Étiquette : dramaturgie

« Hedda » d’Aurore Fattier aux Ateliers Berthier – pendant les répétitions

Le Théâtre de l’Odéon offre en cette fin de saison l’occasion de découvrir le travail d’Aurore Fattier – actrice dans Le Firmament de Chloé Dabert en ce moment en tournée – en tant que metteuse en scène. L’artiste française dont les spectacles sont surtout présentés en Belgique est ici programmée avec une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou plutôt, une « variation contemporaine » signée par son dramaturge, Sébastien Monfè, et par Mira Goldwicht. À l’origine de ce projet, il y a sans doute la question : comment monter ce texte classique aujourd’hui ? La réponse est apportée sous forme de mise en abyme : le spectacle donne à voir une metteuse en scène et sa compagnie au travail, à quelques jours de la première. La dramaturgie d’Ibsen se trouve ainsi décalée, décentrée, mais aussi dédoublée. La mise à distance n’est pas des plus fines, mais le dispositif exerce un certain pouvoir de fascination.
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« Par autan » de François Tanguy à la Comédie de Caen – promenade sur cimes alpines

Après Strasbourg, après Perpignan, Par autan arrive à Caen. Le Théâtre du Radeau a courageusement repris les routes avec son dernier spectacle créé à Montpellier en mai dernier, spectacle irrémédiablement marqué par le décès de François Tanguy, survenu début décembre 2022, à quelques jours des premières dates prévues au T2G. François Tanguy a signé la mise en scène et la scénographie et cosigné l’élaboration sonore et les lumières de toutes les créations de la compagnie depuis 1985. Son activité théâtrale se résume à ses spectacles ou presque, car il n’a jamais répondu à une commande, ni jamais dirigé une institution. Ce faisant, il a affirmé une singularité exceptionnelle, grâce à laquelle il a occupé une place bien particulière dans le paysage théâtral contemporain, une place qui lui est propre. Par autan bien loin d’offrir le point final, imprévu, de quarante ans de travail, révèle tout ce qui était encore en mouvement, en déplacement, dans la recherche artistique de Tanguy. Le spectacle se présente comme une promenade sur cimes alpines parfois venteuses, promenade composée d’innombrables textes dont se dégagent facétie et mélancolie.
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« Catarina ou la beauté de tuer des fascistes » de Tiago Rodrigues aux Bouffes du Nord – confronter les extrêmes, au péril du théâtre et de la pensée

Plusieurs spectacles de Tiago Rodrigues animent cette rentrée théâtrale : Dans la mesure de l’impossible aux Ateliers Berthier, Chœur des amants et Catarina ou la beauté de tuer des fascistes aux Bouffes du Nord. Les deux plus récents signalent un tournant politique dans la trajectoire du metteur en scène, jusque-là plutôt préoccupé de littérature (Bovary, The Way She Dies), d’offrir au théâtre son propre reflet (Sopro) ou d’explorer les fragilités du couple (The Way She Dies à nouveau et Chœur des amants). Tiago Rodrigues, nouveau directeur du Festival d'Avignon, semble désormais mettre son écriture et sa science du théâtre au service de sujets d’actualité plus ou moins sensibles : l’action humanitaire et le fascisme. Dans Catarina il aspire certainement à atteindre la complexité et la nuance que ses mises en abyme permettent d’ordinaire, et il donne l’impression d’y parvenir au début de Catarina. Mais il a beau multiplier les renversements, les infinies teintes de gris qui séparent le noir du blanc sont délaissées. Son art théâtral, pourtant brillamment mis en œuvre au début du spectacle, se trouve englouti par des discours extrêmes qui congédient la réflexion.
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« Quizoola ! » du Forced Entertainment à l’Espace Pierre Cardin – dialogue impromptu, sans fin ni début

Après quelques semaines de trêve pendant le mois d’août, la saison théâtrale est inaugurée par le Festival d’Automne à Paris. Parmi les événements organisés pour le week-end d’ouverture, était programmé un spectacle de la compagnie britannique Forced Entertainment, la même à qui était consacré tout un portrait l’an dernier. Onze mois après Complete Works : Table top Shakespeare, le public se retrouve ainsi au même endroit, à l’Espace Cardin, pour retrouver deux membres du collectif. Le rendez-vous n’est pas précis : à partir de 19 heures, sont proposées quelques trois heures de « performance-marathon », au cours desquelles le public se trouve libre d’entrer et de sortir à sa guise. Dans le flux de questions et de réponses échangées au plateau, dans une ambiance intime, cette autorisation qu’a pu également donner Bob Wilson se révèle ici authentique.
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« L’Étang » de Robert Walser mis en scène par Gisèle Vienne à Points communs – adaptation ventriloque

