Catégorie : Spectacles

« Les Forteresses » de Gurshad Shaheman au Théâtre de la Bastille – trois sœurs iraniennes

Reporté par le covid, finalement créé en 2021, le spectacle Les Forteresses arrive au Théâtre de la Bastille après une grande tournée en France. Après avoir fait œuvre de sa vie, après avoir fait entendre la voix de réfugiés LGBT, l’artiste franco-iranien Gurshad Shaheman rassemble les femmes de sa famille pour faire entendre leur histoire. La découverte des Forteresses est précédé d’une bonne réputation qui n’est pas volée : le spectacle se révèle de ses œuvres qui constituent un précédent dans l’appréhension que l’on a d’un pan d’histoire – en l’occurrence l’histoire de l’Iran, depuis les années 1960.
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« La Brande » d’Alice Vannier au Théâtre de la Cité internationale – immersion en névropathie

Cette semaine avait lieu la première parisienne d’un spectacle créé il y a plus d’un an au Point du jour à Lyon, La Brande, de la compagnie Courir à la Catastrophe, mis en scène par Alice Vannier. Après entre autres un spectacle inspiré par la pensée de Pierre Bourdieu en 2018, En réalités, la compagnie s’est cette fois intéressée à la clinique de La Borde, établissement ouvert dans le Loir-et-Cher en 1953 sous l’impulsion de Jean Oury, qui a permis le développement de la psychothérapie institutionnelle, et qui constitue aujourd’hui encore une référence dans le domaine. Des recherches sur l’histoire du lieu et deux semaines d’immersion de l’équipe artistique au moment de l’année où soignants et soignés donnent rendez-vous aux personnes extérieures à la clinique pour une journée de fête ponctuée par une représentation, ont donné naissance à ce spectacle.
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« Oncle Vania » de Galin Stoev à Points communs – Tchekhov insubmersible

L’Oncle Vania de Galin Stoev, créé il y a un an au ThéâtredelaCité à Toulouse que le metteur en scène bulgare dirige, poursuit sa tournée française en passant par Pontoise. La mise en scène propose une lecture résolument contemporaine de la pièce de Tchekhov, projetée dans un « futur dystopique » et retraduite avec quantité d’anachronismes qui surlignent le caractère prémonitoire des préoccupations du médecin Astrov et du mal-être des autres personnages. L’approche ludique mais parfois arbitraire de Galin Stoev est rattrapée par une distribution qui fait percevoir quantité de nuances et révèle le caractère insubmersible de Tchekhov.
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« Le Malade imaginaire ou le silence de Molière » d’Arthur Nauzyciel à la Comédie de Reims – exalter la comédie, le jeu, le théâtre, pour soigner les malades et consoler les morts

Près de 25 ans après la création originale, Arthur Nauzyciel recrée sa toute première pièce : une mise en scène du Malade imaginaire de Molière, mise en dialogue avec un texte du critique, chercheur et enseignant Giovanni Macchia, grand passeur de Molière en Italie, dont les écrits ont été traduits en français. Cette reprise est programmée à la Comédie de Reims en ce début d’année, mais le spectacle pourrait donner l’impression d’avoir été créé il y a quelques mois seulement, tant la pertinence en paraît intacte. D’une grande intelligence dramaturgique et remarquablement joué – par des acteurs et actrices présents lors de la création, Catherine Vuillez, Laurent Poitrenaux et Arthur Nauzyciel, ainsi que par la 10e promotion du TNB que ces deux derniers ont formée – ce Malade imaginaire ou le silence de Molière offre un grand moment de théâtre.
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« Les Émigrants » de Krystian Lupa au Théâtre de l’Odéon – interroger les vivants pour faire revivre les morts, du Sebald dans le texte, du Lupa dans le texte

Les Émigrants marque le grand retour de Krystian Lupa en France, depuis Le Procès, en 2018. Entre temps, l’artiste polonais a pourtant créé plusieurs spectacles : Capri, île des fugitifs d’après Kaputt et La Peau de Malaparte (2019), Austerlitz d’après Sebald (2020) et Imagine (2022), spectacle dont le texte a paru chez Deuxième Époque. Ces retrouvailles étaient d’autant plus attendues que retardées l’été dernier par une polémique déclenchée lors de la création du spectacle par les techniciens et techniciennes de la Comédie de Genève, qui ont dénoncé des conditions de travail insoutenables. Cette annulation avait entraîné celle du Festival d’Avignon, quelques semaines plus tard. Stéphane Braunschweig, directeur du Théâtre de l’Odéon, a fait le choix de maintenir le spectacle prévu dans sa programmation et a créé les conditions rendant possible la création, sept mois plus tard. Malgré les débats qu’a engendrés cette affaire, sur la réputation colérique, voire tyrannique du metteur en scène, qui appartient comme d’autres à une génération qui se distingue de celles qui suivent par sa capacité à centraliser l’énergie créatrice, le public est largement présent au rendez-vous de ce nouveau spectacle, au début comme au terme des quatre heures quasi et demie. L’épopée de son processus de création mise à part, le résultat est incomparable. Lupa confirme, avec l’adaptation de deux récits de W. G. Sebald, la singularité de son théâtre – de son esthétique, de sa direction d’acteur, de sa façon de restituer une œuvre et de penser la mémoire européenne.
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« Invisibili » d’Aurélien Bory au Théâtre des Abbesses – danse-théâtre-peinture

