« Jacuzzi » de Yunior García Aguilera – immersion dans le bain de la jeunesse cubaine

Dans le cadre des journées Traspasos Escénicos, organisées par l’Université des Arts de La Havane (ISA), en plus des conférences et ateliers qui rythment les journées, une série de spectacle est proposée chaque soir dans la capitale. L’arrivée d’étudiants en théâtre – futurs comédiens, metteurs en scène, scénographes, chercheurs ou critiques – des quatre coins du pays crée une émulation qui anime ces derniers jours de juin avant la trêve estivale. C’est dans ce contexte que le jeune auteur et metteur en scène Yunior García Aguilera a fait venir sa dernière création de Holguín, province de l’Est de Cuba, à plus de 600 km de La Havane. Jacuzzi, à peine jouée 12 fois avant cela, était programmée au Centre culturel Bertolt Brecht pour sa première à la capitale. Si Yunior García était déjà identifié comme l’une des personnalités importantes du théâtre cubain aujourd’hui – tant par ses textes, régulièrement montés, que par ses spectacles –, cette œuvre, de l’avis de tous, achève de faire de lui un maître dans son art, capable de prendre la relève de ses prédécesseurs et d’assurer un brillant avenir théâtral à son pays.

Les nombreux spectateurs se pressaient devant la porte de la salle Tito Junto le soir de la première, quelques minutes avant l’heure annoncée du spectacle, à la fois désireux d’y trouver un peu de fraîcheur, mais aussi une bonne place. Une fois entré, le public avait à se répartir autour des trois côtés d’une petite scène, au centre de laquelle trônait non pas un jacuzzi, mais une baignoire. Au départ, Yunior García – comédien dans ce spectacle, en plus d’en être l’auteur, le metteur en scène et la matière vive, car il s’est inspiré de sa propre vie pour écrire ce texte – se trouve seul dans cette salle de bain, ouverte à tous les regards, simplement cernée de portants qui en suggèrent les murs et agrémentée d’un miroir qui renvoie une partie du public à lui-même.

D’emblée, des signes discrets indiquent d’autres présences : des verres de vin rouge à même le sol, des tongs de femme… Mais le spectateur est détourné de l’observation de ces détails par le geste inaugural de l’acteur, qui, sans préavis, plonge la tête dans la baignoire qui déborde de mousse, et reste dans cette position d’autruche, immobile, captant l’attention par son apnée. D’un coup, il refait surface et se précipite sur un chronomètre : 33 secondes. Ce nombre libère sa parole et réunit autour de lui de multiples références : 33, c’est ce que les docteurs demandent d’articuler, c’est l’indicateur de la France, c’est l’âge du Christ quand il est crucifié – et, accessoirement, celui de l’artiste aussi. Ce nombre lui convient tant, qu’il annonce que s’il devait organiser une révolution, ce devrait être en 33. Sa tirade est soudainement interrompue par l’apparition inattendue d’une femme, jusque-là dans la baignoire, invisible. Elle sort de l’eau comme par magie, et aussitôt demande combien de temps elle a tenu. 59 secondes. Déjà, un premier indice interpelle : 59, c’est l’année de la révolution cubaine. Se dessine une relation entre ces deux êtres, mais le temps de quelques répliques, ils sont à leur tour arrêtés par le surgissement encore moins prévisible d’un troisième individu, lui aussi dans la baignoire depuis le début, qui a battu tous les records – parce qu’il s’est endormi, dit-il !

Cette entrée en matière qui suscite le plaisir enfantin d’une surprise croissante pose les bases d’une situation improbable. Alejandro, Susy et Pepe sont trois amis, aux relations entremêlées, qui se revoient pour la première fois après plusieurs années. Les deux derniers, qui sont en couple et vivent ensemble, ont invité Alejandro chez eux, qui par le passé, a eu lui aussi une liaison avec Susy. Tous trois se retrouvent dans cette salle de bain, autour de cette baignoire que Susy veut croire un jacuzzi, hyperbole de celle dont elle a toujours rêvé – depuis Cléopâtre et Marat jusqu’à Psychose (on pourrait ajouter à ses références celle d’Ariane d’Auble, l’héroïne d’Albert Cohen qui passe des heures dans sa baignoire à se livrer à l’introspection). D’emblée le caractère ambigu des relations qui les lient pousse Alejandro à vouloir partir. Mais Susy garde son pantalon et ses chaussures dans une armoire dont elle dit avoir perdu la clé avec malice. Elle crée ainsi les conditions d’un huis clos qui frôle l’absurde, mais qui par la contrainte permet de mettre à plat les frictions qui sous-tendent leurs rapports.