L’Étang de Gisèle Vienne est de ces spectacles qui entretiennent un désir particulier avant leur découverte, à force d’être programmé, annulé, reporté – d’abord à cause du décès d’une actrice, Kerstin Daley, puis à cause du covid. Le spectacle est en outre chaque fois présenté pour quelques dates seulement aussitôt prises d’assaut, ce qu’explique entre autres la présence d’Adèle Haenel sur scène. La tournée touchait à son terme – pour cette saison du moins – à Pontoise, où s’est réuni un public nombreux. Comme espéré, L’Étang s’inscrit dans le sillage des précédentes créations de Gisèle Vienne, Jerk, This Is How You Will Disappear, The Ventriloquist Convention ou Crowd. L’artiste intègre cependant une nouvelle donnée à son geste artistique : un texte de Robert Walser, adapté à plusieurs mains. Le spectacle ne prend pas pour autant la forme d’une adaptation ; la relation au texte mise en place est plutôt de l’ordre de l’ingurgitation. Le travail mené sur les conditions d’appréhension du plateau impose une perception intra-utérine du texte qui produit une nouvelle expérience singulière – mais peut-être moins convaincante que les précédentes.
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« Une mort dans la famille » d’Alexander Zeldin aux Ateliers Berthier – rétablir un continuum entre les âges

Le dernier spectacle du metteur en scène britannique Alexander Zeldin constitue un événement en ce début d’année, d’autant que l’attente de la découverte d’Une mort dans la famille a été nourrie par un report de quelques semaines de la première dû au covid. Vient enfin le moment d’entrer en salle, une salle comble aux Ateliers Berthier, impression que nourrit le fait qu’une partie des gradins est ouverte en éventail et que le public déborde jusque sur le plateau. La frontière scène-salle, d’emblée poreuse, prépare à l’abattement du mur bâti entre la troisième ou quatrième génération et celles qui se rendent au théâtre. Afin de penser le sort réserver à nos vieux – question d’actualité avec le scandale Orpea – et plus encore de rétablir un continuum entre les âges, Zeldin immerge dans un Ehpad grâce à une scénographie spectaculaire, une dramaturgie très fine qui multiplie les points de fuite, et, de manière inattendue, une langue sensible qui maintient sur le fil de l’émotion.
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« Quai ouest » de Koltès mis en scène par Ludovic Lagarde au Théâtre Nanterre-Amandiers – errances dramaturgiques

Ludovic Lagarde fait partie des rares metteurs en scène aujourd’hui qui montent des textes de théâtre – de Tchekhov, Brecht, Shakespeare, Sarah Kane, Büchner, Jelinek... et d’autres moins renommés qu’il contribue à faire connaître. Avec un tel répertoire, il paraissait inévitable qu’il en vienne à Koltès. Lagarde ne choisit pas l’une des plus connues de cet auteur, mais Quai ouest, qui n’a fait l’objet que d’une vingtaine de mises en scène en France depuis la création de Patrice Chéreau en 1986. C’est justement au même endroit, à Nanterre, qu’est programmé le spectacle, mais dans le bâtiment temporaire, en attendant la fin des travaux. Entouré de ses acteurs fétiches, Lagarde promet un beau spectacle. Le rendez-vous est cependant manqué, ce spectacle ne sera pas mémorable comme ont pu l’être L’Avare ou la trilogie Büchner. À défaut d’être embarqué, on aura pensé à tout ce que pourrait ou devrait être une mise en scène de ce texte.
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Gide, dramaturge de Copeau pour « Les Frères Karamazov » ?

En avril 1911, le Théâtre des Arts présente l’adaptation des Frères Karamazov par Jacques Copeau. Le rôle central qu’a joué André Gide dans ce projet a été occulté par l’histoire théâtrale, alors qu’il a été conseiller littéraire, confident, premier lecteur et premier spectateur de Copeau – soit son dramaturge. La lecture de leursJournaux respectifs et de leur Correspondance permet de réévaluer l’importance de Gide dans le mouvement de rénovation du théâtre qu’a initié Copeau avec ce premier spectacle.
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« Nous pour un moment » d’Arn Lygre, mis en scène par Stéphane Braunschweig – fugue sur la fragilité des liens entre les hommes

Avec Nous pour un moment, Stéphane Braunschweig poursuit son compagnonnage avec l’auteur norvégien Arn Lygre, qu’il a initié en 2011 avec Je disparais, du temps de sa direction de la Colline. Avant de monter cette pièce, Braunschweig l’a co-traduite avec Astrid Schenka, s’immergeant ainsi profondément dans sa langue et sa structure. Une fois metteur en scène et scénographe, il en déploie la dramaturgie complexe, semblable à une fugue dont le thème poursuivi est celui de l’insurmontable solitude des êtres.
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