Catégorie : Spectacles

« True Copy » du collectif BERLIN au Théâtre de Châtillon Clamart – fascination de la mystification

Le collectif BERLIN, régulièrement invité en France depuis quelques années, revient accueilli dans le cadre du Festival OVNI coorganisé par Malakoff Scène nationale, le Théâtre de Vanves et le Théâtre de Châtillon-Clamart, festival consacré à des spectacles « indisciplinés », ou indisciplinaires. Cette catégorie qui se définit par la négative correspond bien au travail du collectif anversois, qui parfois se passe de la présence d’acteurs et actrices sur scène et s’appuie sur la technologie pour offrir des portraits de villes ou de personnes qu’il a rencontrées. Dans Perhaps all the dragons…, Bart Baele et Yves Degryse proposaient au public d’écouter six histoires, confiées en tête-à-tête par écrans interposées. Parmi les trente possibles, toutes extraordinaires, seule une était fausse. L’une d’elle était celle du maître faussaire Geer Jan Jansen, dont la trajectoire a donné l’inspiration pour ce spectacle, True Copy. Une réflexion sur ce que l’on décrète vrai ou faux, au musée et au théâtre, qui révèle notre goût profond pour la mystification.
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« Liebestod. El olor a sangre no se me quita de los ojos » d’Angélica Liddell à l’Odéon – sacrifice de l’artiste

La tournée de Liebestod, après sa présentation au Festival d’Avignon l’année dernière, est un événement attendu depuis de long mois. Les quelques dates prévues à Paris sont prises d’assaut, certains quêtent des places à l’entrée du théâtre, avec la ferveur des croyants, désireux de retrouver la grande prêtresse Angélica Liddell, autrice, metteuse en scène, actrice et performeuse de ses spectacles. L’artiste espagnole, régulièrement accueillie en France depuis une dizaine d’année, occupe une place bien particulière dans le paysage théâtral, place clivante, qui suscite la haine autant que l’adhésion. Après avoir un érigé un mausolée à ses parents dans le diptyque Una costilla sobre la mesa, elle propose un nouveau rituel cette fois inspiré par la tauromachie, par lequel elle exprime le danger que représente son art. Le profond désespoir que Liddell partage avec les toréadors, ainsi qu’avec les funambules, donne à penser la portée du sacrifice de l’artiste.
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« Toute nue » d’Émilie Anna Maillet à la Comédie de Caen – Feydeau caféiné et féministe

La Comédie de Caen a programmé pour deux dates une comédie, Toute nue. Variation Feydeau-Norén, conçue par Émilie Anna Maillet. Partant d’une pièce de Feydeau, Mais n’te promène donc pas toute nue !, la metteuse en scène y injecte des dialogues de Norén issus de plusieurs de ses pièces. Non pas sur le mode de la confrontation, mais au contraire de la diffusion, une diffusion au départ presque insensible mais qui en vient en sous-main à déplacer les rapports de force et à bouleverser les équilibres de la pièce initiale, jusqu’à lui donner une tout autre portée. Le terme de « variation » avancé dans le titre du spectacle annonce son caractère musical, rythmique, électrique presque, dimension qui contribue à offrir une lecture caféinée et féministe de Feydeau.
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« Le Firmament » de Lucy Kirkwood mis en scène par Chloé Dabert au TGP – femmes célestes sous la voûte du patriarcat

