« Et si tu danses » de Marion Lévy au TGP – « Et toi, combien tu en as ? »

Et si tu danses est un spectacle jeune public créé par la chorégraphe Marion Lévy à partir d’un texte de Mariette Navarro. Situé à la lisière du théâtre et de la danse, il puise son inspiration dans le conte du Petit Poucet. Un Petit Poucet devenu adulte qui raconte les épreuves par lesquelles il est passé, en ouvrant progressivement la scène à ses petits spectateurs et petites spectatrices.

Le public, âgé de 4 à 99 ans, agité, excité, n’est pas le moins du monde décontenancé par la scène quasiment vide devant laquelle il s’installe. Rien ne s’y trouve, si ce n’est une ligne zigzagante de cailloux au sol. Un homme entre, courbé vers eux, un galet en équilibre sur la nuque. Il tend le bras, attrape un caillou, le place sur son dos plat, puis y ajoute un deuxième, et un troisième. Puis encore un sur une de ses chaussures, un lisse, et un autre sur l’autre, un rond. Il en cueille encore une poignée qu’il aligne sur son avant-bras, qu’il affuble tous d’un qualificatif. Mais celui qui se dit ramasseur de pierres détruit d’un bond sa construction fragile, qui limite à chaque caillou supplémentaire ses mouvements, quand il tombe sur un caillou noir qu’il reconnaît.

Assis sur le sol, entouré de cailloux, il parle à celui qu’il a reconnu comme à un ami cher, et conclut de leurs retrouvailles qu’il a fini de faire le tour du monde et qu’il est revenu à son point de départ. Il s’engage alors dans le récit de ses aventures – la plus connue mise à part, celle que l’on connaît tous, qui cadre notre appréhension du spectacle, car parents et enfants ont lu et compris qu’il était question d’un Petit Poucet qui a grandi. Le Grand Poucet nous relate d’autres aventures, dans le vent, dans la forêt, il nous raconte l’origine de chacune de ces cicatrices – sur la lèvre, sur la main, sur le cœur, sur la tête. Chaque fois, les cailloux apparaissent comme des repères, des amis, des armes pour traverser la vie.

Poucet ne fait pas que décrire ses souvenirs, il les danse. Il nous montre comment il s’est perdu, entraîné par le vent comme par un élan irrépressible, qui chaque fois le fait virevolter comme une girouette. Ou plutôt, il nous donne à voir comment le paysage s’est perdu autour de lui, car lui ne se perd pas, son corps reste bien là, ses membres, ses yeux. C’est ce qui l’entoure, qui chaque fois change et lui paraît méconnaissable. Il danse donc de tout son corps, et l’espace vide de la scène prend forme avec ses gestes, ses pas, ses chutes, ses pirouettes, ses mouvements des mains qui retracent des labyrinthes infinis. Des lumières et quelques notes esquissent à un moment une forêt, mais le corps de Stanislas Siwiorek suffit pour le reste à donner à voir les paysages dans lesquels il s’envole. Le comédien et danseur conjugue tous les styles de danse, approfondissant les recherches de Teresa de Keermaeker – avec qui a travaillé Marion Lévy à ses débuts – et de Pina Bausch avant elle sur les pouvoirs de narration de la danse, au point de la faire tendre vers le théâtre.

Le récit se tisse par à-coups, au gré de la mémoire volatile de Poucet, et progressivement la scène s’ouvre à la salle. Très vite, le personnage demande à chaque membre du public : « Et toi, combien tu en as ? », un caillou à la main. Chaque enfant, peut-être, s’interroge pour répondre à la question, tandis que les parents pensent à ceux trouvés dans les poches des manteaux, ceux conservés dans des boîtes comme des trésors, des talismans qui renferment le souvenir de vacances, de voyages, de promenades. Plus tard, Stanislas Siwiorek interrogera tel ou telle sur ses cicatrices, posera des questions, parfois vraies, parfois fausses, auxquelles les enfants répondent aussi, comme pour se protéger de la peur qu’elles trahissent, quand Poucet s’enfonce dans la forêt. Certains même posent à leur tour des questions, demandent par exemple quelle est l’histoire de cette cicatrice au cœur qu’il désigne, qui est la seule qu’il ne nous raconte pas. Enfin, Poucet leur demandera s’ils se souviennent de la danse du vent, et il inventera une chorégraphie avec eux, avant d’entraîner celles et ceux qui le souhaitent dans une chorégraphie autour du monde – du théâtre-monde.

Beaucoup de délicatesse et de grâce se dégagent de ce spectacle, attentif à son public, à tous les âges qui le composent. La poésie semble naître de pas grand-chose, mais ce n’est qu’apparence : elle naît d’une écriture faite de mots, alliée à une écriture faite de gestes, d’un corps habité et d’une relation à la salle soigneusement tissée. L’ensemble conquiert le public qui applaudit chaleureusement après avoir voyagé, rêvé, dansé, public qui prêtera certainement une attention différente aux cailloux qu’il croisera désormais sur son chemin.

F.

 

Pour en savoir plus sur « Et si tu danses », rendez-vous sur le site du TGP.

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