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« Dostoïevski, poète tragique », Stefan Zweig

Ses romans sont en quelque sorte des drames voilés, transformés ; en dernière analyse les Frères Karamazov représentent l’esprit même de la tragédie grecque, sont la chair de la chair de Shakespeare. Le colosse y est nu, sans défense et petit sous le ciel tragique de la destinée. Dans ces instants de crises et de chutes le ton narratif des œuvres de Dostoïevski disparaît. L’ardeur des sentiments fait fondre leur légère enveloppe épique ; elle s’évapore, il ne reste plus rien que le dialogue à la véhémente ardeur. Les grandes scènes de ses romans sont de purs dialogues dramatiques. Chaque personnage y est si bien charpenté, l’ample flot du récit se cristallise aux instants critiques à tel point que l’on peut les transporter sur la scène sans changer un mot. Le sens du tragique qui pousse Dostoïevski vers l’acte définitif, vers la tension violente, vers la catastrophe foudroyante, transforme alors ses chefs-d’œuvre épiques en chefs-d’œuvre dramatiques.
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« La Vie de Galilée » de Brecht à la Comédie-Française – huile sur toile signée Eric Ruf

Alors que les programmations s’épuisent dans la plupart des théâtres et qu’Avignon se prépare déjà, la Comédie-Française continue de remplir sa mission et de proposer chaque soir un spectacle. Parmi ceux actuellement présentés en alternance, se trouve depuis peu La Vie de Galiléede Brecht, dernière création d’Eric Ruf, administrateur général et sociétaire de la Comédie, également scénographe pour ce spectacle. Ruf a choisi de monter ce texte de Brecht qui oppose la raison à la foi, la science à la croyance, le doute au dogme. Ces contradictions fertiles que notre époque continue de questionner sont ici comme figées, prise dans un vernis brillant – le même qui recouvre les toiles des grands maîtres italiens qui ont inspiré le décor.
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« Fêlures. Le silence des hommes » de D’ de Kabal à la Colline – questions au masculin pluriel

L’artiste D’ de Kabal présente sa dernière œuvre, Fêlures. Le Silence des hommes au Théâtre de la Colline – théâtre qui depuis la nomination de Wajdi Mouawad prend pleinement en charge sa mission de faire découvrir de nouvelles écritures, et qui devient ainsi un lieu où sont mis en partage des questionnements profondément ancrés dans notre monde contemporain. Le sujet ici abordé est celui de la « crise de la masculinité ». D’ de Kabal l’aborde dans un très beau texte, qui loin de se réduire à une tribune se révèle le résultat d’une longue maturation. L’auteur, également rappeur et slameur, aspire encore à être metteur en scène, directeur d’acteurs et acteur pour cette œuvre. S’il est moins convaincant dans ces dernières fonctions, sa langue et son propos réussissent à compenser ses faiblesses au moment d’aborder la scène.
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« La Trilogie de la vengeance » de Simon Stone – histoires de femmes en trois saisons

Après Les Trois Sœursen 2017, Simon Stone présente à l’Odéon où il est artiste associé son nouveau spectacle, La Trilogie de la vengeance. Auparavant, il avait été invité avec Ibsen huisau Festival d’Avignon. Dans cette œuvre déjà, librement inspirée d’Ibsen, Stone mêlait plusieurs pièces de l’auteur norvégien pour composer une grande fresque familiale sur plusieurs générations, et menait son public de révélation en révélation dans l’unique cadre d’une grande maison aux grandes baies vitrées. Le metteur en scène australien réitère l’expérience d’écriture pour sa Trilogie, annonçant cette fois un spectacle qui se nourrit de pièces de John Ford, Thomas Middleton, Shakespeare et Lope de Vega. Pour mettre en scène ce texte qu’il a composé en trois parties, il distingue trois espaces aux Ateliers Berthier. Mais l’originalité de l’œuvre qu’il a conçue réside surtout dans le fait qu’elle peut être découverte de trois manières différentes, suivant trois parcours désignés par les lettres A, B et C. Stone entraîne ainsi son public dans un labyrinthe sophistiqué qui suscite chez lui un plaisir d’enquêteur.
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« The Great Tamer » de Dimitris Papaioannou à la FabricA – sur la crête du sensible

Parmi les nombreuses manifestations rassemblées pour le Festival d’Avignon, il y en a qui lui sont propres, quoi qu’elles ne le définissent pas. Ce sont ces formes hybrides rassemblées dans la catégorie « Indiscipline », catégorie vaste et un peu malicieuse qui s’extrait des distinctions génériques et mêle le théâtre, la danse et la performance. L’œuvre de l’artiste grec Dimitris Papaioannou, The Great Tamer, créée en mai à Athènes et présentée à la FabricA, fait partie de ces spectacles, comme Espæce l’an passé, ou À mon seul désir de Gaëlle Bourges, qui illustrent la pertinence de cette catégorie transversale, qui déplace les lignes de la perception. À défaut d’un nom d’auteur, d’un titre de texte, la seule indication qui précède la découverte de l’œuvre est la suivante : « certaines scènes du spectacle comportent de la nudité ». Ce qui pourrait passer pour une revendication de modernité se révèle rapidement une nécessité : comment proposer une genèse de l’homme sans en passer par sa nudité première ? La genèse du « grand dompteur » d’images Papaioannou n’est pas biblique, ni historique, mais rêvée, onirique ; une genèse qui se passe du langage et laisse ainsi une part indécidable de subjectivité dans sa lecture – quoiqu’elle paraisse limpide.
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« Le Retour du tragique » de Jean-Marie Domenach [extrait] – éloge de l’ambigüité, de la contradiction, de l’indécision

La tentation est grande d’opposer au mouvement du monde nos principes inamovibles. Curieusement : c’est que ce demande aux intellectuels une société en plein changement : des doctrines stables, où les énigmes trouvent leur solution, les peines leur consolation. On connaît le succès des grands systèmes rassurants : le teilhardisme succède dans cet emploi au marxisme qui donne un moment à notre jeunesse la griserie de tout intégrer, de tout comprendre.…

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Manger et boire pour s’approprier le monde selon Rabelais

Le manger et le boire sont une des manifestations les plus importante de la vie du corps grotesque. Les traits particuliers de ce corps sont qu’il est ouvert, inachevé, en interaction avec le monde. C’est dans le manger que ces particularités se manifestent de la manière la plus tangible et la plus concrète : le corps échappe à ses frontières, il avale, engloutit, déchire le monde, le fait entrer en lui, s’enrichit et croît à son détriment.…

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« Orlando » de Virginia Woolf

Virginia Woolf dit d’Orlando dans son Journal que ce roman n’est qu’une farce, « une récréation d’écrivain ». Le sujet, le ton employé et même le style de cette œuvre l’isolent en effet au sein de sa création. De façon tout à fait étonnante, c’est même un nouveau visage de l’écrivain anglais que l’on découvre à travers cette œuvre, bien différent de celui que peuvent laisser transparaître La Promenade au phare, Les Vagues ou même Mrs Dalloway.…

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« Les Ruines circulaires » de Jorge Luis Borges [nouvelle]

Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s’enfoncer dans la fange sacrée, mais, quelques jours plus tard, nul n’ignorait que l’homme taciturne venait du Sud et qu’il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n’est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare.…

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