Article paru dans la revue en ligne Itinéraires (2022-1), « Les émotions littéraires à l’œuvre : lieux, formes et expériences partagées d’aujourd’hui »
(Actes du colloque international « Émotions littéraires, émotions patrimoniales : maisons d’écrivain, musées, expositions et lieux de mémoire littéraires »
qui s’est déroulé les 1er et 2 décembre 2016 au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis).
Dans la banlieue ouest de La Havane, à une vingtaine de kilomètres du centre-ville, se trouve la Marina Hemingway, le port de plaisance de la ville. Il est ainsi nommé car Hemingway y a créé en 1951 un tournoi de pêche international qui existe encore aujourd’hui. Outre ce nom, le souvenir de l’auteur américain est entretenu à cet endroit par un hôtel, El Viejo y el mar, dont la fontaine illustre une scène de son œuvre la plus célèbre : le combat du vieux Santiago avec l’espadon qu’il a attrapé. Aujourd’hui l’hôtel est un peu à l’abandon, la fontaine est vide, mais le lieu témoigne de la présence diffuse d’Hemingway à La Havane.
Une présence pour le moins paradoxale, car elle fait d’un Américain une figure emblématique de Cuba. Aujourd’hui encore, alors que l’embargo continue d’entraver les relations entre les deux pays, Hemingway est resté indissociable de l’imaginaire cubain, transcendant ainsi tous les déchirements de l’histoire et toutes les tensions politiques actuelles. Ceci s’explique en partie par le fait que sa relation avec Cuba débute avant 1959 : Hemingway découvre Cuba en 1928 et a aussitôt un coup de foudre pour l’île ; à partir de 1930, il la fréquente assidument et goûte notamment aux plaisirs de la pêche et aux cocktails qui font sa réputation ; de 1936 à 1960 enfin, il partage son temps entre les États-Unis et Cuba en passant plusieurs mois par an dans sa propriété, la Finca Vigía[1].
Malgré la fréquence de ses séjours sur l’île, qui a en outre servi plusieurs fois de cadre à l’écriture de ses œuvres, seules quelques-unes d’entre elles ont été véritablement inspirées par Cuba. La plus connue est Le Vieil Homme et la Mer, particulièrement distinguée par le Prix Nobel de littérature qu’il reçoit en 1954, qui lui donne une nouvelle occasion de resserrer les liens qu’il tisse avec l’île. Aussitôt après avoir reçu cette récompense prestigieuse, l’auteur décide en effet de faire don de la médaille qui lui a été remise au peuple cubain en la déposant dans la basilique de la Virgen del Cobre, à l’Est. C’est là l’exemple d’un geste parmi d’autres qui amène les Cubains à parler encore de « Papá Hemingway ».
Aujourd’hui, les traces de la présence de l’auteur américain à Cuba sont multiples. Dans le centre de La Havane, deux bars à cocktails et une chambre d’hôtel transformée en musée lui sont associés. Dans la banlieue sud, se trouve encore sa propriété, elle aussi transformée en musée, et à dix kilomètres à l’est de la capitale, le village de Cojímar, où restent quelques traces des expéditions d’Hemingway en mer. Ces différents lieux permettent d’envisager l’émotion littéraire de façon plurielle. Pour tenter de comprendre comment elle surgit ou de quelle nature elle est, nous pouvons nous demander comment ces lieux convoquent chaque fois différemment la figure d’Hemingway – toujours centrale, mais changeante, selon les aspects de sa vie mis en valeur –, ainsi que ses œuvres, leur lecture, le souvenir que l’on peut en avoir et l’émotion qui y est attachée.
D’emblée, il faut signaler que ces endroits sont autant des lieux de vie que des espaces de création, et cette tension parfois aiguë qui se met en place entre l’homme et l’auteur dégage déjà l’une des problématiques soulevées par l’émotion littéraire : de l’œuvre à celui qui l’a écrite, le lecteur peut être contraint de déplacer sa perspective. Ce déplacement invite se demander en quoi l’émotion née de ces lieux peut être qualifiée de littéraire. Dans le cas de la présence d’Hemingway à La Havane, un autre paramètre est à prendre en compte, celui de l’appropriation de cette présence par le tourisme[2]. L’émotion littéraire étant devenue un lieu commun, l’économie touristique cherche à la rendre rentable. À Cuba, la touristification se développe tout particulièrement à partir des années 2000, après la décision de Fidel Castro de faire du tourisme international un levier économique devant pallier les déficits causés par l’effondrement du bloc communiste. L’émotion est-elle cependant encore possible dans un contexte mercantile ? À quel point peut-elle être authentique lorsqu’elle est maîtrisée, mise en scène ? Les différents degrés de mise en tourisme des lieux de mémoire associés à la présence d’Hemingway à La Havane permettent de proposer des réponses nuancées à ces questions. De la lecture d’une œuvre à la visite d’un lieu de mémoire, se joue également le passage d’une émotion individuelle, intime, à une émotion collective, du moins partagée – et dans le cas d’Hemingway, partagée parfois en masse. L’intérêt du corpus de lieux constitué est encore que chacun, en mettant en place un rapport différent avec le visiteur, en engageant différemment son corps – et donc avec lui ses sens, son imaginaire et sa mémoire –, amène à penser l’émotion littéraire de façon étroitement articulée à l’espace.
