Étiquette : jeunesse

« Aria da capo » de Séverine Chavrier à la Comédie de Reims – « c’est un peu limite »

Aria da capo, spectacle de Séverine Chavrier créé en 2020, est en tournée cette année. Sa longévité interroge car son ambition était de rendre compte de la vie de quatre adolescents destinés à une carrière de musicien professionnel. Entre temps, leur projet s’est affermi et ils sont devenus de jeunes adultes. Le caractère éphémère du projet de départ qu’accuse le passage du temps aurait pu être atténué par le fait qu’importent moins à la metteuse en scène leur parcours, leur formation ou leurs ambitions que leurs préoccupations hors de la musique – les relations sexuelles, pour l’essentiel. Cependant, c’est tout l’inverse. En quatre ans, on prend la mesure des questions que soulèvent leurs propos, et le spectacle apparaît moins comme une ode à la jeunesse, comme on nous le promet, qu’une preuve de l’enracinement de la culture du viol dans notre société.
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« La Mouette » de Stéphane Braunschweig au Théâtre de l’Odéon – à l’écoute de la jeunesse, ses inquiétudes, ses ambitions, ses espoirs

Pour sa dernière création en tant que directeur du Théâtre de l’Odéon, Stéphane Braunschweig a décidé de revenir à La Mouette qu’il a montée pour la première fois il y a plus de vingt ans, lorsqu’il dirigeait le Théâtre National de Strasbourg. Le metteur en scène a voulu revenir à ce texte pour en proposer une lecture imprégnée des questions soulevées par notre présent, qui n’est pas le même qu’il y a vingt ans, démontrant, s’il était encore nécessaire, que les classiques sont même inépuisables à l’échelle de la vie d’un artiste. Malgré le contexte particulier que constitue son départ de l’Odéon, ce spectacle n’a rien de testamentaire. Bien au contraire, Braunschweig agrège à ses fidèles de longue date de nouvelles recrues dont il fait puissamment retentir les voix face à celles de leurs aînés pour souligner la pulsion de vie des personnages qu’elles incarnent, leurs espoirs presque indestructibles dans le monde pourtant apocalyptique qu'ils ont reçu en héritage, monde figuré par une scénographie magnifique.
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« Home – morceaux de nature en ruine » de Magrit Coulon à la MC93 – performer la vieillesse pour en révéler le caractère spectaculaire

Alors que la saison touche à sa fin, la MC93 programme un spectacle de Magrit Coulon créé à Liège et pour la première fois présenté en France dans le Off d’Avignon, en 2021, au Théâtre des Doms. Home – morceaux de nature en ruine était auparavant en lice pour le Festival Impatience en 2020 (édition sacrifiée par le covid), mais le spectacle était reparti de manière assez incompréhensible sans aucune récompense – alors que le premier prix était remis au très malaisant The Jewish Hour de Yuval Rozman, en ce moment repris au Théâtre 13… Le temps – au cœur du spectacle de Magrit Coulon – fait heureusement son œuvre, et le public ne s’y trompe pas : salle clairsemée et applaudissements contraints et gênés pour le spectacle primé ; salle pleine et conquise, bruissante de commentaires enthousiastes à la sortie pour Home. Cet enthousiasme peut paraît paradoxal si l’on s’en tient à la seule information que le spectacle porte sur le quotidien de résidents en maison de retraite. Le paradoxe n’est cependant que de surface, car ce qui touche dans ce spectacle, c’est la profondeur du travail théâtral que l’on perçoit en amont et à chaque représentation, qui nous confronte de manière très délicate à une réalité qui nous embarrasse.
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Walter Benjamin au sujet de « L’Idiot » de Dostoïevski – Mychkine seul et immortel

Dostoïevski se représente le destin du monde dans le médium que lui offre le destin de son peuple. C'est l'approche typique des grands nationalistes, pour qui l'humanité ne peut se développer qu'à travers le médium de la communauté populaire. La grandeur du roman se manifeste dans le rapport de dépendance réciproque et absolue selon lequel sont décrites les lois métaphysiques qui régissent le développement de l'humanité et celui de la nation. Il n'est par conséquent aucun mouvement de la vie humaine profonde qui ne trouve son lieu décisif dans l'aura de l'esprit russe. Représenter ce mouvement humain au sein de son aura, flottant libre et dégagé dans l'élément national, et pourtant inséparable de lui comme de son lieu propre, telle est peut-être la quintessence de la liberté dans le grand art de cet écrivain.
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« L’Absence de père » de Lorraine de Sagazan – trentenaires d’aujourd’hui, génération perdue

La nouvelle salle de la MC93 de Bobigny a été transformée en arène pour le spectacle de Lorraine de Sagazan, L’Absence de père. Le public est en effet réparti sur quatre côtés, autour d’un grand carré sur lequel est reconstitué un intérieur, composé de plusieurs espaces – une table commune, un coin salon, un coin chambre, et deux boudoirs. C’est sur ce plateau que prend forme une adaptation de Platonov, pièce de Tchekhov, grâce à laquelle la metteure en scène s’interroge sur la génération des trentenaires d’aujourd’hui – une génération perdue.
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Adolescence et territoire(s) : « Les messages d’amour finiront bien par arriver » – ode à la jeunesse