Dans cet espace intime, assimilé à un certain luxe – et qui donc se charge d’emblée d’une dimension politique dans le contexte cubain –, tous trois s’éprouvent. Alejandro commence à raconter son échec amoureux le plus récent, lorsqu’il s’est retrouvé évincé d’une relation à trois. La menace d’un tel dénouement pèse ici pour les deux hommes réunis autour de Susy, mais l’issue de ce vaudeville est incertaine, car ils sont amis, avant d’être amants. Cette amitié, elle s’impose par voie de fait, car tous leurs autres amis, à l’image de ce que vit la jeunesse cubaine aujourd’hui, ont quitté le pays. Susy et Pepe sont partis d’ailleurs, eux aussi, ils sont allés vivre la bella vitta en Italie, mais, faisant exception, ils ont décidé de revenir. Des enjeux se dessinent à mesure qu’ils évoquent leurs parcours, et malgré les mises en garde régulières de Pepe – on ne parle pas politique ! – à leur histoire intime, triangulaire, se mêlent des réflexions politiques, de plus en plus présentes.

Chacun d’eux incarne une attitude différente : l’artiste qui revendique une posture d’inconforme, par laquelle il donne sens à son geste ; la fille qui est revenue à Cuba car il n’y a que là que le mot « patrie » signifie quelque chose, mais qui se vend pour vivre ; et le troisième qui, bien né et toujours privilégié, ne considère pas d’autre vie possible que celle d’un patriote convaincu, qui défend au quotidien l’idéal de la Révolution cubaine. À eux trois, ils cristallisent les possibles et nécessaires compromis que doivent faire les Cubains qui font le choix de ne pas quitter leur pays aujourd’hui – et tout particulièrement la jeunesse – pour vivre et survivre dans la société qui leur incombe. Même s’ils savent que le débat est condamné d’avance, ils confrontent leurs choix, s’affrontent. Le prétexte d’aller faire du café, d’aller chercher le café ou de remporter les tasses permet de moduler les rapports en ménageant des duos : l’ancien couple qui se retrouve ; les deux hommes qui se mesurent l’un à l’autre et comparent leur amour pour Susy ; le couple actuel qui s’abîme dans la comparaison.

Ces bras de fer s’enchaînent autour de l’improbable jacuzzi, à partir duquel se tisse au fur et à mesure une poétique. Il s’agit pour les uns et les autres de savoir de quel courant chacun relève – « ¿ en qué agua te mueves ? », en espagnol. Quoique l’eau du bain soit moins agitée que celle d’un véritable jacuzzi, il est bien question d’une ébullition, des esprits, mais aussi des corps, qui se plongent dans l’eau, se baignent, s’aspergent et se couvrent de mousse. La sensualité latente d’un bain devient effective lorsque les comédiens, habillés du strict minimum, se laissent aller à la promiscuité, à des caresses, à des étreintes – sans jamais verser dans la vulgarité. Cette eau qu’ils partagent, dont ils sortent tous les uns après les autres comme d’un même liquide amniotique – celui de la mère Patrie – et dans laquelle ils se retrouvent – tous dans le même bain au fond, au-delà de leurs divergences –, les met aussi en danger. Les gerbes d’eau, les éclaboussures qu’ils provoquent en se mouillant créent des flaques qui menacent de faire glisser les comédiens. Même si cela n’arrive jamais, le risque de déraper est là, d’autant plus qu’à défaut de mettre de l’eau dans leur vin, ils diluent le vin de leur amitié dans l’eau du bain – qui finira par être jetée. L’élément central autour de laquelle s’organise cette scénographie – qui retient l’attention à chaque instant par tous les possibles qu’elle révèle – relativement simple, au départ même un peu gratuit, devient la source de nombreuses métaphores qui nourrissent la perception des questions complexes mises en jeu par Yunior García.

