Étiquette : Dostoïevski

« Edelweiss [France Fascisme] » de Sylvain Creuzevault aux Ateliers Berthier – documentaire théâtral

La saison au Théâtre de l’Odéon s’ouvre avec un spectacle de Sylvain Creuzevault, artiste associé du lieu. Après un cycle Dostoïevski, le metteur en scène a pris ses distances avec l’auteur russe à l’occasion d’un travail avec le groupe 47 de l’École du TNS, qui a donné lieu à un spectacle, L’Esthétique de la résistance, d’après un roman de Peter Weiss. Creuzevault a imaginé offrir un pendant à l’histoire d’un jeune ouvrier allemand dans les milieux clandestins antifascistes, entre 1937 et 1945 : une genèse du fascisme à la française, pendant la Seconde Guerre mondiale. Le résultat offre une grande leçon d’histoire, au plateau, qui relève moins du théâtre documentaire que du documentaire de type théâtral. Un genre inédit, un peu bâtard, qui a ses lourdeurs et ses fulgurances.
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Walter Benjamin au sujet de « L’Idiot » de Dostoïevski – Mychkine seul et immortel

Dostoïevski se représente le destin du monde dans le médium que lui offre le destin de son peuple. C'est l'approche typique des grands nationalistes, pour qui l'humanité ne peut se développer qu'à travers le médium de la communauté populaire. La grandeur du roman se manifeste dans le rapport de dépendance réciproque et absolue selon lequel sont décrites les lois métaphysiques qui régissent le développement de l'humanité et celui de la nation. Il n'est par conséquent aucun mouvement de la vie humaine profonde qui ne trouve son lieu décisif dans l'aura de l'esprit russe. Représenter ce mouvement humain au sein de son aura, flottant libre et dégagé dans l'élément national, et pourtant inséparable de lui comme de son lieu propre, telle est peut-être la quintessence de la liberté dans le grand art de cet écrivain.
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« Par autan » de François Tanguy à la Comédie de Caen – promenade sur cimes alpines

Après Strasbourg, après Perpignan, Par autan arrive à Caen. Le Théâtre du Radeau a courageusement repris les routes avec son dernier spectacle créé à Montpellier en mai dernier, spectacle irrémédiablement marqué par le décès de François Tanguy, survenu début décembre 2022, à quelques jours des premières dates prévues au T2G. François Tanguy a signé la mise en scène et la scénographie et cosigné l’élaboration sonore et les lumières de toutes les créations de la compagnie depuis 1985. Son activité théâtrale se résume à ses spectacles ou presque, car il n’a jamais répondu à une commande, ni jamais dirigé une institution. Ce faisant, il a affirmé une singularité exceptionnelle, grâce à laquelle il a occupé une place bien particulière dans le paysage théâtral contemporain, une place qui lui est propre. Par autan bien loin d’offrir le point final, imprévu, de quarante ans de travail, révèle tout ce qui était encore en mouvement, en déplacement, dans la recherche artistique de Tanguy. Le spectacle se présente comme une promenade sur cimes alpines parfois venteuses, promenade composée d’innombrables textes dont se dégagent facétie et mélancolie.
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« Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort » au Musée d’Orsay – les couleurs de notre condition humaine effrayée

À Orsay, l’exposition consacrée au peintre norvégien Edvard Munch attire un public encore nombreux à quelques jours de sa fin. Le titre lyrique choisi pour cette rétrospective, « Un poème de vie, d’amour et de mort », inspiré d’une déclaration du peintre lui-même, n’annonce pas d’angle d’approche spécifique. Le parti pris est avant tout chronologique, et permet ainsi de souligner la position charnière du peintre entre le XIXe et le XXe siècles, et les inspirations qu’il puise dans les œuvres de ses prédécesseurs ou celles de ses contemporains. Les textes qui rythment l’exposition éclairent les toiles méconnues, en guidant le regard sur leurs détails. Les plus familières produisent l’effet de sidération que promettent leurs reproductions papier ou numérique et s’entourent d’autres, de déclinaisons qui les rendent plus familières et plus fascinantes encore.
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« La Course » d’Eva Hibernia, traduit de l’espagnol par David Ferré [extrait]

Madeleine à la piscine. Il n’y a personne d’autre. Lumière aveuglante. Un matelas pneumatique en forme de requin flotte par-ci et par-là. Madeleine est assise au bout du plongeoir, très haut. Ismail monte par l’échelle. Il porte un costume impeccable. : Vous voulez plonger ? Si vous voulez plonger, je peux bouger. : Je ne veux pas plonger. : Vaut mieux. Vous portez un très beau costume et le chlore l’abîmerait sans aucun doute. Vous le faites nettoyer au pressing, n’est-ce pas ?
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« La Nuit sera blanche » de Lionel González au TGP – jeu sismographique pour écriture sténographique

