Catégorie : Spectacles

« Lieux communs » de Baptiste Amann au Théâtre Public de Montreuil – circonstances accablantes pour une fiction hautement problématique

Le Théâtre Public de Montreuil inaugure sa saison avec le spectacle d’un de ses artistes associés, Baptiste Amann, créé cet été au Festival d’Avignon, à Vedène. Lieux communs est présenté comme un thriller, une pièce « puzzle » de deux heures trente construite autour d’un fait divers. Les termes choisis mettent en valeur le travail d’écriture de Baptiste Amann, dont le texte est publié chez Actes Sud. Le spectacle manifeste de fait une certaine virtuosité dans la dramaturgie et une certaine maîtrise des moyens scéniques. Mais derrière l’apparence bien huilée et non polémique du spectacle, se tisse en sous-main un propos extrêmement problématique.
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« Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares » d’Elsa Granat au TGP – Shakespeare², Maria Montessori, Mozart et cœtera

Après Nora, Nora, Nora ! au printemps dernier, mais plus encore King Lear Syndrome en 2022, Elsa Granat poursuit son dialogue avec les œuvres du répertoire et revient à Shakespeare. Le titre de sa dernière création, Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares ne dit cette fois pas explicitement l’œuvre avec laquelle elle entre en dialogue. Sans doute car il s’agit cette fois de deux pièces, Roméo et Juliette et Hamlet – rien de moins ! Juliette et Hamlet deviennent cousin dans cette réécriture, grâce à laquelle la metteuse en scène met l’accent sur le conflit qui oppose la génération des enfants et celle des parents. L’entrecroisement des deux pièces mises en échos avec d'autres références plus hétéroclites ouvre un espace à l’écriture et à la création scénique et révèle qu’Elsa Granat a des choses à dire et de beaux moyens pour le faire. Mais elle a sans doute trop à dire !
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« Fuck Me » de Marina Otero au Théâtre du Rond-Point – la performance jusqu’à son extrême limite

Le Théâtre du Rond-Point inaugure sa saison avec la reprise d’une trilogie de Marine Otero, composée de Fuck Me, Love Me et Kill Me. Dans ces trois spectacles, la chorégraphe, danseuse et performeuse argentine s’inspire de sa vie et choisit son corps, son histoire familiale, ses relations amoureuses ou ses troubles mentaux comme objet de ses œuvres – dimension autobiographique, ou autofictionnelle dit-elle en nuançant, qui met l’accent sur leur caractère performatif. Dans le premier volet de la trilogie intitulée « Recordar para vivir », « se rappeler pour vivre », Marina Otero s’entoure de cinq danseurs pour se raconter. Bien loin d’avoir été érodé par le temps depuis sa création en 2020, Fuck Me a gagné en puissance, le geste de l’artiste se montrant plus conscient que jamais des effets qu’il produit et qu’il manipule.
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« Der Zauberberg » de Krystian Lupa au Salzburger Landestheater – Lupa sur la montagne magique, vertige au sommet

Après Les Émigrants créé en janvier dernier à l’Odéon, et Balkony - Pieśni Miłosne créé quelques semaines plus tard et programmé au Printemps des comédiens en juin dernier, Lupa, inlassable créateur, est invité au Festival de Salzbourg avec un nouveau spectacle en cette fin d’été. Il revient à cette occasion à l’une de ses passions les plus constantes depuis les années 1980 : l’adaptation d’un roman-fleuve d’apparence inadaptable, qui a déjà suscité le désir d’autres artistes sans parvenir à une réalisation concrète. Son dévolu se jette cette fois sur La Montagne magique de Thomas Mann, roman de quelques mille pages au départ conçu comme un contrepoint à Mort à Venise. L’œuvre relate la vie d’une frange de la haute société européenne retirée dans un sanatorium à la veille de la Première Guerre mondiale, société dont les membres se révèlent moins soucieux de tisser des relations entre eux que de scruter les moindres oscillations de leur température et des battements de leur cœur, alors que le monde dont ils se sont extraits est sur le point de sombrer. Le terrain offert par le roman paraît à de multiples égards propice au déploiement de l’art de Lupa, qui immerge intensément dans l’œuvre, démontre une nouvelle fois la virtuosité scénique fascinante qu’il a développée de spectacle en spectacle et mène les acteurs et actrices lituaniens du Jaunimo Teatras à des hauteurs vertigineuses.
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« Finir en beauté » de Mohamed El Khatib à la Manufacture – faut-il toujours écouter sa sœur ?

Dix ans plus tard, et tandis qu’il présente La Vie secrète des vieux dans le In, Mohamed El Khatib reprend pour quelques dates l’un de ses premiers spectacles, celui qui l’a fait connaître et l’a propulsé dans le cœur battant de l’institution théâtrale : Finir en beauté. Il se retrouve ainsi dans le même lieu que pour sa première fois dans le Off, la Manufacture, face à un public nombreux, dont la majorité aborde sans doute l’occasion comme une séance de rattrapage, pour comprendre d’où tout est parti. Le spectacle révèle en effet les germes dramaturgiques et esthétiques de la démarche de l’artiste, et soulève la question suivante, en regard des créations qui ont suivi : faut-il toujours écouter sa sœur ?
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« Història d’un senglar (o alguna cosa de Ricard) » de Gabriel Calderón au Théâtre Benoît-XII – acteur recherche rageusement spectateur intelligent

