Catégorie : Spectacles

« Exit » de Fausto Paravidino mis en scène par Anne-Sophie Pauchet à la Comédie de Caen – autopsie ludique d’un couple

Anne-Sophie Pauchet s’est attelée à la création française d’Exit, texte du dramaturge italien contemporain Fausto Paravidino – nom qui paraît contenir la promesse de récits fondateurs par ses sonorités, qui convoque une tradition littéraire mêlant de manière facétieuse Goethe et Dante. Ce texte offre l’autopsie d’un couple, comparable à celle qu’a pu offrir Bergman dans ses Scènes de la vie conjugale. Par rapport à l’auteur suédois, Parvidino ne décortique pas la fin de l’amour de manière chronologique, par percées successives, mais grâce à un carrousel temporel qui déplie le passé dans le désordre avant de faire coexister le présent et son commentaire. S’il choisit pour toile de fond une géopolitique contemporaine elle aussi en crise, l’humour dompte l’émotion en la mettant souvent à distance. Grâce à ses acteurs dirigés avec beaucoup de finesse, la metteuse en scène réussit à faire percevoir les infinies modulations de ce texte qui conjugue plusieurs registres et plusieurs modalités de parole.
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« Beauté fatale » et « Ceci est mon corps » au Lavoir Moderne Parisien – autobiographies scéniques de corps féminins

Pendant quelques jours, deux spectacles peuvent être vus en une seule soirée au Lavoir Moderne Parisien : Beauté fatale d’Ana Maria Haddad Zavadinack et Ceci est mon corps d’Agathe Charnet. Deux spectacles de jeunes metteuses en scène qui se font multiplement écho et qui offrent l’un et l’autre des autobiographies de corps féminins - des autobiographies scéniques.
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« Une mort dans la famille » d’Alexander Zeldin aux Ateliers Berthier – rétablir un continuum entre les âges

Le dernier spectacle du metteur en scène britannique Alexander Zeldin constitue un événement en ce début d’année, d’autant que l’attente de la découverte d’Une mort dans la famille a été nourrie par un report de quelques semaines de la première dû au covid. Vient enfin le moment d’entrer en salle, une salle comble aux Ateliers Berthier, impression que nourrit le fait qu’une partie des gradins est ouverte en éventail et que le public déborde jusque sur le plateau. La frontière scène-salle, d’emblée poreuse, prépare à l’abattement du mur bâti entre la troisième ou quatrième génération et celles qui se rendent au théâtre. Afin de penser le sort réserver à nos vieux – question d’actualité avec le scandale Orpea – et plus encore de rétablir un continuum entre les âges, Zeldin immerge dans un Ehpad grâce à une scénographie spectaculaire, une dramaturgie très fine qui multiplie les points de fuite, et, de manière inattendue, une langue sensible qui maintient sur le fil de l’émotion.
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« Poings » de Pauline Peyrade, mis en scène par Céleste Germe au T2G – intériorité en mille morceaux

Pauline Peyrade est une autrice multiplement primée et parfaitement identifiée dans le paysage théâtral contemporain. Quoique son écriture mette la scène à l’épreuve, elle ne la décourage pas pour autant, elle ne se contente pas de mises en voix ou de lectures théâtrales. Exigeante, elle invite à mobiliser un arsenal technologique sophistiqué si l’on en croit les mises en scène de Cyril Teste ou du collectif Das Plateau. Céleste Germe, membre de ce dernier, a entrepris de se mesurer au dernier texte de l'autrice plusieurs fois distingué (par Artcena, ou le Prix Bernard-Marie Koltès), Poings. Cette alliance renouvelée entre Peyrade et Das Plateau contient la promesse d’un véritable spectacle. Et de fait, la mise en scène envoûtante déploie le texte dans toutes ses dimensions, elle le diffracte et en décuple la puissance de représentation – et avec elle, la violence qu'il exprime.
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« Quai ouest » de Koltès mis en scène par Ludovic Lagarde au Théâtre Nanterre-Amandiers – errances dramaturgiques

Ludovic Lagarde fait partie des rares metteurs en scène aujourd’hui qui montent des textes de théâtre – de Tchekhov, Brecht, Shakespeare, Sarah Kane, Büchner, Jelinek... et d’autres moins renommés qu’il contribue à faire connaître. Avec un tel répertoire, il paraissait inévitable qu’il en vienne à Koltès. Lagarde ne choisit pas l’une des plus connues de cet auteur, mais Quai ouest, qui n’a fait l’objet que d’une vingtaine de mises en scène en France depuis la création de Patrice Chéreau en 1986. C’est justement au même endroit, à Nanterre, qu’est programmé le spectacle, mais dans le bâtiment temporaire, en attendant la fin des travaux. Entouré de ses acteurs fétiches, Lagarde promet un beau spectacle. Le rendez-vous est cependant manqué, ce spectacle ne sera pas mémorable comme ont pu l’être L’Avare ou la trilogie Büchner. À défaut d’être embarqué, on aura pensé à tout ce que pourrait ou devrait être une mise en scène de ce texte.
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« D’où rayonne la nuit » de Yoann Gasioroswki au Studio-Théâtre de la Comédie-Française – divertissement érudit