La puissance de Jacuzzi est croissante. L’humour initial, celui qui caractérise le théâtre cubain et qui passe par toute une série d’expressions, de détails qui renvoient au pittoresque de la réalité cubaine, fait progressivement place à des pointes de plus en plus acerbes, jusqu’à ce que soient déployées des tirades frontalement politiques, qui désignent des réalités dérangeantes du pays, celles qui sont tues, qui n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. Yunior García inscrit son spectacle dans la continuité de ses “Quinze questions”, prise de parole remarquée au début de l’année 2016, au cours de laquelle il formulait des critiques sous forme de questions de rhétorique qui touchaient autant la censure, la corruption, l’embargo, les passe-droits, le fonctionnement politique du pays, la gestion des ressources économiques ou la relation ambigüe des autorités avec la culture. L’artiste avait pris le risque de mettre en danger sa liberté d’expression en défiant ainsi le régime cubain, exprimant haut et fort sa volonté de faire connaître aux générations futures la réalité cubaine actuelle. Sa démarche est d’autant plus remarquable qu’ayant tourné dans d’autres pays avec ses œuvres, il aurait eu plusieurs fois l’occasion de quitter son pays. Mais il fait partie de ceux qui décident de rester, à Cuba, et même à Holguín, sa ville d’origine, pour agir de l’intérieur.

Au-delà de cette posture politique affirmée, l’intéressant dans la démarche de Yunior García avec Jacuzzi est qu’il confronte son discours à d’autres. Il organise une double contre-partie avec Susy et Pepe, des voix auxquelles ils donnent de la force – par leurs prises de position mais aussi par la qualité du jeu de Heidy Torres et Víctor Garcés, remarquables de justesse – pour mieux leur résister, mais également pour rendre compte de ces voix qui existent véritablement. En confrontant ces trois postures, le metteur en scène met en mots toute la complexité des dilemmes de la jeunesse cubaine aujourd’hui : partir ou rester ; être partidario ou non ; être résolument contre ou croire que ce n’est pas la politique qui importe, mais les sentiments… Chacun lutte avec ce qu’il essaie d’être. Ces questions sont indissociables d’une autre, tout aussi cruciale – celle de l’amitié. Yunior García demande quel sens ça a d’être amis, quand on ne les choisit pas, quand ne restent que ceux qui n’ont pas décidé de partir, et si, paradoxalement, l’amitié ce n’est pas précisément se dire les choses en face, s’infliger cette violence. Par son écriture précise, il formule sans jamais simplifier ce qui autrement reste à l’état d’intuition – en particulier de l’extérieur.

Le caractère notable de ce spectacle dans le paysage théâtral cubain actuel tient à sa prise avec le présent immédiat. Partant de son expérience, de son histoire, de sa vie, Yunior García capte l’actualité la plus vive, et en offre une image juste. Elle l’est d’autant plus que son discours n’est pas que politiquement engagé et révolté, pris dans la colère et la tristesse, mais qu’il réussit aussi à susciter le rire. Les émotions que l’artiste invoque donnent à la petite heure de spectacle une densité qui relève de l’expérience vitale. Vitale, elle l’est pour le public, mais aussi pour les artistes, qui à la fin, sont émus et comme vidés – vidés de leur propre histoire, comme si ces scènes, ces dialogues, ils ne les jouaient pas mais les revivaient dans leur chair. Après une heure à s’immerger dans ce bain massant, ils ont quelque peu dénoué des nœuds douloureux qui les bloquaient et ont trouvé avec le théâtre un moyen de se faire du bien, de transcender un peu leur triste réalité en la partageant avec les spectateurs.

Alors que la plupart des spectacles créés à Cuba donnent l’impression qu’il leur manque un propos fort pour les faire passer de la catégorie du divertissement – certes de haute qualité – à celle d’œuvre d’art capable de faire réfléchir et d’agir sur le réel, Yunior García rend au théâtre sa pleine nécessité et toute son urgence avec ce spectacle. Plus encore, il promet la possibilité d’un riche avenir artistique au pays, une sortie de l’inertie et de l’immobilisme qui menacent la scène cubaine, désertée, et en particulier par les plus jeunes. En attendant, reste à souhaiter que Jacuzzi ait toute la liberté de tourner à travers le pays et même au-delà.

