgie et de narration mais séduit par la galerie de portraits qui lui est présentée.
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« Exit » de Fausto Paravidino mis en scène par Anne-Sophie Pauchet à la Comédie de Caen – autopsie ludique d’un couple

Anne-Sophie Pauchet s’est attelée à la création française d’Exit, texte du dramaturge italien contemporain Fausto Paravidino – nom qui paraît contenir la promesse de récits fondateurs par ses sonorités, qui convoque une tradition littéraire mêlant de manière facétieuse Goethe et Dante. Ce texte offre l’autopsie d’un couple, comparable à celle qu’a pu offrir Bergman dans ses Scènes de la vie conjugale. Par rapport à l’auteur suédois, Parvidino ne décortique pas la fin de l’amour de manière chronologique, par percées successives, mais grâce à un carrousel temporel qui déplie le passé dans le désordre avant de faire coexister le présent et son commentaire. S’il choisit pour toile de fond une géopolitique contemporaine elle aussi en crise, l’humour dompte l’émotion en la mettant souvent à distance. Grâce à ses acteurs dirigés avec beaucoup de finesse, la metteuse en scène réussit à faire percevoir les infinies modulations de ce texte qui conjugue plusieurs registres et plusieurs modalités de parole.
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« Que ta volonté soit Kin » de Sinzo Aanza, mis en scène par Aristide Tanagda, à l’Odéon – anti-épopée

Alors que le Festival d’Avignon a lancé son coup d’envoi il y a quelques jours, les saisons théâtrales, largement perturbées cette année, se terminent ici et là. Le Théâtre de l’Odéon clôt ainsi l’année avec Que ta volonté soit Kin, texte de l’artiste congolais Sinzo Aanza créé l’an dernier par Aristide Tanagda, metteur en scène burkinabé qui dirige les Récréatrâles, grand festival de théâtre panafricain. La scénographie, le texte et les acteurs transportent le temps d’une soirée à Kinshasa, « Kin », plus grande ville d’Afrique située près du fleuve Congo. Avant de se laisser embarquer, un souvenir s’impose au moment de la découverte du plateau, celui de Shéda, spectacle de Dieudonné Niangouna, metteur en scène lui aussi congolais, autre figure majeure du théâtre africain régulièrement invitée en France. Mais alors que Niangouna offrait un spectacle épique dans la Carrière de Boulbon en 2013, Aanza et Tarnagda assument à l’inverse une anti-épopée.
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« Onéguine » d’après Pouchkine, mis en scène par Jean Bellorini, au TGP – des mondes à partir de quelques mots

Le Théâtre Gérard Philipe ouvre sa saison avec Un Conte de Noël de Julie Deliquet, nouvelle directrice des lieux, mais aussi avec la reprise d'Onéguine, spectacle créé il y a un an et demi au même endroit par Jean Bellorini, son prédécesseur. Onéguine s’inscrit dans la continuité des précédents spectacles de Bellorini, et tout particulièrement de ses Karamazov d’après Dostoïevski (spectacle créé à Avignon en 2016). D’abord parce que Pouchkine, poète du XIXe siècle, est une référence déterminante dans la littérature et la culture russe, et que Dostoïevski lui a rendu hommage dans un discours célèbre peu avant sa mort. Ensuite parce que l’œuvre la plus connue de Pouchkine, Eugène Onéguine a récemment été retraduite par André Markowicz, traducteur de référence de Dostoïevski aujourd’hui, qui a réussi la gageure de traduire ce roman écrit en vers en octosyllabes rimés. Pour amener sur scène ce texte qui transcende les genres, qui se situe au carrefour du roman, de la poésie, et peut-être même du théâtre, Bellorini a conçu un dispositif qui place en son cœur l’écoute – celle d’une histoire, et celle d’une langue poétique.
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« GRANMA. Les trombones de La Havane » du Rimini Protokoll – partie de béisbol entre deux générations et deux pays