L’analyse de ce rapport spatial, qui constitue une donnée de départ objective, paraît rendre possible l’appréhension de l’émotion littéraire, profondément subjective. Pour la mener, nous souhaitons convoquer le modèle théâtral suivant un mode métaphorique, avec une perte de certains éléments et le réinvestissement d’autres. Une perte, car il s’agit de penser ces lieux qui mettent en jeu la mémoire littéraire comme des espaces de représentation, mais des représentations sans texte mis en voix, sans fiction – car est au contraire revendiquée la vérité de ce qui fut –, et plus encore sans corps – et cette question de l’absence, précisément, se révèle cruciale. En revanche, les notions de scénographie (déjà opérante dans l’art muséal), de mise en scène, de mimétisme, d’illusion ou de distance s’avèrent fertiles pour penser l’émotion littéraire.
Pour tenter d’apporter des éléments de réponse aux questions formulées, nous souhaitons proposer un voyage en trois temps, selon trois types de lieux, et trois formes d’émotion. Chaque fois, il s’agira d’approfondir la description des lieux – photographies à l’appui – avec l’analyse du rapport au visiteur qu’ils mettent en place et de l’émotion qui peut surgir, grâce à des outils théoriques empruntés à l’esthétique et au théâtre.
1. La Bodeguita del Medio et le Floridita : mimétisme
Le parcours commence en plein cœur de la vieille Havane, dans deux bars particulièrement fréquentés par les touristes. S’ils le sont plus que d’autres – car les bars à cocktails ne manquent pas dans cette ville –, c’est parce que les guides touristiques en font largement la promotion, appuyant leur réclame sur la présence d’Hemingway dans ces lieux mêmes, quelques décennies plus tôt. L’un et l’autre sont en outre reliés par sa déclaration devenue célèbre : “My mojito in La Bodeguita, my daïquiri in El Floridita”. L’aphorisme, écrit de la main de l’auteur, agrandi, imprimé et encadré, trône dans le premier des deux bars, La Bodeguita del Medio, au milieu des bouteilles de rhum.
Le « petit bistrot du milieu », comme le désigne son nom, se situe près de la Cathédrale San Cristóbal. Les consommateurs de mojitos y sont si nombreux qu’ils débordent dans la rue, mais la musique typiquement cubaine qui s’échappe de l’intérieur élargit l’espace au-delà de ses murs et englobe la foule. Un mojito à la main à écouter Guantanamera, le touriste vit là une expérience qui correspond parfaitement à l’image de carte postale que les guides construisent de Cuba. Au-delà du cocktail consacré par Hemingway, il faut néanmoins se donner un peu de mal pour voir les traces de sa présence dans ce lieu. Après avoir réussi à se faufiler à l’intérieur, l’observateur attentif peut trouver une photographie de l’auteur avec Fidel Castro, un dessin le représentant, ou encore un médaillon qui offre une reproduction de son visage… Le tout entouré voire envahi par des signatures des clients à même les murs du bar, signatures qui saturent l’espace d’exposition que ces murs pourraient constituer et qui engloutissent les œuvres qui y sont accrochées.
Pour rejoindre le Floridita – « la petite Floride » –, il faut marcher vers le Parque Central, au travers du dédale de rue qui fait le charme de la vieja. Ce bar-ci est lui aussi bondé, mais tout se passe cette fois derrière des vitres opaques, et ce n’est que quand la porte s’ouvre qu’il est possible d’entendre les musiciens chanter Hasta siempre, Comandante. La boisson-phare est ici le daïquiri, dont la recette est un peu moins connue que celle du mojito[3].