Après l’Odéon et avant l’Espace 1789 de Saint-Ouen, les jeunes qui participent depuis le début de l’année au programme « Adolescence et territoire(s) » ont présenté au T2G le résultat d’un an de travail. Ils sont plus de vingt et viennent de Paris 17è, Gennevilliers et Saint-Ouen ; ils sont pour la plupart lycéens, âgés entre 15 et 20 ans. Mais ce sont là leurs seuls points communs - pour le reste, le groupe qu’ils forment se distingue par son hétérogénéité. Cette année, l’artiste qui les a accompagnés et qui a écrit pour eux une œuvre est Marie Piémontèse. Elle est surtout connue en tant qu’actrice de Joël Pommerat, mais est aussi auteure et metteure en scène au sein de la compagnie Hana San Studio, fondée par Florent Trochel qui co-signe la mise en scène de ce spectacle, Les Messages d’amour finiront bien par arriver. Ensemble, ces deux artistes ont offert à ces jeunes un très beau texte et une très belle œuvre scénique, qui donne foi en la jeunesse d’aujourd’hui.
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« L’Adolescent » de Dostoïevski – Confession aveugle d’un enfant du XIXe siècle

Quelques années avant Les Frères Karamazov, Dostoïevski commence un nouveau grand roman, L’Adolescent. Pour cette œuvre, il fait un choix radical, qui déjà le tentait pour Crime et châtiment : la forme qu’il choisit est celle de la confession, qui transforme l’adolescent qui donne son titre à l’œuvre en narrateur de l’histoire emmêlée qu’il imagine. La voix qui s’exprime alors est semblable à beaucoup d’égards à celle des Carnets du sous-sol– à la nuance près que ces carnets-là représentent deux gros volumes de près de mille pages en tout. Limitée à cette seule perspective, toute l’écriture de l’œuvre résulte profondément déterminée par ce parti-pris. Renonçant à la polyphonie à laquelle on attribuera en grande partie le caractère moderne de ses autres grands romans, Dostoïevski (s’)immerge dans la perception de son personnage, dont les contradictions sont particulièrement exacerbées alors qu’il est en pleine formation.
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« Je suis un pays » de Vincent Macaigne aux Amandiers – écriture sans dialogue

Le hall du Théâtre des Amandiers est une fois de plus plongé dans la brume en ce mois de décembre, alors que le froid sévit à l’extérieur, et que Vincent Macaigne a envahi les lieux et mis en marche ses machines à fumée à l’intérieur. La musique qui accueille le public dans le théâtre n’est pas encore tout à fait assourdissante, comme les habitués pourraient s’y attendre, mais les airs de piano joués sur un mode dérisoire donnent le ton, ainsi que les parois taggées à gros traits. En réalité ce n’est pas une œuvre que Macaigne présente à Nanterre, mais deux : Je suis un pays d’une part, et Voilà ce que jamais je ne te dirai de l’autre, la seconde étant imbriquée dans la première. Pour Je suis un pays, que Macaigne présente comme une « Comédie burlesque et tragique de notre jeunesse passée », le comédien, réalisateur et metteur en scène qui a dominé l’actualité culturelle de la rentrée n’invoque pas une grande œuvre du patrimoine comme il l’a déjà fait, mais reprend un texte de jeunesse, Friche 22.66, qui avait donné son nom à sa compagnie. Cette œuvre proprement macaignienne révèle la continuité de ses préoccupations et de son discours depuis sa sortie du Conservatoire, mais ce dialogue avec lui-même se révèle moins puissants que les précédents dialogues qu’il avait pu mettre en place avec Shakespeare ou Dostoïevski.
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« Jacuzzi » de Yunior García Aguilera – immersion dans le bain de la jeunesse cubaine

Dans le cadre des journées Traspasos Escénicos, organisées par l’Université des Arts de La Havane (ISA), en plus des conférences et ateliers qui rythment les journées, une série de spectacle est proposée chaque soir dans la capitale. L’arrivée d’étudiants en théâtre – futurs comédiens, metteurs en scène, scénographes, chercheurs ou critiques – des quatre coins du pays crée une émulation qui anime ces derniers jours de juin avant la trêve estivale. C’est dans ce contexte que le jeune auteur et metteur en scène Yunior García Aguilera a fait venir sa dernière création de Holguín, province de l’Est de Cuba, à plus de 600 km de La Havane. Jacuzzi, à peine jouée 12 fois avant cela, était programmée au Centre culturel Bertolt Brecht pour sa première à la capitale. Si Yunior García était déjà identifié comme l’une des personnalités importantes du théâtre cubain aujourd’hui – tant par ses textes, régulièrement montés, que par ses spectacles –, cette œuvre, de l’avis de tous, achève de faire de lui un maître dans son art, capable de prendre la relève de ses prédécesseurs et d’assurer un brillant avenir théâtral à son pays.
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« Ferdydurke » de Witold Gombrowicz [extrait]

Mes tantes, ces nombreuses demi-mères accrochées et collées à moi, mais sincèrement aimantes, essayaient depuis longtemps d’user de leur influence pour que je me range et devienne quelqu’un, par exemple un avocat ou un buraliste. Mon caractère indéfini les peinait à l’extrême, elles ne savaient pas comment me parler puisqu’elles ne savaient pas qui j’étais, donc elles se contentaient de marmotter.…

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