Étiquette : roman

« Absalon, Absalon ! » de Séverine Chavrier au Théâtre de l’Odéon – Faulkner samplé

Plusieurs mois après sa création à Avignon, et après quelques dates en début d’année à la Comédie de Genève que la metteuse en scène dirige, Absalon, Absalon ! est repris à l’Odéon pour une longue série. Séverine Chavrier mobilise une grande distribution et des moyens techniques conséquents pendant cinq heures de spectacle pour adapter le roman du même titre de William Faulkner, de plus de 400 pages. Après s’être intéressée à l’écriture de Thomas Bernhard dans deux spectacles, dont une adaptation de La Plâtrière, elle revient à l’auteur américain qu’elle a côtoyé dix ans plus tôt pour Les Palmiers sauvages. Ce parcours confirme son attirance pour les écritures qui défient la scène, écriture qu’il s’agit moins de transposer que de traduire dans un langage scénique hybride. De cette façon, Chavrier met le public au contact non de la langue de Faulkner, ni non plus directement de l’histoire que contient l’œuvre de manière enfouie, mais de ce qui relève plutôt de l’expérience singulière de sa lecture, faite de résistance et de fascination.
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« Le Joueur » de Dostoïevski – à l’épreuve du hasard et du chaos

Le Joueur est le roman par lequel on invite à découvrir Dostoïevski. Sans doute parce qu’il n’a pas l’ampleur de ses grands romans – Crime et châtiment, L’Idiot, Les Démons et Les Frères Karamazov –, sans avoir pour autant le caractère confidentiel de ses longues nouvelles – Les Nuits blanches, La Douce ou Le Rêve d’un homme ridicule. Son format correspond à celui des Carnets du sous-sol, œuvre avec laquelle il présente beaucoup de points communs. Par rapport à cette dernière œuvre, le titre annonce d’emblée le thème développé, celui du jeu, un thème classique de la littérature russe, développé par Pouchkine, Lermontov et Gogol, et repris après Dostoïevski par Zweig dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Ce sujet permet à Dostoïevski de reconduire plusieurs de ses obsessions et de reprendre certains des schémas narratifs qui unissent ses œuvres entre elles. Mais ce roman écrit dans l’urgence exacerbe surtout ses manies d’écriture, et tout particulièrement le désordre de ses narrations – désordre qui atteint ici un niveau inégalé.
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« La Septième » de Marie-Christine Soma au T2G – odyssée philosophique d’un Ulysse immortel

Au T2G, est repris pour quelques dates un spectacle créé en novembre 2020 mais empêché par le covid, qui n’a commencé pour de bon sa tournée qu’en 2022. La Septième, de Marie-Christine Soma, est l’adaptation du dernier roman du même titre d’un recueil intitulé 7, écrit par le philosophe Tristan Garcia. Le destin du spectacle, qui a survécu à la pandémie et continue d’être programmé malgré les lois du marché du spectacle vivant qui réclament la nouveauté, imite en quelques sortes celui du personnage du roman : « la septième » désigne la dernière vie d’un être qui, réactivant la croyance selon laquelle les chats auraient plusieurs vies, ressuscite plusieurs fois. Ce récit des différentes existences d’un homme immortel est porté pendant deux heures vingt de spectacle par Pierre-François Garel qui, seul sur scène, parvient à embarquer dans une aventure philosophique.
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« L’Enfant brûlé » de Noëmie Ksicova à la Comédie de Reims – en équilibre sur la ligne de crête du roman de Dagerman

Valenciennes, dont elle signe la conception et la mise en scène, et suit une trajectoire fulgurante : avec ce premier spectacle, elle passe à la MAC d’Amiens, au Off d’Avignon, au Festival Impatience, et poursuit une tournée tout au long de l’année 2023. Sur la base de cet unique spectacle, la Comédie de Reims et l’Odéon se sont engagés sur sa prochaine création, L’Enfant brûlé. Les thématiques sont communes – l’adolescence, le suicide, la cellule familiale –, mais Noëmie Ksicova part cette fois d’un matériau existant : un roman de Stig Dagerman mal connu, dont elle annonce une « libre adaptation » – mais qui porte le même titre que l’œuvre. L’artiste embarque avec elle les partenaires de la première aventure, dont deux jeunes qui n’ont joué qu’avec elle, et se lance dans cette ambitieuse entreprise, assumant l’ambition, mais un peu moins le pas de côté qu’elle fait par rapport à l’œuvre qui l’inspire.
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« L’Esthétique de la résistance » de Sylvain Creuzevault, d’après Peter Weiss, à la MC93 – résistance par l’esthétique

Après une création remarquée au TNS, en mai dernier puis quelques dates à Montpellier, L’Esthétique de la résistance de Sylvain Creuzevault est programmé à la MC93, quelques semaines après Edelweiss [France Fascisme], conçu dans après coup comme un pendant du premier. Ce spectacle, imaginé pendant le confinement et né de la rencontre du metteur en scène avec le Groupe 47 de l’École du TNS, porte tout à la fois la marque de ce mûrissement et de cette vaste collaboration, qui a impliqué des élèves issus des sections jeu, mise en scène-dramaturgie, scénographie-costumes et régie-création. Les 5h30 de spectacles, divisées en trois parties correspondant aux trois livres qui composent l’ample roman de Peter Weiss, constituent un tour de force qui démontre encore la puissance que confère un ferment romanesque à une création théâtrale, par comparaison avec Edelweiss [France Fascisme].
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« Écrire sa vie » de Pauline Bayle au Cloître des Carmes – les vaguelettes