Dans l’un et l’autre bar, le visiteur est entraîné dans un rapport mimétique. La coutume l’invite à boire un mojito et signer un pan de mur à la Bodeguita, et à commander un daïquiri et poser avec la statue d’Hemingway accoudée au coin du bar dans le Floridita. Cette réplique en bronze du saint patron des lieux attire le visiteur, qui le prend en photo, pose avec lui ou lui rend son cocktail le temps d’un cliché, avant de trinquer à sa santé, selon un rituel aux consonances bacchiques qui semble capable de faire revivre l’homme par le lien intemporel que constitue son cocktail.
Un tel rapprochement, loin de renforcer l’émotion – déjà difficile à qualifier de « littéraire » –, paraît au contraire l’empêcher. Le modèle dramatique invite à penser que ce qui est mis en danger dans ce dispositif, c’est l’illusion. Le toucher – qui fait partie des interdits du théâtre dramatique car il menace l’autonomie de l’espace scénique – s’assortit ici du goût et de l’odorat. Les cinq sens ainsi mobilisés impliquent un engagement physique total, et la réalité des sensations convoquées dissipe toute forme d’illusion. Cette mise en scène immersive qui abolit toute distance fait passer le visiteur du statut de spectateur à celui d’acteur.
L’émotion peut paraître d’autant plus fragilisée que tout le monde fait les mêmes gestes. Même ceux qui ne viennent pas pour rendre hommage à Hemingway et veulent simplement éprouver la bonne réputation des cocktails dans ces lieux finissent par se bousculer un peu et fendre la foule pour poser avec la statue de Papá. Dans ces conditions, l’émotion semble difficilement pouvoir être intime, unique, nécessairement collective, partagée, démultipliée.
La situation dans laquelle place un tel dispositif invite à mobiliser une référence non théâtrale, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique de Walter Benjamin (2009). Dans notre cas, il n’est pas question d’une œuvre d’art, ni d’une reproductibilité technique, mais ce qui est en jeu est bien une multiplication en série, qui vise à une possession – en l’occurrence, celle d’un cocktail. Selon Benjamin, la reproduction d’une œuvre d’art abolit son hic et nunc, « l’unicité de son existence », son « authenticité » impossible à reproduire (13). Plus profondément, la démultiplication de l’œuvre, en rapprochant l’œuvre du spectateur, anéantit la distance temporelle qui les sépare, et avec elle « le travail de l’histoire » (ibid.). En un mot, ce qui est détruit, c’est ce que Benjamin appelle « l’aura » de l’œuvre, « unique apparition d’un lointain, si proche soit-il » (19).
À la Bodeguita comme au Floridita, le lointain est rapproché, l’inapprochable devient approchable, palpable même pour le consommateur de daïquiri qui se place exactement au même plan qu’Hemingway – du moins que sa statue grandeur nature. L’émotion ainsi mise en danger fait place au simple plaisir de goûter des cocktails sous l’égide d’un homme de lettres – plaisir que l’on peut reconduire en allant jusqu’à Trinidad, une ville coloniale très appréciée des touristes, située à quatre heures de route de La Havane, où se trouvent deux répliques des deux bars emblématiques. Pour le lecteur d’Hemingway à la recherche d’une émotion littéraire, le parcours ne s’en tient heureusement pas à ces seules mises en bouche.
2. L’Hôtel Ambos Mundos et la Finca Vigía : mise en scène
Hemingway, durant ses premiers séjours à Cuba, loge à l’hôtel Ambos Mundos (« des deux mondes »). Sa chambre dans cet hôtel, comme la maison située dans les terres qu’il a par la suite acquise, a été transformée en musée après sa mort.
L’hôtel Ambos Mundos est situé dans la vieille Havane lui aussi, à mi-distance entre la Bodeguita et le Floridita. Les séjours fréquents d’Hemingway dans ce bâtiment colonial sont signalés par une plaque discrète sur le mur rose de l’hôtel. À l’intérieur cependant, aucune information n’est d’emblée livrée au visiteur. Il doit se renseigner auprès du personnel, qui l’invite alors à se rendre dans la chambre 511. La direction connue, le trajet jusqu’à elle est balisé : à chaque palier, un aspect de la vie d’Hemingway est mis en valeur par un cadre qui rassemble une photographie de l’auteur retouchée et un objet représentatif d’un aspect de sa vie – nœud de pêche, machine à écrire, chapeau de chasse… Au cinquième étage, la présence de l’homme entre ces murs est signalée avec de plus en plus d’insistance, les cadres se multipliant. L’exposition frôle le fétichisme avec l’exhibition de brouillons et de cahiers – peu probablement authentiques, compte tenu de leur mise en scène –, et plus encore avec le pied d’un bureau, celui-là même sur lequel l’auteur est accoudé sur la photo qui surmonte l’objet. Ce jeu de piste conduit finalement jusqu’à la fameuse chambre 511. Contrairement à Proust à Cabourg, qui réclamait toujours la même, celle-ci n’est en réalité qu’une de celles qu’Hemingway a habitées dans cet hôtel. Mais étant avéré qu’il l’a bien occupée, elle a été transformée en musée, et décorée avec des objets et des meubles qui viennent tous de sa propriété dans les terres.
