Catégorie : Spectacles

« Kliniken » de Lars Norén, mis en scène par Julie Duclos au Théâtre de l’Odéon – condensé de désespoirs

Un an et quelques mois après la mort de l’auteur suédois Lars Norén, le Théâtre de l’Odéon présente l’une de ses pièces, Kliniken, dans une mise en scène de Julie Duclos. Il y a dix ans, Stéphane Braunschweig, alors directeur de la Colline, avait programmé Salle d’attente de Krystian Lupa, d’après Catégorie 3.1 du même auteur. Ces deux spectacles dialoguent dans la mémoire du spectateur, car tous deux offrent de longues fresques qui dressent le portrait de marginaux, ceux qui vivent dans la rue et se croisent dans les non lieux d’une ville d’une part, et ceux réunis dans un hôpital psychiatrique d’autre part. L’immersion que propose Julie Duclos dans l’institution médicale est douloureuse. Un condensé de détresses, de désespoirs et de dépressions nous attend, qui finit inévitablement par toucher mais qui amène à interroger la pertinence de monter ce texte aujourd’hui, alors que nos morals sont si fragiles.
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« La Mouette » de Cyril Teste aux Amandiers – traversée sans cap

Depuis plusieurs années, Cyril Teste et le collectif MxM ont développé le concept de « performance filmique », expression qui désigne le tournage, montage, étalonnage et mixage en temps réel d’images créées et projetées sur scène. Cet art qui conjugue les moyens du cinéma avec les conditions de représentation du théâtre s’est par le passé déployé à partir d’œuvres qui justifiaient la mobilisation d’un tel arsenal technologique. Le metteur en scène a par exemple créé Ctrl-x de Pauline Peyrade en 2016, texte qui fait intervenir de multiples niveaux d’information autour de la parole des personnages. L’année suivante, il a adapté le scénario de Thomas Vinterberg, Festen. Fort de ces expériences, il s’attaque cette fois à un texte de théâtre – et pas n’importe lequel : une pièce de Tchekhov, qui en outre parle constamment de théâtre : La Mouette. La reprise de ce spectacle aux Amandiers après une création favorablement reçue au Printemps des comédiens révèle l’exigence extraordinaire à laquelle la conjonction du théâtre et du cinéma soumet les acteurs.
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« Ils nous ont oubliés » de Séverine Chavrier aux Ateliers Berthier – hyperacousie assassine

Séverine Chavrier s’aventure sur un terrain déjà balisé par le Polonais Krystian Lupa. Après lui qui s’est constitué en spécialiste de Thomas Bernhard avec cinq spectacles créés ces vingt-cinq dernières années, elle entreprend la deuxième adaptation de l’une de ses œuvres, La Plâtrière, sous le titre Ils nous ont oubliés, après Nous sommes repus mais pas repentis d’après Déjeuner chez Wittgenstein en 2016. Les démarches de ces deux artistes sont profondément différentes comme le signale d’emblée les titres de leurs spectacles. Alors que Lupa, dans son adaptation de La Plâtrière comme dans ses autres adaptations, cherche à prolonger l’œuvre par la scène, à en suivre les ramifications souterraines pour « atteindre, par le langage théâtral, des zones où la narration littéraire n’est pas parvenue », Séverine Chavrier annonce un spectacle « basé sur le roman La Plâtrière ». L’adaptation est conçue comme une variation à partir de l’œuvre première, une impulsion pour la création d’une œuvre nouvelle, une œuvre avant tout scénique, qui multiplie les moyens de manière ambitieuse.
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« La Nuit sera blanche » de Lionel González au TGP – jeu sismographique pour écriture sténographique

En 2016, Lionel González créait Demain tout sera fini, adaptation du Joueur de Dostoïevski. Ce printemps, il présente La Nuit sera blanche au TGP. Une adaptation non pas des Nuits blanches, mais de La Douce, troisième nouvelle du même auteur. Ce changement de titre crée un effet de juxtaposition pour les connaisseurs de Dostoïevski, un léger déplacement qui provoque en amont du spectacle la rencontre de deux textes, aussi denses et énigmatiques l’un que l’autre malgré la simplicité des situations qu’ils décrivent. Ce titre est cependant avant tout une donnée temporelle sous forme de déclaration, comme pour le précédent spectacle : l’une annonce un geste ultime, l’autre un temps de veille étiré. Le public est en effet invité à veiller avec un homme qui monologue face au corps de sa femme suicidée, et qui tente de répondre à la question : « Pourquoi ? ».
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« La Tendresse » de Julie Bérès au TGP – bande de gars en cours de déconstruction

Après Désobéir, « Pièce d’actualité » née en novembre 2017 à Aubervilliers et depuis en tournée, Julie Bérès a souhaité offrir le pendant masculin de ce spectacle et constituer ainsi un diptyque sur le genre et ses injonctions. Le souvenir très fort laissé par Désobéir, coup de cœur d’Avignon 2019, spectacle depuis resté en tête et souvent évoqué comme référence à une forme de théâtre immédiat, très juste à l’endroit qu’elle occupe, rendait inévitable la découverte de La Tendresse. Le risque de la déception était pourtant à la hauteur de l’attente, d’autant que la déclinaison d’une formule qui a fait ses preuves ne constitue jamais une garantie, que ce soit au théâtre, en littérature, au cinéma ou dans l'industrie des séries. En outre, il ne semble pas aussi nécessaire de laisser place au masculin sur scène comme au féminin. Très rapidement, ces craintes ont cependant été balayées par une authentique joie, nourrie tout au long du spectacle, qui amène à conclure que c’est précisément de ce théâtre-là dont nous avons besoin par les temps qui courent.
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« It don’t worry me » du collectif Atresbandes, Bertrand Lesca et Nasi Voutsas au WET°6 – l’activité spectatrice en spectacle