 

F.

Jacuzzi– inmersión en el baño[1] de la juventud cubana

En el marco de la jornada Traspasos Escénicos, organizada por la Universidad de los Artes de La Habana (ISA), además de las conferencias y los talleres que transcurren estos días, una serie de espectáculos están propuestos cada noche en la capital. La llegada de estudiantes de teatro – futuros actores, directores, escenógrafos, investigadores o críticos – de todas partes del país crea una emulación que anima esos últimos días de junio antes de la pausa veraniega. Es en este contexto que el joven autor y director Yunior García Aguilera trajo su última creación desde Holguín, provincia del Este de Cuba a más de 600 kilómetros de La Habana. Jacuzzi, apenas presentada 12 veces antes de esta ocasión, estaba programada en el Centro Cultural Bertolt Brecht para su estreno capitalino. Si Yunior García ya era identificado como una de las personalidades importantes del teatro cubano de hoy – tanto por sus textos, regularmente montados, como por sus espectáculos –, esta obra, según la opinión general, acaba de hacer de él un maestro en su arte, capaz de tomar el relevo de sus predecesores y de asegurar un porvenir teatral brillante en su país.

Los numerosos espectadores se amontonaban frente a la puerta de la sala Tito Junco la noche del estreno unos minutos antes de la hora anunciada para el espectáculo, a la vez deseosos de encontrar adentro un poco de fresco, pero también un bueno sitio donde sentarse. Una vez dentro, el público tenía que repartirse alrededor de los tres lados de un pequeño escenario, al centro de lo cual se encontraba no un jacuzzi, sino una bañera. Al principio, Yunior García – actor en este espectáculo, además de ser el autor, el director y la materia viva, ya que se inspiró en su propia vida para escribir el texto – está solo en ese cuarto de baño, abierto a todas las miradas, simplemente rodeado de percheros que sugieren paredes y adornado de un espejo que refleja una parte del publico a si misma.

De entrada, unas señales discretas indican otras presencias : copas de vino tinto sobre el suelo, chancletas de mujer… Pero el espectador es desviado de la observación de esos detalles por el gesto inaugural del actor, quien, sin preaviso, sumerge su cabeza en la bañera que rebosa de espuma, y queda en esta posición de avestruz, inmóvil, captando la atención del espectador por su apnea. De un golpe, vuelve a la superficie y se precipita sobre un cronómetro: 33 segundos. Ese número libera su palabra y reúne alrededor de él numerosas referencias: 33, es lo que los médicos piden articular, es el indicador de Francia, es la edad de Cristo cuando fue crucificado y, adicionalmente, la del artista también. Ese número le conviene tanto que anuncia que si tendría que organizar una revolución, tuviera que ser en 33. Su monólogo es de repente interrumpido por la aparición inesperada de una mujer, hasta ese momento en la bañera, invisible. Sale del agua como por arte de magia, y enseguida le pregunta cuanto tiempo demoró: 59 segundos. Ya, un primer indicio llama la atención: 59, es el Año de la Revolución Cubana. Se dibuja una relación entre esos dos seres, pero el tiempo de unas réplicas, son ellos también parados por el surgimiento aún menos previsible de un tercer individuo, él también en la bañera desde el principio, quien batió récords – ¡porqué se puso a dormir, como dice!