À l’intérieur de la chambre, trône au centre une machine à écrire sous verre, accompagnée d’une lettre tapuscrite signée de la main de l’auteur. Sur son lit, un exemplaire du Vieil Homme et la Mer, tandis qu’au mur est accrochée une photo de lui avec Fidel Castro. Face au bureau, se trouve encore une collection de cannes à pêche entourée de plusieurs images de lui sur son bateau. Tous ces objets révèlent deux nouvelles facettes de la vie du goûteur de cocktails : l’auteur et l’homme féru de pêche au gros.
Le reste de la pièce est consacré à une exposition temporaire renouvelée tous les ans. En 2016, l’accent est porté sur le Prix Nobel décerné à Hemingway, et sa remise de la médaille qu’il a reçue à cette occasion à l’île qu’il habite alors. Sont ainsi réunis des articles de presse, des télégrammes de félicitations qui lui ont été envoyés, des photographies officielles ou encore des exemplaires des différentes traductions du Vieil Homme et la Mer. L’émotion suscitée par ces documents et objets peut cette fois être proprement littéraire, liée à l’expérience de lecture des œuvres d’Hemingway. Elle aurait néanmoins pu être de nature simplement référentielle, liée à la biographie d’Hemingway plutôt qu’à ses écrits, si l’exposition avait porté, comme les années passées, sur ses chasses légendaires en Afrique, ses pêches dans les mers des Caraïbes ou ses relations amoureuses. Tous ces pans de sa vie peuvent en effet faire l’objet d’une exposition à part entière grâce aux multiples ressources que renferme la Finca Vigía.
La Finca Vigía est une vaste propriété qui se trouve dans la périphérie sud de La Havane, à une quinzaine de kilomètres du centre, dans la petite ville de San Francisco de Paula[4]. Pour le visiteur, la démarche est d’emblée plus engageante : il ne vient jusque-là que pour suivre les traces d’Hemingway. Une fois sur place, l’originalité de la visite est qu’elle ne se fait que de l’extérieur, par les portes et fenêtres ouvertes aux regards – ce qui implique que le musée est fermé au public les jours de pluie. Le visiteur n’entre donc pas dans la grande maison coloniale blanche, mais il en fait le tour, et c’est ainsi par ses ouvertures qu’il découvre les trophées de chasse qui recouvrent les murs, les livres plus nombreux encore qui habitent chaque pièce et les œuvres d’art que la dernière femme de l’écrivain a consenti à laisser après son départ.
Une fois sur place, l’originalité de la visite est qu’elle ne se fait que de l’extérieur, par les portes et fenêtres ouvertes aux regards. On n’entre donc pas dans la grande maison coloniale blanche, mais on en fait le tour, et l’on découvre ainsi par ses ouvertures les trophées de chasse qui recouvrent les murs, les livres plus nombreux encore qui habitent chaque pièce et les œuvres d’art que la dernière femme de l’écrivain a consenti à laisser après son départ.
Le parcours commence avec les lieux de réception – l’entrée, la salle à manger, le salon –, puis viennent les espaces plus intimes – la chambre[5], la salle de bain, le dressing. Ces deux dernières pièces offrent au regard les produits qu’Hemingway utilisait, ses vêtements (en particulier son uniforme de correspondant de guerre), ses chaussures, ou encore les indications frénétiques de son poids au jour le jour pendant les derniers mois de sa vie, à même le mur. Après avoir découvert l’homme, reste encore à appréhender l’écrivain. Cette appréhension est permise grâce à plusieurs espaces liés à l’écriture : un bureau adjacent à sa chambre, un autre plus imposant muré de livres et d’objets d’art, et un troisième plus modeste, qui paraît plus personnel et peut-être par là plus authentique, situé en haut de la « Tour des chats[6] », indépendante de la maison. Dans ce dernier bureau, à côté de la table se tient une lunette tournée vers La Havane qu’il est possible d’apercevoir au loin, objet qui nourrit le mythe romantique de l’écrivain inspiré, en hauteur par rapport au reste des hommes, et qui domine l’horizon qui sert de cadre à son œuvre.
