Catégorie : Spectacles

« Les Chroniques » d’Éric Charon au TGP – « qui trop embrasse mal étreint »

Au Théâtre Gérard-Philipe est créé un spectacle d’Éric Charon, membre du collectif In Vitro et acteur fidèle de Julie Deliquet qui dirige les lieux. Les Chroniques est l’adaptation non pas d’un mais deux romans de Zola, L’Assommoir et La Bête humaine. Ces œuvres sont liées l’une à l’autre par le personnage de Jacques Lantier, héros de la seconde et fils de Gervaise, héroïne de la première. L’attelage laisse donc présager une reconduction sur scène de la réflexion menée par Zola sur l’hérédité. Ce projet ambitieux a de grandes qualités, mais « qui trop embrasse mal étreint », proverbe qui ne s’applique pas seulement au meurtrier qu’est Jacques Lantier.
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« Aria da capo » de Séverine Chavrier à la Comédie de Reims – « c’est un peu limite »

Aria da capo, spectacle de Séverine Chavrier créé en 2020, est en tournée cette année. Sa longévité interroge car son ambition était de rendre compte de la vie de quatre adolescents destinés à une carrière de musicien professionnel. Entre temps, leur projet s’est affermi et ils sont devenus de jeunes adultes. Le caractère éphémère du projet de départ qu’accuse le passage du temps aurait pu être atténué par le fait qu’importent moins à la metteuse en scène leur parcours, leur formation ou leurs ambitions que leurs préoccupations hors de la musique – les relations sexuelles, pour l’essentiel. Cependant, c’est tout l’inverse. En quatre ans, on prend la mesure des questions que soulèvent leurs propos, et le spectacle apparaît moins comme une ode à la jeunesse, comme on nous le promet, qu’une preuve de l’enracinement de la culture du viol dans notre société.
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« La Mouette » de Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odéon – à l’écoute de la jeunesse, ses inquiétudes, ses ambitions, ses espoirs

Pour sa dernière création en tant que directeur du Théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig a décidé de revenir à La Mouette qu’il a montée pour la première fois il y a plus de vingt ans, lorsqu’il dirigeait le Théâtre National de Strasbourg. Le metteur en scène a voulu revenir à ce texte pour en proposer une lecture imprégnée des questions soulevées par notre présent, qui n’est pas le même qu’il y a vingt ans, démontrant, s’il était encore nécessaire, que les classiques sont même inépuisables à l’échelle de la vie d’un artiste. Malgré le contexte particulier que constitue son départ de l’Odéon, ce spectacle n’a rien de testamentaire. Bien au contraire, Braunschweig agrège à ses fidèles de longue date de nouvelles recrues dont il fait puissamment retentir les voix face à celles de leurs aînés pour souligner la pulsion de vie des personnages qu’elles incarnent, leurs espoirs presque indestructibles dans le monde pourtant apocalyptique qu'ils ont reçu en héritage, monde figuré par une scénographie magnifique.
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« La Vegetariana » de Daria Deflorian aux Ateliers Berthier – récit décentré d’une métamorphose sismique

Depuis des années, Daria Deflorian songe à adapter La Végétarienne, roman de l’autrice coréenne Han Kang. Ce projet, accueilli aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon dans le cadre du Festival d’Automne, a trouvé une forme de validation quelques jours avant la création du spectacle à Bologne avec la remise du Prix Nobel de littérature à Han Kang. Le prestigieux prix entend récompenser « sa prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine ». Cette courte caractérisation, qui se veut une synthèse de l’œuvre autant qu’une justification de la récompense même si elle paraît pouvoir s'appliquer à beaucoup d'écrivains, ne laisse pas présager grand-chose avant le spectacle mais trouve un peu de sens à la sortie : la délicatesse de l’art de Deflorian rencontre dans La Vegetariana une écriture qui se dérobe, qui ne semble pas dire l’essentiel, mais qui travaille la sensibilité et y dépose des impressions durables.
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« Cécile » de Marion Duval au Théâtre de la Bastille – dîner en ville… ou mystification sans fin

En juillet 2023, Cécile était programmé à la Chartreuse, à Avignon. Le spectacle avait été créé en 2019 à Lausanne et était passé auparavant par Gennevilliers et Aurillac. Puis il a été invité au WET°, à Tours, avant d’arriver au Festival d’Automne cette année. Sur le papier, le projet ne présente rien de particulièrement spectaculaire ni attirant : on nous raconte qu’il est issu de la rencontre entre une metteuse en scène, Marion Duval, et une femme aux « mille vies », Cécile Laporte, personnalité si singulière qu’elle mérite visiblement qu’on lui consacre trois heures portées par elle seule. La proposition paraît un peu légère, mais la rumeur s’accorde à dire qu’il faut voir le spectacle. Alors direction le Théâtre de la Bastille pour une soirée qui a l’allure d’un dîner en ville. Ou qui est peut-être une immense mystification.
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« Parallax » de Kornél Mondruczó aux Ateliers Berthier – sonde humaine pour abîmes intergénérationnels