Esa introducción que suscita el placer infantil de una sorpresa creciente establece las bases de una situación improbable. Alejandro, Susy y Pepe son tres amigos cuyas relaciones están entremezcladas, que se vuelven a ver por primera vez después de varios años. Los dos últimos, que forman una pareja y viven juntos, han invitado a Alejandro a su casa, quien, en tiempos pasados, tuvo también una relación con Susy. Los tres se encuentran en este cuarto de baño, alrededor de esta bañera que Susy quiere considerar como un jacuzzi, hipérbola de la que siempre soñó tener – desde Cleopatra y Marat hasta Psychosis (se podría añadir a esas referencias la de Ariane d’Auble, la heroína de Albert Cohen que pasa horas en su bañera entregándose a la introspección). De entrada, el carácter ambiguo de los vínculos que los unen impulsa a Alejandro a irse. Pero Susy guarda su pantalón y sus zapatos en un closet y dice que perdió la llave, con malicia. Crea así las condiciones de una situación a puertas cerradas que roza el absurdo, pero que permite, por la coerción, llegar al fondo de las fricciones que sustenta sus relaciones.

En este espacio íntimo, asociado a un cierto lujo – y que entonces se carga de entrada de una dimensión política en el contexto cubano –, los tres se ponen a prueba. Alejandro empieza contando su fracaso amoroso más reciente, cuando se encontró apartado de un trío. La amenaza de un desenlace semejante pesa aquí sobre los dos hombres reunidos alrededor de Susy, pero el término de ese vaudeville es incierto, porque son amigos, antes de ser amantes. Su amistad se impone por vía de hechos, porque todos sus otros amigos, a semejanza de la juventud cubana hoy, salieron del país. Susy y Pepe se fueron también, vivieron la bella vitta en Italia, pero decidieron regresar, siendo una excepción. Retos se dibujan a medida que evocan sus recorridos, y, a pesar de las advertencias regulares de Pepe – ¡no se habla de política! – a su historia intima, triangular, se mezclan reflexiones políticas, más y más presentes.

Cada uno de ellos encarna una actitud diferente : el artista que reivindica una postura de inconforme, por la cual da sentido a su gesto ; la chica que regresó a Cuba porque sólo allí la palabra Patria significa algo, pero que se vende para vivir ; y el tercero que, bien nacido y todavía privilegiado, no considera otra vida posible que la de un patriota convencido, que defiende a diario el ideal de la Revolución Cubana. Entre ellos tres, cristalizan los posibles y necesarios compromisos que tienen que hacer los cubanos que hoy deciden no salir del país – y muy particularmente la juventud – para vivir y sobrevivir en la sociedad que a ellos los incumbe. Aún si saben que el debate es condenado por adelantado, confrontan sus elecciones, se enfrentan. El pretexto de irse para hacer café, para recoger el café o para llevarse las tazas permite modular las relaciones, creando dúos: la antigua pareja que se vuelve a ver ; los dos hombres que se miden uno a otro para comparar su amor para Susy ; la actual pareja que se estropea en la comparación.

Esos pulsos se enlazan alrededor del improbable jacuzzi, a partir de lo cual se teje a medida una poética. Se trata para unos y otros saber a que corriente cada uno pertenece – “¿en qué agua te mueves?”, en español. Aunque el agua del baño sea menos agitada que la de un verdadero jacuzzi, se trata bien de una ebullición, de los espíritus, pero también de los cuerpos, que se zambullen en el agua, se bañan, se rocían, se cubren de espuma. La sensualidad latente de un baño se vuelve efectiva cuando los actores, vestidos del estricto mínimo, se dejan llevar a la promiscuidad, a caricias, a abrazos – sin nunca caer en la vulgaridad. El agua que comparten, del cual salen todos uno después del otro como de un mismo líquido amniótico – él de la madre Patria – y en el cual vuelven a encontrarse – todos en el mismo baño[2], al fondo, más allá de sus divergencias –, los pone también en peligro. Los chorros de agua, las salpicaduras que provocan cuando se mojan crean charcos que amenazan hacer caer a los actores. Aún si nunca ocurre, el riesgo de resbalar existe, sobre todo porque a falta de poner agua en su vino[3], diluyen el vino de su amistad en el agua del baño – que acabará tirado [4]. El elemento central alrededor de lo cual se organiza esa escenografía – que capta la atención en cada momento por los posibles que revela – relativamente simple, al principio aún un poco gratuito, vuelve la fuente de numerosas metáforas que alimentan la percepción de las preguntas complejas puestas en juego por Yunior García.