Le Laboratorio Escenico Experimental Social (LEES) est une association qui stimule la création artistique cubaine grâce à des invitations à des artistes étrangers, des résidences, des rencontres ou encore des conférences. En février 2018, ses fondatrices recevaient Stefan Kaegi dans les murs de la Casona Teatral Vincente Revuelta, pour un atelier au cours duquel l’artiste suisse présentait les principes du collectif berlinois Rimini Protokoll, aujourd’hui internationalement reconnu. Depuis ses débuts en 2000, le collectif a été initiateur d’un théâtre documentaire – particulièrement prisé par le théâtre contemporain – fondé sur un travail de terrain et la collaboration avec des « experts du quotidien », des individus non-acteurs qui montent sur scène et mettent en perspective l’Histoire avec leur vie intime. Ce mode de création implique un long temps de collecte et une pénétration profonde dans la vie des individus, mais il nécessite également l’élaboration d’une dramaturgie précise, pour que toute cette matière devienne spectacle. Au moment de la rencontre évoquée, le Rimini Protokoll avait déjà commencé une vaste « investigation théâtrale » sur Cuba. Trois ans et demi plus tard, le résultat de cette enquête, intitulé GRANMA. Les Trombones de La Havane, est présenté à la Commune d’Aubervilliers dans le cadre du Festival d’Automne. L’œuvre conçue immerge de manière fascinante dans l’histoire et dans la réalité cubaine d’aujourd’hui, à travers les récits de quatre jeunes.
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« The Hidden Force » d’Ivo van Hove à la Villette – dissolution des frontières

Dans le cadre du Festival 100% qu’organise la Villette, qui réunit plusieurs disciplines, sont invités les metteurs en scène belges Jan Lauwers et Ivo van Hove. Ce dernier présente un autre volet de sa trilogie autour des œuvres de Louis Couperus, auteur néerlandais méconnu au-delà des frontières de son pays : après Les Choses qui passent, présenté à Avignon l’année dernière, le public français découvre désormais The Hidden Force. Pour ce spectacle, Ivo Van Hove s’inspire d’un roman qui porte sur l’histoire coloniale des Pays-Bas, centré sur la figure du Résident. Comme le Consul de Malcolm Lowry dans Au-dessous du volcan, ou le directeur de comptoir Kurtz d’Au cœur des ténèbresde Conrad, ce personnage incarne le choc de deux civilisations et la nécessaire dissolution de l’une dans l’autre – mais pas celle que l’on croit. Pour figurer les contradictions d’Otto van Oudjick, Ivo van Hove entraîne au cœur de la jungle indonésienne, où se déchaînent les éléments et s’évanouissent les repères.
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« Misterios y pequeñas piezas » de Carlos Celdrán – récit de (dé-)formation

Dans Misterios y pequeñas piezas, Carlos Celdrán passe une nouvelle fois sa vie au tamis du théâtre. Après le roman des origines, qui reconstituait la triade père-mère-fils et partant ainsi du plus intime atteignait le cœur de problématiques politiques dans Diez millones, le metteur en scène se penche cette fois sur sa formation et se demande comment apprendre d’un maître et comment s’en affranchir pour s’affirmer comme artiste à son tour. Ce récit s’élabore cette fois encore entre la table et le plateau, et travaille à innerver le vécu de fiction pour le rétablir de la distance et le rendre partageable.
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« Crowd » de Gisèle Vienne aux Amandiers – hallucination perceptive sur musique électro

Après les airs de variété italienne et les derniers tubes de Rihana, c’est au son de la musique électronique que vibrent les Amandiers de Nanterre. Vincent Macaigne a en effet laissé la place à Gisèle Vienne, qui présente dans le cadre du Festival d’Automne sa dernière œuvre, Crowd. L’artiste franco-autrichienne, qui pratique aussi bien l’art des marionnettes, le théâtre ou la danse, propose cette fois un spectacle chorégraphique, dans lequel elle revisite les codes de la rave-party. Portant sur la pratique un regard presque scientifique, elle donne à voir un groupe de jeunes réunis par la musique électro. Décomposant l’événement, elle étudie les comportements auxquels il donne lieu, les rapports des individus à l’espace, les distances et rapprochements qui unissent les corps, les mouvements. Le résultat est une œuvre hallucinatoire, qui saisit la perception, amène à tisser de multiples histoires, et ouvre ainsi des espaces d’investissements singuliers dans cette pratique pourtant caractérisée par sa dimension communautaire.
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