Étiquette : deuil

« Le Silence » de Lorraine de Sagazan à la Comédie-Française – indicible infrangible du deuil

Après Christiane Jatahy, Chloé Dabert, Ivo van Hove, Christophe Honoré, Julie Deliquet, Guy Cassiers, Thomas Ostermeier, Silvia Costa et d’autres encore ces dernières années, c’est au tour de Lorraine de Sagazan d’être invitée à diriger la troupe de la Comédie-Française. Comme plusieurs parmi celles et ceux cités, l’artiste fait un pas de côté par rapport au répertoire théâtral et trouve avec Guillaume Poix son inspiration du côté du cinéma. Non pour adapter un scénario de film, comme Christiane Jatahy, Ivo van Hove ou Julie Deliquet : c’est dans toute une œuvre cinématographique que le duo puise, celle de Michelangelo Antonioni. Ce matériau donne lieu à un spectacle radical, qui confronte de manière extrême à la souffrance indicible causée par le deuil.
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« L’Enfant brûlé » de Noëmie Ksicova à la Comédie de Reims – en équilibre sur la ligne de crête du roman de Dagerman

Valenciennes, dont elle signe la conception et la mise en scène, et suit une trajectoire fulgurante : avec ce premier spectacle, elle passe à la MAC d’Amiens, au Off d’Avignon, au Festival Impatience, et poursuit une tournée tout au long de l’année 2023. Sur la base de cet unique spectacle, la Comédie de Reims et l’Odéon se sont engagés sur sa prochaine création, L’Enfant brûlé. Les thématiques sont communes – l’adolescence, le suicide, la cellule familiale –, mais Noëmie Ksicova part cette fois d’un matériau existant : un roman de Stig Dagerman mal connu, dont elle annonce une « libre adaptation » – mais qui porte le même titre que l’œuvre. L’artiste embarque avec elle les partenaires de la première aventure, dont deux jeunes qui n’ont joué qu’avec elle, et se lance dans cette ambitieuse entreprise, assumant l’ambition, mais un peu moins le pas de côté qu’elle fait par rapport à l’œuvre qui l’inspire.
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« L’Enfant brûlé » de Stig Dagerman – passions du deuil

L’Enfant brûlé est l’un des quatre romans de l’auteur suédois Stig Dagerman, dont l’œuvre la plus connue est un essai sur le suicide qui précède de deux ans celui de l’auteur à 31 ans : « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». L’Enfant brûlé peut se lire comme une illustration de ce titre poignant, en ce qu’il relate le difficile travail de deuil d’un jeune homme après le décès de sa mère, et les relations conflictuelles que cette situation engendre avec son père, avec sa fiancée, et avec la nouvelle amante de son père. Son besoin de consolation incommensurable, Bengt l’assouvit par la haine, la sournoiserie, la passion et la pensée du suicide. Tout au long d’une année, sont ainsi disséquées les étapes du deuil d’un jeune garçon en pleine formation morale et émotionnelle.
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« Un sacre » de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix au TGP – monument au chagrin

Créé en septembre 2021 à la Comédie de Valence, Un sacre termine sa longue tournée au TGP, où le spectacle est déjà passé fin 2022 et où Lorraine de Sagazan est artiste associée. Pour ce spectacle, la metteuse en scène a une nouvelle fois collaboré avec Guillaume Poix, après L’Absence de père et La Vie invisible. Dans le mouvement initié par ce dernier spectacle, inspiré par la rencontre avec des non et malvoyants, le duo s’attèle cette fois à la question de la mort et du deuil dans notre société à partir de neuf témoignages choisis parmi près de 300 pendant le premier confinement, réécrits et travaillés au plateau avec les membres de la compagnie. Le résultat est une tentative pour bâtir un monument non pas aux morts, mais au chagrin.
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« Le Massacre du printemps » d’Elsa Granat au Théâtre 13 – thérapie haute tension

Le Théâtre 13 a repris pour une dizaine de dates l’un des premiers spectacles d’Elsa Granat, Le Massacre du printemps, créé au Théâtre-Studio d’Alfortville en 2017 et programmé au Théâtre du Train bleu à Avignon en 2019. Ce spectacle est donc découvert après King Lear Syndrome, que l’on pourrait grossièrement désigner comme une transposition de la pièce de Shakespeare en EHPAD – ce qui ne lui rendrait pas pleinement justice. La pelouse synthétique que l’on retrouve dans les deux spectacles produit un effet de signature évident, tout comme le choix de faire intervenir des acteurs et actrices amateurs aux côtés de professionnels, et de représenter un prisme d’âges étendu (de 27 à 90 ans). Ce que révèle en revanche ce spectacle d’inspiration autobiographique, c’est une écriture intime, dont la portée thérapeutique achève d'être atteinte avec la mise en scène.
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« Grief and Beauty » de Milo Rau au Théâtre de la Colline – TRIGGER WARNING: LIVE DEATH PROJECTION ON STAGE