L’auteur uruguayen Gabriel Calderón est pour la première fois invité au Festival d’Avignon, et son travail ainsi soumis à l’appréciation d’un vaste public. Ce n’est pas pour autant sa première fois en France, car en 2013, il créait une trilogie au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Quoique Jean-Pierre Han lui ait à cette occasion consacré tout un numéro de sa revue Frictions, dans lequel il prédisait alors la rencontre avec un auteur et un metteur en scène puissant, l’événement ne suffisait pas à faire découvrir un artiste plusieurs fois récompensé dans son pays et largement reconnu en Amérique latine, et à l’inscrire durablement dans le paysage théâtral français ouvert à l’étranger. Cette rencontre retardée arrive enfin, grâce à un seul en scène porté par l’acteur catalan Joan Carreras qui interprète un monologue imprégné par le Richard III de Shakespeare dans Història d’un senglar, œuvre exemplaire du caractère brillant de la dramaturgie de Gabriel Calderón.
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« Les Raisins de la colère » d’Hugo Roux au Théâtre 11 – road show théâtral dans l’Amérique en crise des années 1930

Deux ans après Leurs enfants après eux, le public avignonnais a à nouveau rendez-vous au Théâtre 11 à 22h15 avec Hugo Roux, qui, après le roman de Nicolas Mathieu, propose cette fois l’adaptation d’un roman de Steinbeck. Après La Place d’Annie Ernaux, le metteur en scène s’attaque cette fois à une œuvre un peu plus datée qui appartient au panthéon de la littérature mondiale : Les Raisins de la colère. Par ses choix, il met au jour des thèmes communs entre les romans qu’il adapte, et manifeste face à eux une même ambition narrative, portée par une troupe nombreuse et un art de la mise en scène qui sert de support à l’imagination et permet de suivre le périple de la famille Joad, de l’Oklahoma à la Californie.
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« Quichotte » de Gwenaël Morin dans le Jardin de la rue de Mons – de l’importance de croire

Depuis Le Songe l’an dernier, rendez-vous est pris dans le Jardin de la rue de Mons avec Gwenaël Morin, invité pendant quatre ans à créer un spectacle en rapport avec la langue du Festival d’Avignon invitée. Cette année, le metteur en scène choisit un monument, si ce n’est le monument de la littérature de langue espagnole : Don Quichotte de Cervantès. Une de ces œuvres que tout le monde connaît sans même l’avoir lue, dont les personnages sont familiers, dont certaines scènes sont inlassablement reprises, mais que finalement très peu de monde a effectivement lue in extenso. Le projet de Morin promet ainsi la rencontre, ou au moins une rencontre avec cette œuvre. Pour s’en emparer, le metteur en scène réunit une équipe qui n’est pas historiquement la sienne, celle du Théâtre Permanent, comme l’an dernier. Il prend le parti de la célébrité et engage une tête d’affiche : Jeanne Balibar. Et une autre tête d’affiche, plus discrète mais tout aussi grande pour les gens de théâtre : Marie-Noëlle (ex Yves-Noël Genod). À leurs côtés, Thierry Dupont et Léo Martin, en alternance avec lui-même. Ils sont donc quatre pour ce roman de quelques mille pages qui fourmille de personnages, et cette disproportion paraît caractéristique de Morin. Cette œuvre, en ce lieu, avec ces artistes, retentissaient comme une promesse. Une promesse hélas non tenue, mal tenue, qui révèle l’importance de croire.
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« Les Paravents » de Genet, mis en scène par Arthur Nauzyciel – monument aux morts, à l’adresse des vivants

À l’invitation du directeur du Théâtre de l’Odéon et de son programmateur, Arthur Nauzyciel a choisi de mettre en scène Les Paravents de Jean Genet – auteur dont il avait monté Splendid’s en 2015. Le spectacle a été créé en septembre dernier au Théâtre National de Bretagne que Nauzyciel dirige, et le voilà qui clôt la saison du Théâtre de l’Odéon. Entre temps, ces Paravents n’ont pas tourné, ce qui s’explique sans doute par l’ampleur de ce spectacle, sa scénographie monumentale, sa vaste distribution de seize personnes et sa durée de quatre heures. Il n’en faut pourtant pas moins pour représenter cette pièce-monstre de Genet, pièce qui paraît parfois si abstraite et injouable à la lecture. Après Roger Blin en 1966 et Patrice Chéreau en 1983, il était temps qu’un grand metteur en scène de notre époque s’attaque à cette œuvre et y donne accès aux nouvelles générations afin d’en faire percevoir tout à la fois la folie, l’exubérance provoquante et la puissance théâtrale extraordinaire. Nauzyciel pose ainsi un nouveau jalon dans l’histoire des mises en scène de cette pièce et relance avec elle la réflexion sur sons sens et les partis pris auxquels elle oblige.
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« L’Atelier du spectateur », mis en scène par Anne-Françoise Benhamou, en salle Simone Weil – la classe bien vivante

Le public, nombreux comme à son habitude pour ce rendez-vous attendu avec toujours beaucoup d’impatience, se presse dans la salle Simone Weil une fois la porte ouverte et s’installe à la place qui lui revient. Ou plutôt, installe la salle, car il n’est pas question ici de s’en tenir à un dispositif frontal : les tables sont déplacées, traînées à même le sol dans un bruit rauque ou soulevées, seul ou à deux, tandis que les chaises volent au-dessus d’elles – on croirait assister à un spectacle de François Tanguy, pendant quelques instants ! Le brouhaha et l’agitation prennent cependant progressivement forme et laissent apparaître une reconfiguration en quadrifrontal, parfois semée d’îlots pour les retardataires les jours de grande affluence, retardataires contraints de se retrouver non pas dans les derniers rangs des gradins ou sur les côtés mais au milieu de l’arène, du terrain d’échange délimité.
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