Catégorie : Spectacles

« Le Massacre du printemps » d’Elsa Granat au Théâtre 13 – thérapie haute tension

Le Théâtre 13 a repris pour une dizaine de dates l’un des premiers spectacles d’Elsa Granat, Le Massacre du printemps, créé au Théâtre-Studio d’Alfortville en 2017 et programmé au Théâtre du Train bleu à Avignon en 2019. Ce spectacle est donc découvert après King Lear Syndrome, que l’on pourrait grossièrement désigner comme une transposition de la pièce de Shakespeare en EHPAD – ce qui ne lui rendrait pas pleinement justice. La pelouse synthétique que l’on retrouve dans les deux spectacles produit un effet de signature évident, tout comme le choix de faire intervenir des acteurs et actrices amateurs aux côtés de professionnels, et de représenter un prisme d’âges étendu (de 27 à 90 ans). Ce que révèle en revanche ce spectacle d’inspiration autobiographique, c’est une écriture intime, dont la portée thérapeutique achève d'être atteinte avec la mise en scène.
Lire la suite

« Des femmes qui nagent » de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez au TGP – traces de films déposées sur la scène

Le TGP accueille pour une dizaine de dates la nouvelle création d’un texte de Pauline Peyrade, résultat d’une commande d’Émilie Capliez qui le met en scène. Des femmes qui nagent manifeste un déplacement profond dans l’écriture de l’autrice. Jusqu’ici, ses textes pour le théâtre prenaient la forme de fictions soigneusement mises en page, pour rendre compte de notre perception éclatée du réel. Des textes qui mettent la scène au défi de restituer les multiples plans et strates de l’écriture. Avec cette œuvre, pour la première fois, Pauline Peyrade écrit explicitement à partir de. En l’occurrence, à partir d’une vaste culture cinématographique, conjuguée au féminin. Son écriture incisive, rythmée, se trouve ainsi arrimée à un vaste matériau qui laboure notre mémoire et fait surgir de multiples images – images sublimées et décuplées par la mise en scène très esthétique d’Émilie Capliez.
Lire la suite

« Un ennemi du peuple » de Thibaut Wenger au Théâtre Châtillon-Clamart – démocratie en panne de dialogue

Au Théâtre Châtillon-Clamart a été créée la dernière mise en scène de Thibaut Wenger, qui après Une maison de poupée en 2016 revient à Ibsen avec Un ennemi du peuple. La pièce a plusieurs fois été montée ces dernières années – par Jean-François Sivadier en 2019 ou Thomas Ostermeier en 2012 –, et l’actualité que lui confère la crise écologique est encore accrue par la crise sanitaire engendrée par le covid. La tentation est grande, à notre époque, de faire du Dr Stockmann, qui découvre que les eaux de la ville thermale où il habite et exerce sont contaminées, une victime de la société qui refuse d’entendre la vérité qu’il brandit au nom d’intérêts publics et privés. De faire grâce à lui le procès des classes dirigeantes et des médias. La pièce d’Ibsen est cependant beaucoup moins manichéenne que cela. Thibaut Wenger le démontre en embrassant pleinement l’ambivalence de son personnage, afin de dire avec lui l’impossible dialogue des instances qui composent notre société et l’impasse dans laquelle se trouve notre démocratie.
Lire la suite

« Nous revivrons » de Nathalie Béasse au Théâtre de la Bastille – impressions d’impressions tchekhoviennes

Nathalie Béasse est de retour au Théâtre de la Bastille, qui accueille fidèlement ses spectacles depuis plusieurs années. Le dernier en date, Nous revivrons, est une commande de la Comédie de Colmar et du Théâtre national de Strasbourg, avec la complicité du programme 1er acte qui soutient la visibilité des jeunes issus de la diversité sur les plateaux de théâtre. Nathalie Béasse a ainsi travaillé pour la première fois avec deux acteurs et une actrice, et a choisi pour point de départ L’Homme des bois, pièce inachevée de Tchekhov qui contient en germe Oncle Vania, mais aussi Les Trois Sœurs et La Cerisaie. Ce texte n’est qu’un point de départ, comme le signale la locution « d’après », car le travail singulier de la metteuse en scène consiste tout à la fois à effacer le texte, dont ne restent que des bribes, et à le rejoindre par des actions performatives. Le résultat prête à la rêverie autant qu’à la réflexion, sur notre état moral et sur le théâtre.
Lire la suite

« Grief and Beauty » de Milo Rau au Théâtre de la Colline – TRIGGER WARNING: LIVE DEATH PROJECTION ON STAGE

Depuis Five Easy Pieces, spectacle dans lequel il revenait sur l’affaire Marc Dutroux avec des enfants sur scène, puis avec Familie, spectacle dans lequel il invitait une famille à reconstituer le suicide collectif d’une autre famille, le metteur en scène suisse Milo Rau emprunte des voies très border. La presse réactionnaire en fait d’ailleurs son miel et crie au scandale à la première occasion, et il faut soigneusement déconstruire puis reconstruire sa démarche pour en justifier la pertinence. Dans les deux spectacles cités, c’était encore possible car le théâtre était utilisé comme un outil d’enquête, pour apprivoiser l’horreur ou pour sonder l’incompréhensible. Mais le deuxième, Familie, était déjà plus difficile à défendre car le jeu tendait à disparaître, et amenait à parler de théâtre pornographique. L’étiquette est encore plus valable pour le deuxième volet de la Trilogie de la vie privée, Grief and Beauty, cette fois indéfendable car le théâtre s’évanouit face au spectacle obscène de la mort.
Lire la suite