Après le CentQuatre et la Comédie de Reims qu’elle dirige, c’est au TGP que Chloé Dabert présente Le Firmament. Ce spectacle est la création française du texte de Lucy Kirkwood, autrice britannique dont une autre pièce, Les Enfants, est actuellement présentée au Théâtre de l’Atelier dans une mise en scène d’Éric Vignier. Lucy Kirkwood a plusieurs fois pratiqué le dialogue avec des œuvres existantes, en réécrivant des contes, en proposant une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou en reprenant, ici, les grandes lignes du scénario de Douze hommes en colère, pièce de Reginald Rose adaptée au cinéma par Sidney Lumet. Sur chacune de ces œuvres dont elle s’empare, l'autrice appose une perspective féministe. Peu après avoir travaillé avec des femmes victimes du système judiciaire pour une autre pièce, elle imagine dans Le Firmament une fiction qui se déroule dans l’Angleterre de 1756. Elle pratique cependant le télescopage des époques et l’anachronisme volontaire pour penser la place des femmes dans la société, les libertés acquises ou non depuis le XVIIIe siècle, et la survivance effrayante de problématiques liées à leur corps. Une grande intensité dramaturgique et scénique se dégage de la mise en scène de ce texte par Chloé Dabert.
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« Et pourtant j’aimerais bien te comprendre… » de Yuri Yamada à la Maison de la Culture du Japon à Paris – initiation douce au féminisme par le théâtre

Le Festival d’Automne est aussi, parfois, l’occasion de découvrir des artistes. À la Maison de la Culture du Japon à Paris est programmé le spectacle d’une jeune metteuse en scène japonaise, inconnue en France alors qu'elle a déjà signé plusieurs spectacles, qu’elle en a présentés et recréés en Chine, en plus de jouer et d’écrire des romans ou des scénarios. Et pourtant j’aimerais bien te comprendre…, créé en 2019, mobilise de multiples ressorts dramaturgiques pour tourner autour d’une question particulièrement aiguë au Japon, et également sensible en France : celle de l'enfantement.
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« LOVE » d’Alexander Zeldin à la Commune d’Aubervilliers – informer la sensibilité grâce à une représentation naturaliste du réel

Alexandre Zeldin, jeune artiste britannique, est accueilli en France depuis 2018. Le succès que rencontrent ses spectacles amène à reprendre, déjà, le premier avec lequel il a été accueilli en France il y a quatre ans, LOVE, spectacle alors présenté au sein de la trilogie The Inequalities dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, et cette fois présenté à la Commune d’Aubervilliers. Alors qu’il nous avait transporté au cœur d’un Ehpad l’an dernier, avec Une mort dans la famille, Zeldin nous immerge cette fois dans un hébergement d’urgence pour familles et individus expulsés de chez eux, en attente d’une solution de relogement pour éviter la rue. Dans cet espace à la fois intime et collectif se croisent plusieurs personnages. Près de 150 ans après Zola qui appelait de ses vœux un théâtre naturaliste afin que le drame agonisant de son époque devienne « moderne et réel », Zeldin paraît réaliser l’ambition que formule le maître du naturalisme au moment où il adapte Thérèse Raquin : « j’ai tenté de ramener continuellement la mise en scène aux occupations ordinaires de mes personnages, de façon à ce qu’ils ne jouent pas, mais à ce qu’ils vivent devant le public ».
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« Catarina ou la beauté de tuer des fascistes » de Tiago Rodrigues aux Bouffes du Nord – confronter les extrêmes, au péril du théâtre et de la pensée

Plusieurs spectacles de Tiago Rodrigues animent cette rentrée théâtrale : Dans la mesure de l’impossible aux Ateliers Berthier, Chœur des amants et Catarina ou la beauté de tuer des fascistes aux Bouffes du Nord. Les deux plus récents signalent un tournant politique dans la trajectoire du metteur en scène, jusque-là plutôt préoccupé de littérature (Bovary, The Way She Dies), d’offrir au théâtre son propre reflet (Sopro) ou d’explorer les fragilités du couple (The Way She Dies à nouveau et Chœur des amants). Tiago Rodrigues, nouveau directeur du Festival d'Avignon, semble désormais mettre son écriture et sa science du théâtre au service de sujets d’actualité plus ou moins sensibles : l’action humanitaire et le fascisme. Dans Catarina il aspire certainement à atteindre la complexité et la nuance que ses mises en abyme permettent d’ordinaire, et il donne l’impression d’y parvenir au début de Catarina. Mais il a beau multiplier les renversements, les infinies teintes de gris qui séparent le noir du blanc sont délaissées. Son art théâtral, pourtant brillamment mis en œuvre au début du spectacle, se trouve englouti par des discours extrêmes qui congédient la réflexion.
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« Huit heures ne font pas un jour » de Julie Deliquet au TGP – utopie politique, utopie théâtrale