Dans le cadre de l’année Molière multiplement célébrée, Éric Ruf, administrateur de la Comédie-Française, a demandé à l’un de ses pensionnaires, Yoann Gasiorowski, de créer un spectacle sur Molière et Lully. Une commande adressée à un acteur qui est aussi musicien, impliqué dans tous les spectacles de la Comédie-Française qui mêlent théâtre et musique ces derniers temps, pour penser les relations et créations communes de ces deux artistes qui ont contribué au rayonnement de Versailles. Le sous-titre du spectacle en dit plus que le titre emprunté à un vers d’Hugo : « Molière-Lully. Impromptu musical ». Par ce terme d'« impromptu", le metteur en scène annonce qu'il expose sa démarche en même temps qu’il la déploie et demande aux acteurs d’être tout autant eux-mêmes que Molière, Lully, Armande et Madeleine Béjart, La Grange ou d’autres. Un spectacle érudit et plaisant qui prend la forme d’un divertissement, au sens musical du terme.
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« Contre-enquêtes » de Nicolas Stemann au Théâtre de la Ville – qui pour prendre en charge le récit des victimes ?

Après plusieurs rebondissements liés à la pandémie, le spectacle de Nicolas Stemann, Contre-enquêtes, vient enfin au Théâtre de la Ville, où l’attendent plusieurs groupes de lycéens qui chahutent un peu au moment de s’installer. Certains sont cependant venus avec L’Étranger de Camus et garderont le livre posé sur leurs genoux tout au long du spectacle. Tous ou presque pourront, grâce à leur professeur de français, répondre oui à la question de Mounir Margoum : qui a lu ce livre ? Et tous seront ainsi en capacité d’apprécier le dialogue mis en place par le metteur en scène entre l’œuvre de Camus et la Contre-enquête de Kamel Daoud, publiée en 2014, comme l’envers de L’Étranger, sa réponse à soixante-dix ans d’écart. La confrontation de ces deux œuvres, menée par deux acteurs au plateau, soulève une question délicate : qui peut légitimement prendre en charge le récit des victimes ?
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« La Réponse des hommes » de Tiphaine Raffier aux Amandiers – « Nous sommes désolés »

Après de multiples rebondissements dus au covid, Tiphaine Raffier présente enfin sa dernière création en région parisienne, au Théâtre Nanterre-Amandiers, en coréalisation avec le Théâtre de l’Odéon. Le titre est aussi mystérieux qu’attirant : « la réponse des hommes ». Réponse à quelle question ? En réalité, il n’y en pas une, clairement formulée, mais d’innombrables, à de multiples échelles, dont le dénominateur commun est la miséricorde, définie comme la compassion pour la misère d’autrui, la générosité qui entraîne le pardon, et qui est aussi le nom donné à la bonté infinie de Dieu dans la tradition judéo-chrétienne. Un titre aux consonances bibliques pour un spectacle au thème biblique sous-titré : « Variations autour de neuf œuvres de miséricorde ». Depuis Adam et Ève, on sait que l’homme n’est pas à la hauteur des ambitions que Dieu a pour lui. Sans suspens, les réponses des hommes, incapables d’être bons, ni même miséricordieux, sont dramatiquement décevantes. Mais plus que cette conclusion qui n’est pas surprenante, ce spectacle donne à voir un monde apocalyptique – le nôtre – dans lequel les sirènes sonnent sans relâche, sans que les humains paraissent réagir.
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« King Lear Syndrome » d’Elsa Granat au TGP – Lear, de la tempête au naufrage

Le Théâtre Gérard Philipe, sous la direction de Julie Deliquet, prend la forme d’un temple pour les metteuses en scène de notre époque. En plus de ses propres créations, des spectacles de Tamara Al Saadi, Lorraine de Sagazan, Elsa Granat, Julie Bérès, Pauline Sales et d’autres encore ont été programmés cette année. Ces femmes, qui appartiennent à la même génération à quelques années près, s’imposent dans le paysage théâtral contemporain et en modifient les contours. En plus des questions qu’elles amènent au plateau et qu’elles abordent généralement avec beaucoup de justesse, elles paraissent convoquer une sensibilité bien particulière. Une sensibilité profonde, intime, qui donne l’impression d’appartenir à cette génération, de se situer de plain-pied avec la création contemporaine. Elsa Granat, dans King Lear Syndrome créé ces jours-ci au TGP, confirme l’intuition qu’une mise en scène au féminin se déploie et déplace nos expérience spectatrices. Dans ce spectacle, elle aborde les relations des jeunes adultes avec leurs pères, de la maladie, de la fin de vie et de la mort – tout ceci en dialogue avec Shakespeare, qui donne de l’ampleur à sa démarche et un tour épique aux vies de misère qu’elle représente sur scène.
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« La Vie invisible » de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix à l’Espace Cardin – Ibsen x Rambert

La vie théâtrale reprend progressivement après la trêve hivernale, et 2022 s’ouvre avec un court spectacle programmé par le Théâtre de la Ville : La Vie invisible de Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix. Un spectacle créé l’an dernier à la Comédie de Valence, à partir de témoignages de personnes non et malvoyantes, à l’esthétique dépouillée, « pour permettre aux personnes déficientes visuelles […] d’assister aux représentations » : des rideaux blancs qui ondulent cernent un plateau quasiment vide – rideaux semblables à celui des premières scènes de Go down, Moses de Castellucci, avec qui Lorraine de Sagazan a collaboré il y a quelques années. La Vie invisible raconte la vie d’un homme, une vie presque ordinaire en apparence, mais qui se révèle d’une profondeur dramatique saisissante. Le spectacle produit l’effet d’un coup de poing asséné au creux du ventre.
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