« Par autan » de François Tanguy à la Comédie de Caen – promenade sur cimes alpines

Après Strasbourg, après Perpignan, Par autan arrive à Caen. Le Théâtre du Radeau a courageusement repris les routes avec son dernier spectacle créé à Montpellier en mai dernier, spectacle irrémédiablement marqué par le décès de François Tanguy, survenu début décembre 2022, à quelques jours des premières dates prévues au T2G. François Tanguy a signé la mise en scène et la scénographie et cosigné l’élaboration sonore et les lumières de toutes les créations de la compagnie depuis 1985. Son activité théâtrale se résume à ses spectacles ou presque, car il n’a jamais répondu à une commande, ni jamais dirigé une institution. Ce faisant, il a affirmé une singularité exceptionnelle, grâce à laquelle il a occupé une place bien particulière dans le paysage théâtral contemporain, une place qui lui est propre. Par autan bien loin d’offrir le point final, imprévu, de quarante ans de travail, révèle tout ce qui était encore en mouvement, en déplacement, dans la recherche artistique de Tanguy. Le spectacle se présente comme une promenade sur cimes alpines parfois venteuses, promenade composée d’innombrables textes dont se dégagent facétie et mélancolie.
Lire la suite

« Ombre (Eurydice parle) » d’Elfriede Jelinek mis en scène par Marie Fortuit aux Plateaux Sauvages – le cri des silencieuses

Marie Fortuit crée aux Plateaux Sauvages, Ombre (Eurydice parle), dernière œuvre écrite pour le théâtre par Elfriede Jelinek. Dans ce texte, l’autrice autrichienne qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 2004 procède à un nouveau renversement de perspective après Les Suppliants, pendant des Suppliantes d’Eschyle. Elle donne cette fois voix à Eurydice, afin qu’elle ne soit plus seulement l’amante d’Orphée. Aux Enfers, Eurydice se révèle une autrice empêchée, mise dans l’incapacité d’écrire par la musique assourdissante d’Orphée. La mise en scène extrêmement esthétique de ce texte interprété par Virgile L. Leclerc embrasse pleinement le déplacement proposé pour donner voix aux silencieuses.
Lire la suite

« Institut Ophélie » d’Olivier Saccomano et Nathalie Garraud au T2G – Ophélie, balle rebondissante dans le flipper de l’histoire

Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, tous deux à la tête du Théâtre des 13 vents à Montpellier, présentent au T2G le deuxième volet d’un diptyque. Après Un Hamlet de moins, Institut Ophélie. Shakespeare apparaît comme un point d’entrée dans ces spectacles ; il est avant cela un point de départ pour Olivier Saccomano, auteur. Dans Institut Ophélie, le duo d’artistes joue avec les représentations que l’on a d’Ophélie, figure théâtrale devenue figure picturale, opératique ou encore cinématographique, et tisse à partir d’elle une réflexion sur les femmes, la place qu’elles occupent ou la place qu’on leur donne. La folie d’Ophélie, sa virginité et sa parole prophétique permettent ainsi de traverser tout le vingtième siècle et de rejoindre notre époque. Une traversée dans laquelle le discours est relégué à l’arrière-plan à la faveur d’associations libres, d’une réflexion vive et rebondissante. Cette relégation qui fait toute la poésie du spectacle prend appui sur le travail scénique de Nathalie Garraud, qui crée des visions d’une précision fascinantes et enrichit nos imaginaires de rythmes et de tableaux qui élargissent notre perception.
Lire la suite

« Rivage à l’abandon, Médée-matériau, Paysage avec Argonautes » de Matthias Langhoff à la Comédie de Caen – sédiments d’histoire et de théâtre

Après la reprise de Gloucester Time. Matériau Shakespeare. Richard III l’an dernier à la Comédie de Caen, par Marcial Di Fonzo Bo, directeur des lieux, et Frédérique Loliée, sous le regard bienveillant de Matthias Langhoff, une autre reprise réunit ces trois-là, ainsi que Catherine Rankl, scénographe. En 1983, Matthias Langhoff créait à Bochum, avec Heiner Müller, le triptyque Rivage à l’abandon, Médée-matériau, Paysage avec Argonautes. Le metteur en scène d’origine allemande recrée ce triptyque en ce début d’année, avec les deux acteurs qu’il a rencontrés en 1995 à l’École du Théâtre National de Bretagne, sa scénographe, et Véronique Appel qui l’assiste. Durée initialement annoncée du spectacle : 1h45. Durée réelle : 1h. Durée ressentie : un pan d’histoire.
Lire la suite

« Poquelin II » des tg STAN à la Bastille – la puissance de jeu de Molière révélée par des Flamands ironiques

L’année Molière – dont le quadricentenaire de la naissance a été fêté de multiples manières ces derniers mois –, et plus largement l’année théâtrale 2022, se terminent en beauté avec Poquelin II, spectacle du tg STAN créé en 2018 et pour la première fois présenté à Paris, à la Bastille toujours. Le « II » du titre, qui inscrit ce spectacle à la suite d’un autre créé en 2003, annonce discrètement un diptyque, composé de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Les deux comédies sont jouées l’une après l’autre, sans transition. Cette soirée deux en une fait prendre la mesure du talent du collectif, tout comme de la puissance de jeu du théâtre de Molière, dont le texte n’a jamais été aussi bien entendu que dans la bouche de ces Flamands.
Lire la suite