Le dernier spectacle de Julie Deliquet, Huit heures ne font pas un jour, avec lequel elle a inauguré son mandat à Saint-Denis, est repris un an après sa création. Après avoir adapté un scénario d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, avec la troupe de la Comédie-Française, après avoir adapté un scénario d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, avec son collectif In Vitro, la metteuse en scène s’est cette fois attaqué à un scénario de Fassbinder, auteur de théâtre allemand régulièrement monté, dont les œuvres cinématographiques et télévisuelles ont également inspiré le théâtre – notamment Thomas Ostermeier, qui a adapté Le Mariage de Maria Braun à la scène. Le défi que s’est proposé Julie Deliquet avec ce projet est plus grand encore par rapport à ses précédents spectacles : ce n’est pas un scénario de film, mais celui d’une série, dont cinq épisodes d’une durée moyenne d’une heure et demie ont été réalisés par Fassbinder. L’entreprise de réduction exigée est conséquente, même pour un spectacle qui dure 3h30. Non seulement Julie Deliquet y parvient avec intelligence, mais ce scénario lui offre en plus un matériau qui donne de l’ampleur à son geste artistique.
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« Vider Vénus » de Gaëlle Bourges au Carreau du Temple – beau comme la rencontre fortuite sur une scène du strip-tease et de l’histoire de l’art

Au Carreau du Temple, sont repris les trois premiers spectacles de Gaëlle Bourges, sous la forme d’un triptyque intitulé Vider Vénus. Ces trois spectacles, Je baise les yeux, La Belle Indifférence et Le Verrou, ont été conçus entre 2008 et 2012 comme le rappelle une voix off, une fois les lumières de la salle éteintes, dont l’un des fils rouges qui les unit est la pratique du strip-tease. La voix off poursuit en précisant que le sujet était alors moins visibilisé qu’aujourd’hui, mais aucune modification n’a été apportée aux spectacles entre temps, et, pour déjouer leur caractère potentiellement périmé, elle invite à les aborder comme des archives, des documents du passé. Une immense pertinence se dégage pourtant du propos de ces trois œuvres, qui en outre se révèlent fondatrices dans le rapport à l’histoire de l’art que Gaëlle Bourges a tissé de manière extrêmement singulière tout au long de sa trajectoire. Un rapport d’appropriation des grandes œuvres par l’écriture, le corps et la scène, tout à la fois facétieux, érudit, irrévérent et profondément vivant.
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« Hamlet » de Gérard Watkins à la Comédie de Caen – comédie burlesque

La nouvelle saison de la Comédie de Caen est inaugurée avec une mise en scène d’Hamlet de Gérard Watkins, un an après la reprise du Richard III de Mathias Langhoff par Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo qui officie une dernière année en tant que directeur du lieu. Pour la première fois avec ce spectacle, Gérard Watkins s’attaque à une œuvre du répertoire. Auparavant en effet, il ne mettait en scène que des textes qu’il écrivait lui-même. Pour s’approprier la pièce et ne pas en être que metteur en scène, il procède cependant à sa traduction, une traduction contemporaine et personnelle, redoublée par une scénographie qui transplante la tragédie de Shakespeare dans le Londres des années 60, au moment de la naissance de la contre-culture rock. La réappropriation à laquelle procède Watkins est telle qu’il fait de la pièce une comédie burlesque, dont la seule qualité est d’offrir de belles partitions à ses actrices et acteurs – dont il fait partie.
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