Après plusieurs années d’absence, l’artiste hongrois Kornél Mondruczó, également réalisateur pour le cinéma – notamment du très beau Pieces of a woman (2021) – revient sur les scènes françaises avec Parallax, adaptation de son film Évolution (2022) réalisé avec la scénariste Kata Wéber. Le spectacle, créé en mai dernier au Wiener Festwochen, est accueilli par le Théâtre de l’Odéon aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d’Automne. Dans le programme de salle, il est précisé que la compagnie indépendante Proton Theatre n’a reçu aucun soutien financier de la part de la Hongrie pour ce spectacle. Ce choix politique octroie aux artistes la liberté d’aborder deux sujets différemment épineux dans ce pays : la mémoire de la Shoah et l’homosexualité. Ces questions font l’objet d’une réflexion passionnante et émouvante sur la transmission et sur l’identité.
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« Lieux communs » de Baptiste Amann au Théâtre Public de Montreuil – circonstances accablantes pour une fiction hautement problématique

Le Théâtre Public de Montreuil inaugure sa saison avec le spectacle d’un de ses artistes associés, Baptiste Amann, créé cet été au Festival d’Avignon, à Vedène. Lieux communs est présenté comme un thriller, une pièce « puzzle » de deux heures trente construite autour d’un fait divers. Les termes choisis mettent en valeur le travail d’écriture de Baptiste Amann, dont le texte est publié chez Actes Sud. Le spectacle manifeste de fait une certaine virtuosité dans la dramaturgie et une certaine maîtrise des moyens scéniques. Mais derrière l’apparence bien huilée et non polémique du spectacle, se tisse en sous-main un propos extrêmement problématique.
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« Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares » d’Elsa Granat au TGP – Shakespeare², Maria Montessori, Mozart et cœtera

Après Nora, Nora, Nora ! au printemps dernier, mais plus encore King Lear Syndrome en 2022, Elsa Granat poursuit son dialogue avec les œuvres du répertoire et revient à Shakespeare. Le titre de sa dernière création, Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares ne dit cette fois pas explicitement l’œuvre avec laquelle elle entre en dialogue. Sans doute car il s’agit cette fois de deux pièces, Roméo et Juliette et Hamlet – rien de moins ! Juliette et Hamlet deviennent cousin dans cette réécriture, grâce à laquelle la metteuse en scène met l’accent sur le conflit qui oppose la génération des enfants et celle des parents. L’entrecroisement des deux pièces mises en échos avec d'autres références plus hétéroclites ouvre un espace à l’écriture et à la création scénique et révèle qu’Elsa Granat a des choses à dire et de beaux moyens pour le faire. Mais elle a sans doute trop à dire !
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« Fuck Me » de Marina Otero au Théâtre du Rond-Point – la performance jusqu’à son extrême limite

Le Théâtre du Rond-Point inaugure sa saison avec la reprise d’une trilogie de Marine Otero, composée de Fuck Me, Love Me et Kill Me. Dans ces trois spectacles, la chorégraphe, danseuse et performeuse argentine s’inspire de sa vie et choisit son corps, son histoire familiale, ses relations amoureuses ou ses troubles mentaux comme objet de ses œuvres – dimension autobiographique, ou autofictionnelle dit-elle en nuançant, qui met l’accent sur leur caractère performatif. Dans le premier volet de la trilogie intitulée « Recordar para vivir », « se rappeler pour vivre », Marina Otero s’entoure de cinq danseurs pour se raconter. Bien loin d’avoir été érodé par le temps depuis sa création en 2020, Fuck Me a gagné en puissance, le geste de l’artiste se montrant plus conscient que jamais des effets qu’il produit et qu’il manipule.
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« Der Zauberberg » de Krystian Lupa au Salzburger Landestheater – Lupa sur la montagne magique, vertige au sommet

Après Les Émigrants créé en janvier dernier à l’Odéon, et Balkony - Pieśni Miłosne créé quelques semaines plus tard et programmé au Printemps des comédiens en juin dernier, Lupa, inlassable créateur, est invité au Festival de Salzbourg avec un nouveau spectacle en cette fin d’été. Il revient à cette occasion à l’une de ses passions les plus constantes depuis les années 1980 : l’adaptation d’un roman-fleuve d’apparence inadaptable, qui a déjà suscité le désir d’autres artistes sans parvenir à une réalisation concrète. Son dévolu se jette cette fois sur La Montagne magique de Thomas Mann, roman de quelques mille pages au départ conçu comme un contrepoint à Mort à Venise. L’œuvre relate la vie d’une frange de la haute société européenne retirée dans un sanatorium à la veille de la Première Guerre mondiale, société dont les membres se révèlent moins soucieux de tisser des relations entre eux que de scruter les moindres oscillations de leur température et des battements de leur cœur, alors que le monde dont ils se sont extraits est sur le point de sombrer. Le terrain offert par le roman paraît à de multiples égards propice au déploiement de l’art de Lupa, qui immerge intensément dans l’œuvre, démontre une nouvelle fois la virtuosité scénique fascinante qu’il a développée de spectacle en spectacle et mène les acteurs et actrices lituaniens du Jaunimo Teatras à des hauteurs vertigineuses.
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