It don’t worry me est un spectacle né de la rencontre d’une compagnie catalane, le collectif Atresbandes, et d’un duo franco-britannique formé par Bertrand Lesca et Nasi Voutsas. Il a été présenté dans le cadre du WET°6, festival consacré à la jeune création dont la programmation est prise en charge par un ensemble de jeunes artistes et de techniciens associés au CDN de Tours. Le choix de présenter ce spectacle démontre la maturité des organisateurs du festival, qui invitent avec lui à prendre du recul sur la création contemporaine et son rapport au public. En déconstruisant le geste artistique aussi bien que l’activité spectatrice, It don’t worry me prend la forme d’un long commentaire métathéâtral aussi humoristique que fin.
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« Cowboy » de Delphine de Baere au WET°6 – errance aux frontières de l’absurdie

Delphine de Baere a été invitée dans le cadre du WET°6, festival consacré à la jeune création organisé avec le soutien du CDN de Tours, à présenter sa dernière création, Cowboy. La grande salle de la Pléiade, située en banlieue de Tours, est pleine d’un public dans l’ensemble jeune, frémissant avant le spectacle et franchement enthousiaste au moment des applaudissements. Le spectacle déplace pourtant, et entraîne dans des zones incertaines. Le plateau convoque l’imaginaire du Far West américain, en cohérence avec le titre qui sert de cadre d’appréhension, mais les coordonnées spatio-temporelles dans lequel s’inscrivent les personnages sont troublées pour dresser le portrait d'êtres désœuvrés, qui se racontent des histoires pour faire passer le temps.
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« Une cérémonie » du Raoul Collectif au Théâtre de la Bastille – collection de fulgurances pour temps de crises

En juillet 2016, le public français découvrait dans le cadre du Festival d’Avignon un de ces groupes d’acteurs dont les Belges ont le secret, le Raoul Collectif. Rumeur et petits jours a laissé le souvenir d’une expérience d’autant plus mémorable qu’elle est restée unique. Le covid a en effet retardé le moment de la découverte de leur nouvelle création, Une cérémonie, accueillie comme les spectacles de tg STAN ou De KOE, à la Bastille. Les mois qui se sont écoulés depuis l’été 2020 – date initialement prévue – n’ont pas mis le propos du collectif sur la touche. Bien au contraire, l’actualité des deux dernières années et celle plus brûlante encore des dernières semaines n’a fait que nourrir le désarroi dont ils font état, avec beaucoup d’humilité.
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« La Faculté des rêves » de Christophe Rauck au Théâtre Nanterre-Amandiers – « Andy Warhol a volé la pièce de Valerie Solanas ! »

Christophe Rauck reprend à Nanterre un spectacle créé il y a un peu plus d’un an au Théâtre du Nord, La Faculté des rêves, d’après un roman de Sara Stridsberg. L’œuvre est consacrée à Valerie Solanas, « pute intellectuelle » des années 1960 aux États-Unis, connue pour l’écriture d’un manifeste féministe radical et pour une tentative d’assassinat à l’encontre d’Andy Warhol. Après s’être intéressé à cette personnalité historique oubliée malgré son destin extraordinaire, Christophe Rauck a ensuite monté un autre texte de l’autrice suédoise contemporaine, Dissection d’une chute de neige, cette fois inspiré par la reine Christine de Suède. Quoique ces deux spectacles semblent pouvoir constituer en diptyque à la cohérence profonde, une différence majeure les distingue : l’un est une adaptation de roman, l’autre la mise en scène d’une pièce de théâtre. Alors que l’appel à la scène est évident dans le deuxième cas, la pratique de l’adaptation exige de justifier le passage de la page à la scène. La nécessité théâtrale manque cependant cruellement, dans La Faculté des rêves.
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« Les Océanographes » d’Emilie Rousset et Louise Hémon au Théâtre de Châtillon – sonder le potentiel théâtral du langage scientifique

Le binôme Émilie Rousset et Louise Hémon s’est reformé pour un nouveau spectacle créé en septembre dernier au T2G et présenté ces jours-ci au Théâtre de Châtillon, Les Océanographes. Après Le Grand Débat, consacré au rituel du débat précédant le deuxième tour des présidentielles et dont il faudra se souvenir dans quelques semaines, les deux artistes poursuivent leur réflexion sur les discours que tiennent les images sur un tout autre terrain. Elles s’inspirent cette fois du travail d’Anita Conti, première femme océanographe et écologiste avant l’heure, et embarquent leur public dans le monde de la pêche au chalut. En plus de mettre à l’épreuve de ce qu’un langage ultraspécialisé peut donner à voir, elles poursuivent leurs recherches passionnantes sur le jeu à partir d’archives sonores.
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