L’année 2024 est inaugurée avec un spectacle se situant aux frontières de plusieurs disciplines, que le Théâtre de la Ville choisit de placer sous la double étiquette « Théâtre/Danse », mais qui puise son inspiration dans une fresque du XVe siècle. L’héritage évident de Pina Bausch dans cette œuvre amène à envisager Invisibili, d’Aurélien Bory, sous le prisme d’une triple catégorie : danse-théâtre-peinture. L’artiste bâtit une dramaturgie erratique à partir de cette rencontre, comme il a pu le faire pour Espæce, ponctuée par des forte, mais aussi, hélas, des piano, qui surgissent dès lors que l’artiste se risque à esquisser un discours sur le monde actuel.
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« Orphelins » de Dennis Kelly, mis en scène par Sophie Lebrun et Martin Legros au Théâtre de Belleville – jouer avec le texte, tout le texte, pour mieux le jouer

Au Théâtre de Belleville est repris un spectacle créé en 2018 par la compagnie normande La Cohue, et programmé au 11, à Avignon en 2019 : Orphelins de Dennis Kelly, mis en scène par Sophie Lebrun et Martin Legros. Il s’agit du texte le plus monté en France de l’auteur britannique, qui a également inspiré des mises en scène de Love and Money, Girls and Boys, ADN ou Débris. Son écriture ciselée, qui décortique des faits divers et joue sur des effets de révélation, met le jeu d’acteur au défi. Le parti des pris des artistes est d’intégrer une strate de plus de ce texte, afin d’introduire encore plus de jeu et de nuance.
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« EXTRA LIFE » de Gisèle Vienne à la MC93 – opération de re-sensibilisation par la scène

Deux ans après L’Étang, d’après Robert Walser, Gisèle Vienne revient dans le cadre du Festival d’Automne avec une nouvelle création présentée à la MC93 dans le cadre du Festival d'Automne : EXTRA LIFE. Plusieurs éléments établissent une grande continuité entre ces deux spectacles : la présence d’Adèle Haenel sur scène, la question des violences sexuelles exercées contre des mineurs, l’esthétique extrêmement singulière que propose l’artiste, ainsi que la place, encore problématique – quoique nouvelle – du texte, dans cette esthétique.
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« Rapt » de Chloé Dabert à la Comédie de Reims – au piège de l’art théâtral, et de notre crédulité

Il y a – mais c’est heureusement rare – des spectacles qui placent la critique dans une position impossible. Soit elle doit prendre le parti de ne rien dire, de contourner le sujet principal et de se contenter de louer la précision de la mise en scène, la finesse de la direction d’acteur en citant les artistes, la sophistication et la fluidité de la scénographie, et sa pertinence aussi – mais sans pouvoir expliquer pourquoi... exercice consisterait alors à distribuer des éloges sans les fonder et ne servirait qu’à féliciter l’équipe de création – ce qui n’est pas rien, mais ce qui ne met pas en réflexion et ne permet pas de conserver la trace du spectacle. Soit elle doit se résoudre à spoiler, à divulgâcher l’essentiel, au risque de compromettre le plaisir du spectateur, voire, avec un peu de prétention, la vie du spectacle et ses possibles tournées. Le dilemme reste irrésolu tout au long de la représentation de Rapt, dernière création de Chloé Dabert à la Comédie de Reims. Jusqu’à la fin, ce questionnement place dans une position de vulnérabilité et de crédulité qui rend la démonstration plus magistrale encore. Après beaucoup d’hésitation, cette critique prend le parti de révéler l’effet de surprise, non seulement car elle n’a pas la prétention d’être assez lue pour compromettre quoi que ce soit, mais surtout car il n’est pas envisageable de passer sous silence une expérience aussi profondément troublante.
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« Carte noire nommée désir » de Rébecca Chaillon aux Ateliers Berthier – performance réparatrice pour le corps des femmes noires

Carte noire nommée désir arrive aux Ateliers Berthier précédé de la polémique qui l’a entouré à Avignon, cet été. Le spectacle avait pourtant été créé en 2021 sans remous – indice qui aurait dû suffire à démonter toute appréhension et à rappeler à quel point Avignon est inflammable, et son public extrêmement susceptible. Rébecca Chaillon, performeuse et autrice, après plusieurs seuls en scène dans lesquels elle a posé les questions du corps et de l’alimentation – au cœur de Plutôt vomir que faillir, en ce moment à la MC93 – s’entoure cette fois de sept alliées pour aborder de manière à la fois plurielle et frontale le sujet du corps des femmes noires. Elle propose une longue performance qui module les registres et les angles d’attaque pour cerner la carte obscure du désir attaché à ce corps, performance qui rend possible un geste extrêmement puissant de réappropriation et de réparation.
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