La potencia de Jacuzzi es creciente. El humor inicial, que caracteriza el teatro cubano y que pasa por una serie de expresiones, de detalles que remiten al pintoresco de la realidad cubana, deja progresivamente espacio a indirectas acerbas, antes que sean desplegados discursos frontalmente políticos, que señalan realidades incómodas del país. Yunior García da a su espectáculo continuidad a sus “Quince preguntas”, toma de palabra que llamó la atención al principio del año 2016, durante la cual formulaba críticas en forma de preguntas de retórica que atañían tanto a la censura, la corrupción, el embargo, los favores ilícitos, el funcionamiento político del país, la gestión de los recursos económicos como a la relación ambigua del gobierno con la cultura. El artista había tomado riesgos desafiando así a las autoridades, expresando en voz alta y clara su voluntad de hacer conocer a las generaciones futuras lo que le parece ser la realidad cubana actual. Su iniciativa es máxime sobresaliente considerando que ha girado en otros países con sus obras, y que habría tenido varias ocasiones de salir de su país. Pero forma parte de esos pocos que deciden quedarse, en Cuba, y aún en Holguín, su ciudad natal, para actuar en el interior.

Más allá de esta postura política afirmada, lo interesante en el proceso de Yunior Garcia con Jacuzzi es que confronta su discurso a otros. Organiza una doble contra-partida con Susy y Pepe, voces a las cuales da fuerza – por sus posiciones pero también por la cualidad del juego de Heidy Torres y Víctor Garcés, extraordinarios de precisión – para mejor resistirlos, pero además para dar cuenta de esas voces que existen de verdad. Confrontando esas tres posturas, el director pone palabras sobre toda la complejidad de la situación en la cual se encuentra la juventud cubana hoy : irse o quedarse ; ser partidario o no ; estar en contra o creer que no es la política que importa, sino los sentimientos… cada uno lucha con lo que trata de ser. Esas preguntas son indisociables de otra, tan crucial – la de la amistad. Yunior García pregunta qué sentido tiene ser amigos, cuando no son elegidos, cuando sólo quedan los que decidieron no irse, y si, paradojamente, la amistad, no es precisamente decirse las cosas a la cara, infligirse esa violencia. Por su escritura precisa, formula sin nunca simplificar lo que si no queda al estado de intuición – en particular desde un punto de vista exterior.

El carácter notable de este espectáculo en el paisaje teatral cubano actual se debe a su toma con el presente inmediato. A partir de su experiencia, de su historia, de su vida, Yunior García capta la actualidad más viva, y ofrece de ella una imagen justa. Lo es aún más que su discurso no es sólo políticamente comprometido y rebelde, animado por la cólera y la tristeza ; logra suscitar la risa. Las emociones que el artista invoca dan a la pequeña hora del espectáculo una densidad que se aproxima de una experiencia vital. Vital, lo es para el público, pero también para los artistas, quien al final, están emocionados y como vaciados – vaciados de su propia historia, como si esas escenas, esos diálogos, no estaban siendo actuadas sino revividas en su propia carne. Después de una hora sumergiéndose en esa bañera de hidromasaje, han desenredado un poco esos nudos dolorosos que los bloqueaban y han encontrado con el teatro un medio para sentirse bien, para transcender un poco su malestar, compartiéndolo con los espectadores.

Mientras que la mayor parte de los espectáculos creados en Cuba dan la impresión que les falta un discurso fuerte para hacerlos pasar de la categoría del divertimiento – claro de alta cualidad – a la de obra de arte capaz de hacer reflexionar y actuar sobre lo real, Yunior Garcia devuelve al teatro su plena necesidad y toda su urgencia con este espectáculo. Aún más, promete la posibilidad de un rico porvenir artístico al teatro, una salida de la inercia y del inmovilismo que amenazan la escena cubana, desertada, y en particular por los más jóvenes. Entretanto, queda por esperar que Jacuzzi podrá girar a través del país y aún más allá.

F.

 

[1] Expresión francesa que significa « en el ambiente ».

[2] Expresión francesa que significa « medir por el mismo ».

[3] Expresión francesa que significa « bajar el tono ».

[4] Referencia a una expresión francesa, « jeter le bébé avec l’eau du bain », que significa « tirar el grano con la paja ».

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