« La Bombe humaine » de Vincent Hennebicq et Eline Schumacher au Théâtre des Doms – ouvrir sur scène la boîte de Pandore de notre conscience écologique

Alors que La Bombe humaine est annoncé comme un spectacle sur la catastrophe écologique, la scène du Théâtre des Doms est recouverte de cotillons et de confettis. Mais qui a déjà cherché des décorations de fête non sans quelques scrupules d’acheter des consommables notera que celle-ci sont en papier crépon, et non en plastique. Ces premières réflexions en attendant le début du spectacle nous immergent d’emblée dans les questions qui seront soulevées ici, celles qui nous taraudent et composent désormais notre quotidien : notre éco-anxiété, nos compromis, nos dilemmes, nos inquiétudes et nos faibles espoirs – en deux mots, la boîte de Pandore de notre conscience écologique. Malgré les titres des chapitres qui composent le spectacle, le propos tissé n’est pas catastrophiste, ni non plus utopiste. Eline Shumacher et Vincent Hennebicq se tiennent sur le fil, au plus près de nos oscillations intimes.

Ce n’est pas avec la chanson du groupe Téléphone qui donne son titre au spectacle que celui-ci s’ouvre mais avec un morceau de Purcell bien connu, Music for a while. Il est interprété par une femme au piano, Olivia Carrère, la voix suspendue au-dessus de son clavier et d’autres consoles, et les paroles qu’elle prononce traduites grâce à un panneau au-dessus de la scène, avant d’être accompagnée par Marine Horbaczewski au violoncelle. Une musique pour apaiser les tourments, dit ce chant. Vincent Hennebicq prend ensuite la parole et affirme que la musique, en plus d’apaiser les tourments, donne de l’espoir. Par la suite, la partition musicale du spectacle sous-tendra toute sa dramaturgie, créant des points de rencontre émotionnels et mettant en dialogue les mots prononcés par les acteurs avec les paroles des mélodies. The End of the World de Skeeter Davis, interprété au moment du récit d’une rupture amoureuse, prend ainsi un sens radicalement nouveau dans le contexte écologique mis en place.

Cette belle place accordée à la musique permet de rythmer le spectacle et de ciseler tous les affects qu’il invite à traverser. Après Purcell, le coup d’envoi est donné par Vincent Hennebicq, qui instaure d’emblée une situation de métathéâtralité en racontant ce qu’il aurait voulu que ce spectacle soit : un spectacle avec des zombies, qui raconterait la fin du monde en reprenant les codes de blockbusters apocalyptiques qui le fascinent. L’acteur et metteur en scène y a renoncé car… il a eu un enfant, et la fin du monde s’est soudainement trouvée beaucoup moins fascinante et spectaculaire qu’effrayante. Il a donc proposé à sa partenaire, Eline Schumacher, de faire un spectacle sur l’anthropocène. Le terme, pas même référencé dans le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales tant il est récent, désigne l’influence de l’être humain sur l’écosystème, à l’échelle de l’histoire de la Terre.

Eline commence par là : si l’histoire de l’humanité commençait un 1er janvier, l’humain apparaîtrait à la fin du mois de décembre et détruirait la Terre en quelques heures. Après l’introduction de Vincent, c’est désormais Eline qui tient le devant de la scène, campée derrière un micro sur pied. Elle raconte qu’elle est de la génération Mousseline, celle qui fait de la purée de pommes de terre avec de la poudre et du lait dans une bouteille en plastique. Après s’être présentée, elle nous raconte à son tour le processus de création du spectacle et écoute avec nous des enregistrements qu’elle a faits (micro-trottoirs ou entretiens avec des personnes qu’elle a interrogées). Malgré le nombre de personnes présentes sur scène et la conséquence de la scénographie déployée au plateau, son récit prend progressivement la forme d’un seule en scène chapitré par Vincent.

Quoiqu’innervé d’autobiographie, ce faux seule en scène ne verse pas pour autant dans l’épanchement nombriliste. Dès le chapitre 2, « La cohérence », chacun est mis au pied du mur de ses contradictions écologiques que déplie Eline : manger bio et s’acheter des baskets ; choisir le train et se recouvrir le corps de paillettes les soirs de fête. L’actrice entretient en outre la complicité avec ses regards, ses mimiques, sa parole qui s’emballe tout en restant soigneusement écrite, ses sautes de registres qui sollicitent une attention aigüe, ses interactions avec ses partenaires qui lui donnent des répliques langagières ou musicales ou avec les discours qu’elle rapporte ou fait entendre. On passe sans cesse du rire aux frissons – notamment en entendant le terrible « how dare you ? » de Greta Thunberg –, et de l’émotion à la réflexion grâce à une variation des échelles et des expériences – d’un spécialiste du GIEC à la mère d’Éline, de la mythologie antique à sa relation amoureuse qui s’étiole. En retraçant les impasses et chemins qu’ils ont empruntés pour créer ce spectacle, les artistes tentent ainsi de s’approcher tant bien que mal de ce qui nous dépasse et qui dépasse la pensée.

Le rythme du spectacle et la relation établie entre scène et salle saisissent. La difficulté, avec un tel sujet, est cependant de finir, car le problème auquel se mesure la compagnie confine à l’insoluble. Eline se laisse entraîner par un élan qui évoque la dynamique de Demain, le documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Mais aussitôt après avoir terminé, l’actrice se demande si cette note d’espoir n’est pas un peu « culcul », réaction qui ramène Vincent à son désespoir. Aurélie Perret, à la régie plateau, intervient pour rappeler tout ce qu’il resterait encore à évoquer pour faire le tour du sujet, plombant encore un peu plus l’ambiance, puis Eline tente d’esquiver le pessimisme en en appelant à une utopie réaliste, dont la teneur nous échappe. Ce qui aurait été utopique, ç’aurait été d’attendre du spectacle une ligne de conduite, qu’elle soit politique ou citoyenne. Les artistes se contentent – et c’est déjà beaucoup – de labourer les contradictions dont nos vies sont désormais faites, de les faire émerger pour nous débarrasser de la culpabilité inutile et nous inviter à l’action.

F.

 

Pour en savoir plus sur « La Bombe humaine », rendez-vous sur le site du Théâtre des Doms.

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