La trajectoire fulgurante de Pauline Bayle, directrice du Théâtre Public de Montreuil depuis janvier 2022, se poursuit : elle est cette année programmée au Festival d’Avignon, au Cloître des Carmes. Après s’être fait connaître avec son adaptation de l’Iliade – notamment grâce au Off d’Avignon –, puis celle de l’Odyssée, après une incursion du côté de la littérature contemporaine avec Chanson douce de Leïla Slimani puis après être revenue à un grand classique, Illusions perdues de Balzac, la metteuse en scène associe une nouvelle fois son nom à celui d’une grande figure de la littérature : Virginia Woolf. Le projet est aussi séduisant que flou : Pauline Bayle ne choisit pas une œuvre de l’autrice en particulier, mais puise indifféremment dans ses romans, ses essais, son journal et sa correspondance. Par rapport à ses précédents spectacles, elle n’exhibe cependant pas son geste d’adaptation et fait croire que Virginia Woolf a écrit du théâtre – et du mauvais théâtre.
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« Drive Your Plow Over the Bones of the Dead » de Simon McBurney à l’Odéon – fable écologique sur ce qui nous relie

Retrouvailles avec Simon McBurney plus de dix ans après son mémorable Maître et Marguerite, présenté dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Une continuité profonde lie ce spectacle au dernier en date, Drive Your Plow Over the Bones of the Dead : il s’agit une nouvelle fois de l’adaptation d’un roman – Sur les ossements des morts dans sa traduction française, écrit par l’autrice polonaise Olga Tokarczuk, Prix Nobel 2018 – qui a pour figure principale une femme. Après Marguerite donc, Janina. Ou plutôt Mme Doucheyko, car le personnage déteste son prénom. Ce n’est cette fois pas la magie de Woland qui inspire le metteur en scène britannique, mais, de manière plus diffuse, une perception ésotérique du monde, qui relie les astres à la nature, les animaux aux hommes, le petit au grand. Avec ce spectacle, la compagnie Complicité nous embarque dans une grande fresque narrative aux accents écologiques, grâce à un langage aussi précis que sophistiqué et un jeu d’acteur fascinant.
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« Némésis » de Tiphaine Raffier aux Ateliers Berthier – l’air vicié de notre temps

Tiphaine Raffier présente aux Ateliers Berthier l’adaptation d’un roman de Philip Roth, Némésis. La metteuse en scène, qui jusqu’ici montait ses propres textes, a cette fois choisi de s’emparer du dernier roman de l’auteur américain Philip Roth, écrit en 2010. Celui-ci n’a a priori rien à voir avec le théâtre, mais il a quelque part beaucoup à voir avec le précédent spectacle de Tiphaine Raffier. Dans le sillage de La Réponse des hommes, la metteuse en scène soulève en effet des questions d’ordre moral sur scène et parvient avec elles à saisir quelque chose d’impalpable qui paraît caractéristique de notre époque, un air du temps dans ce qu’il a de plus volatile.
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« Nul si découvert » de Valérian Guillaume au Théâtre de la Cité internationale – gros plan sur le théâtre des centres commerciaux

Au Théâtre de la Cité internationale, est créé un texte passé par le sas de la Mousson d’été. Après une lecture de Charles Berling en 2020, Nul si découvert, roman publié aux Éditions de l’Olivier cette même année, a entre-temps fait l’objet d’une adaptation par l’auteur, Valérian Guillaume, qui est également metteur en scène de ce spectacle. Si cette œuvre a aussitôt fait l’objet d’une mise en voix et en espace, avant d’arriver pleinement au théâtre, c’est probablement car elle prend la forme d’une longue tirade sans ponctuation – modalité d’écriture qui rappelle celle de Thomas Bernhard, le ressassement et la colère en moins. Pour donner corps à cette langue et à son personnage principal, Valérian Guillaume a choisi un acteur de taille : Olivier Martin-Salvan. Un de ces rares acteurs avec lesquels on veut bien prendre le risque d’un seul en scène, car il ne fait pas du Olivier Martin-Salvan, mais met sa virtuosité au service du texte qu’il porte, donné à entendre avec une précision réjouissante.
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« Qui sait » de Pauline Delabroy-Allard – écrire pour nommer

Qui sait était un roman attendu de la rentrée littéraire 2022. Il est le deuxième de Pauline Delabroy-Allard, qui a fait irruption dans le paysage il y a quatre ans avec un premier livre publié aux Éditions de Minuit, Ça raconte Sarah, plusieurs fois récompensé. Entre temps, elle a fait paraître des livres pour enfants et un objet hybride, mêlant textes poétiques et photographies, publié par l’Iconopop, Maison tanière. Qui sait est cette fois publié chez Gallimard, et sous-titré « roman », comme Ça raconte Sarah. Pourtant, comme Ça raconte Sarah, les inspirations de ce texte sont autobiographiques, et elles produisent un effet de frottement entre fiction et réalité, que la mise en garde ne parvient pas tout à fait à faire oublier. Ce frottement rend attentif au travail de l’écriture plus encore qu’à l’histoire racontée, une écriture qui saisit le monde à bras le corps.
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