Depuis Five Easy Pieces, spectacle dans lequel il revenait sur l’affaire Marc Dutroux avec des enfants sur scène, puis avec Familie, spectacle dans lequel il invitait une famille à reconstituer le suicide collectif d’une autre famille, le metteur en scène suisse Milo Rau emprunte des voies très border. La presse réactionnaire en fait d’ailleurs son miel et crie au scandale à la première occasion, et il faut soigneusement déconstruire puis reconstruire sa démarche pour en justifier la pertinence. Dans les deux spectacles cités, c’était encore possible car le théâtre était utilisé comme un outil d’enquête, pour apprivoiser l’horreur ou pour sonder l’incompréhensible. Mais le deuxième, Familie, était déjà plus difficile à défendre car le jeu tendait à disparaître, et amenait à parler de théâtre pornographique. L’étiquette est encore plus valable pour le deuxième volet de la Trilogie de la vie privée, Grief and Beauty, cette fois indéfendable car le théâtre s’évanouit face au spectacle obscène de la mort.
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« Qui sait » de Pauline Delabroy-Allard – écrire pour nommer

Qui sait était un roman attendu de la rentrée littéraire 2022. Il est le deuxième de Pauline Delabroy-Allard, qui a fait irruption dans le paysage il y a quatre ans avec un premier livre publié aux Éditions de Minuit, Ça raconte Sarah, plusieurs fois récompensé. Entre temps, elle a fait paraître des livres pour enfants et un objet hybride, mêlant textes poétiques et photographies, publié par l’Iconopop, Maison tanière. Qui sait est cette fois publié chez Gallimard, et sous-titré « roman », comme Ça raconte Sarah. Pourtant, comme Ça raconte Sarah, les inspirations de ce texte sont autobiographiques, et elles produisent un effet de frottement entre fiction et réalité, que la mise en garde ne parvient pas tout à fait à faire oublier. Ce frottement rend attentif au travail de l’écriture plus encore qu’à l’histoire racontée, une écriture qui saisit le monde à bras le corps.
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« مِلْك MILK » de Bashar Murkus à L’Autre Scène du Grand Avignon – monument à la gloire des mères en temps de guerre

Après Le Musée l’année dernière, le metteur en scène palestinien Bashar Murkus a de nouveau été invité à Avignon avec مِلْك MILK, présenté à Vedène. Dans le programme du Festival, مِلْك MILK porte deux étiquettes : « spectacle » et « indiscipline ». La première permet de distinguer les spectacles des concerts, expositions et lectures que comprend également la programmation. La deuxième caractérise le spectacle par élimination : ce n’est ni du théâtre, ni de la danse, ni de la performance. Quoique le spectacle ne provoque pas un bouleversement total des cadres d’appréhension, que le travail de Castellucci nous y ait préparé de loin en loin, la classification paraît juste. مِلْك MILK s’apparente à une grande fresque plastique, un tableau mouvant sans paroles qui offre des images permettant de penser les deuils impossibles des mères et des enfants.
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« Tandis que j’agonise » de William Faulkner – l’enfant et la mort

VARDAMAN Alors, je me mets à courir. Je vais derrière la maison et, arrivé à la véranda, je m’arrête, et alors je commence à pleurer. Je peux sentir à quel endroit se trouvait le poisson, dans la poussière. Il est coupé en morceaux maintenant, en morceaux de non-poisson, de non-sang sur mes mains et sur ma blouse. Et puis ça n’était pas encore arrivé. Ça ne s’était pas encore produit. Et maintenant elle a pris tant d’avance que je ne peux pas la rattraper.
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« C’est la vie » de Mohamed El Khatib à l’Espace Pierre Cardin – Human Zoo

Avec Finir en beauté, il y a eu un avant et un après dans la trajectoire de Mohamed El Khatib. A partir de ce texte devenu spectacle, dans lequel il consigne les derniers moments de sa mère avant d’entreprendre son travail de deuil, son geste artistique change. Désormais, il lui paraît anecdotique de monter des œuvres écrites par d’autres, de raconter des histoires, et même de faire jouer des acteurs. La seule chose qui lui importe devient dès lors le réel, et sa restitution brute sur la scène. Mais quand, suite à cette œuvre qui le fait connaître, le propulse sur les plus grandes scènes françaises et donne une autre dimension à son travail, il fait appel à deux acteurs pour qu’ils témoignent de leur douleur à eux, causée par la perte d’un enfant, sa démarche prend une toute autre dimension – notamment éthique. C’est la vie, présenté dans le cadre du Festival d’Automne à l’Espace Cardin, dérange et fait surgir de nombreuses questions quant au bien-fondé de sa démarche – des questions qui restent sans réponse.
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