En 2016, Lionel González créait Demain tout sera fini, adaptation du Joueur de Dostoïevski. Ce printemps, il présente La Nuit sera blanche au TGP. Une adaptation non pas des Nuits blanches, mais de La Douce, troisième nouvelle du même auteur. Ce changement de titre crée un effet de juxtaposition pour les connaisseurs de Dostoïevski, un léger déplacement qui provoque en amont du spectacle la rencontre de deux textes, aussi denses et énigmatiques l’un que l’autre malgré la simplicité des situations qu’ils décrivent. Ce titre est cependant avant tout une donnée temporelle sous forme de déclaration, comme pour le précédent spectacle : l’une annonce un geste ultime, l’autre un temps de veille étiré. Le public est en effet invité à veiller avec un homme qui monologue face au corps de sa femme suicidée, et qui tente de répondre à la question : « Pourquoi ? ».
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Jean Genet au sujet des « Frères Karamazov » – l’allégresse de Dostoïevski

Les chefs-d’œuvre artistiques ou poétiques sont la plus haute forme de  l’esprit humain, son expression la plus convaincante : voilà un lieu commun qu’on se doit de conserver sous le titre de vérité éternelle. Qu’ils soient la plus haute forme de l’esprit humain, ou la forme la plus haute donnée à l’esprit humain, ou la plus haute forme prise, patiemment ou vite, par un coup de pot, toujours hardiment si l’on veut, il s’agit d’une forme, et cette forme est loin d’être la limite où peut s’aventurer un homme. Passons à Dostoïevski ou plutôt aux Frères Karamazov, chef-d’œuvre du roman, grand livre, audacieuse instigation des âmes, démesure et démesures.
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Distributions de rêve – « L’Idiot »

Au terme de six années à travailler sur les adaptations des romans de Dostoïevski au théâtre, se prendre à rêver la distribution idéale de L'Idiot à partir de celles qu’ont inspiré cette œuvre depuis le début du XXe siècle, celle de Vincent Macaigne au premier chef, mais pas uniquement – avec l’espoir que de nouvelles adaptations viennent combler les manques.
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Distributions de rêve – « Les Démons »

Au terme de six années à travailler sur les adaptations des romans de Dostoïevski au théâtre, se prendre à rêver la distribution idéale des Démons à partir de toutes celles qu'ont inspiré cette œuvre depuis le début du XXe siècle, d'Albert Camus à Sylvain Creuzevault, de Frank Castorf à Guy Cassiers - avec l'espoir que de nouvelles adaptations viennent combler les manques.
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« Les Frères Karamazov » de Sylvain Creuzevault au Théâtre de l’Odéon – l’allégresse de Dostoïevski sur scène

Tandis que Guy Cassiers présente en ce moment son adaptation des Démons avec la troupe de la Comédie-Française, Sylvain Creuzevault adapte Les Frères Karamazov, un an après la date de sa programmation initiale. L’automne théâtral 2021 aura donc été dostoïevskien, alors que s’achève l’année du bicentenaire de la naissance de l’auteur. Le metteur en scène flamand et le français, tous deux grands adaptateurs de romans à la scène, ont cependant opté pour des principes très différents pour se mesurer à ces œuvres. La première chose qui distingue leurs démarches est même avant cela que c’est sur invitation que Cassiers en est enfin venu à s’intéresser à Dostoïevski, alors que Creuzevault poursuit avec ce spectacle un compagnonnage initié en 2018 avec Les Démons, et poursuivi en 2019 par L’Adolescent et en 2020 par Le Grand Inquisiteur. Comme l’Allemand Frank Castorf, le metteur en scène français revient de manière obsessionnelle à Dostoïevski, mais il se déplace avec lui, d’une œuvre à l’autre – à moins que ce soient les confinements et couvre-feux successifs qui aient fait mûrir son spectacle, qui lui aient donné un air beaucoup plus sage que son Grand Inquisiteur, aussi foutraque que pointu philosophiquement (et dans cette mesure peut-être un peu plus dostoïevskien). Toujours est-il que Creuzevault atteint ici un point d’équilibre extraordinaire entre une lisibilité alliée à une immédiateté théâtrale séduisantes, et une densité, une profondeur, une exigence intellectuelle, une finesse de lecture proprement jubilatoires.
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