« Les Vagues » de Marie-Christine Soma à la Colline

Le roman de Virginia Woolf, Les Vagues, a été adapté au théâtre par Marie-Christine Soma à la Colline. Cette œuvre, que l’autrice désigne comme « le plus complexe et le plus difficile de [ses] livres », est composée des monologues de six personnages. C’est à partir de cette matière première que Soma va réaliser une prouesse dramaturgique.

C’est dans Les Vagues que l’écrivaine anglaise pousse le plus loin ses recherches sur le roman. Son objectif est d’élaborer un roman sans sujet et sans personnage. Elle écrit donc dans une langue hautement poétique les monologues croisés de six figures, Bernard, Louis, Neville, Suzanne, Jinny et Rhoda, à neuf périodes différentes de leur vie. Cette évolution de l’enfance à l’âge mûr est marquée par neuf intermèdes qui sont des peintures marines de l’aube au crépuscule.

Un septième personnage apparaît à travers les discours des six autres, Perceval. Il est au cœur du roman, figure héroïque qui meurt et confronte ceux qui restent à la mort et à l’impassibilité de l’univers. Ce qui compte ce sont donc moins les rares anecdotes rapportées que les relations des six autres au monde et la constitution de leur mémoire à travers leur sensibilité.

L’enjeu face à un tel texte pour Marie-Christine Soma est de figurer le temps qui passe. Très tôt dans le spectacle, cette question apparaît : le passage de la première partie à la seconde, de l’école au collège, est matérialisé par le geste des comédiens de se chausser et par un changement d’éclairage brusque. Ce ne sont encore que des détails face à l’idée lumineuse qui surgit peu à peu.

La scène étant divisé en plusieurs espaces plus ou moins nets, on voit au début apparaître de temps à autres des figures semblables à des fantômes qui dédoublent tous les personnages. À mesure que l’on progresse dans le temps, ces comédiens plus âgés se rapprochent des plus jeunes, s’en font l’écho et mêlent leur voix à celles des premiers. Après la mort de Perceval, durant une longue et superbe séquence où les couples de comédiens se passent le flambeau, les plus jeunes s’effacent à leur tour. En plus de marquer la progression du temps de façon élégante, cet artifice permet d’éviter une incarnation trop forte des figures de Woolf.

Ce dernier risque était d’autant plus grand que le choix des comédiens et leurs costumes étaient remarquables. Pour qui a lu Les Vagues avant d’aller voir le spectacle, chacun d’entre eux correspond de très près à l’image intérieure que l’on peut s’en faire. Cela introduit une atmosphère intime et permet à la metteuse en scène de se passer d’un décor fourni et d’un surplus d’accessoires.

Leur talent est de ne pas céder à la tentation de faire de ces monologues les dialogues qu’ils ne sont pas. Leur solitude à tous est évidente malgré leur proximité, ils réussissent à rester des entités indépendantes et à se fondre dans le flux qu’ils décrivent.

Les trois heures de spectacle qui en découragent plus d’un s’écoulent en rythme grâce aux effets lumineux et à la sonorisation. Les ambiances que ces deux médias intensifient le discours sans le dupliquer. Car c’est bien la parole qui est à l’honneur dans tout le spectacle. Il n’est pas besoin de lui donner corps, de la mimer, il faut simplement la faire entendre, sans tomber dans la récitation.

Les écueils majeurs qui menaçaient une telle adaptation sont donc évités avec grâce et talent. Malgré les coupes qui ont été faites, le spectacle réussit à rendre un bel hommage à la poésie de Virginia Woolf.

F.

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