Autour de la maison, dans le jardin luxuriant de 9 hectares, d’autres éléments témoignent encore de la vie que menait Hemingway dans ces lieux. La piscine par exemple – dans laquelle la légende dit qu’Ava Gardner se baignait nue –, les pool houses décorées par des photographies de famille ou de personnalités qui renforcent l’image d’épicurien qu’ont bâtie les bars de La Havane, et plus loin encore, un ancien terrain de tennis sur lequel a été posé son yacht, le Pilar.
Par rapport aux deux bars de la vieille Havane qui invitent le touriste à vivre une expérience immersive comparable à celle qu’a pu vivre Hemingway à son époque, les configurations spatiales de la maison et de la chambre d’hôtel rétablissent une certaine distance, qui semble capable de restituer un peu d’aura benjaminienne à ces lieux. Dans la chambre, vitrines et cordons séparent le visiteur des objets manipulés par l’auteur. Dans la maison, la frontière est plus nette encore, matérialisée par les murs qui isolent l’intérieur de l’extérieur. De telles séparations qui tendent à sanctuariser l’espace intime évoquent celles sur lesquelles se fonde le théâtre dramatique – entre scène et salle, espace de représentation et espace d’observation, espace de fiction et espace de réception. Le visiteur-spectateur se trouve en effet isolé face à un univers qui acquiert ainsi en autonomie.
Pour appréhender cette relation, il est ici possible d’invoquer la théorie diderotienne du quatrième mur, selon laquelle la scène devrait s’apparenter à une boîte fermée dont une paroi transparente permettrait au spectateur de voir sans être vu, de la pénétrer par un regard indiscret, intrusif, qui fait effraction dans l’intimité du drame. Un tel dispositif permet au metteur en scène de jouer avec le hors scène, avec ce qui échappe au regard du spectateur, ce qui s’y dérobe. Au-delà de ce qui est donné à voir, ce qui reste inaccessible au spectateur l’intrigue. Une dynamique se met en effet en place entre le montré et le caché : il est par exemple possible de se demander ce que l’on voit par la fenêtre la plus proche du lit d’Hemingway dans sa chambre d’hôtel ; quels sont les lieux de passage qui relient les pièces de sa maison ; ou encore, où se trouve la cuisine et à quoi elle ressemble. Alors que tout semble offert au regard, les limites physiques empêchent le visiteur de se sentir en immersion totale et sollicitent son imaginaire – et cet investissement provoqué par le manque peut alors être à l’origine d’une émotion comparable à celle du lecteur dont l’imagination compète les descriptions du livre qu’il lit.
Outre le hors scène, l’existence d’une frontière implique une organisation de l’espace, de telle sorte qu’elle détermine un ou des regards. L’art de la scénographie intervient, une scénographie purement spatiale dans le cas des maisons d’auteur, sans corps, qui par une reconstitution la plus proche de la réalité cherche à évoquer une présence encore récente. En laissant des crayons à côté de sa machine à écrire, il s’agit de donner l’illusion d’une absence simplement ponctuelle d’Hemingway à son bureau.
Une telle modalité d’exposition correspond à nouveau au théâtre dramatique d’esthétique réaliste, qui cherche à mettre en place une illusion à laquelle le spectateur est invité à collaborer, en lui faisant croire qu’il assiste à une scène en temps réel, un spectacle fait d’une suite de présents. La scénographie de la propriété d’Hemingway s’efforce en effet de gommer les traces du temps, ce qui est tout particulièrement sensible dans la salle de bain, ou avec l’exposition de ses vêtements qui semblent prêts à porter. L’absence de l’homme qui n’est plus est compensée par la mise en scène des lieux. Même plus, la mise en scène travaille cette absence en essayant de reconstituer une présence par ses objets, ses meubles, et les gestes qu’ils impliquent et suggèrent.
Un autre type d’absence pose plus de défi aux maisons d’auteur : celle de l’œuvre. Pour la désigner, dépasser son caractère impalpable, l’accent est porté sur les bureaux, les machines à écrire, les brouillons. L’œuvre est présentée dans son cadre de création, et, en disposant des feuilles de manière un peu désordonnée, presque au moment de sa création. Néanmoins, même les mises en scène de ce type, aussi poétiques soient-elles, restent indépendantes de l’expérience du lecteur – celle-là même qui peut susciter le désir de visiter une maison d’auteur. De tels lieux de mémoire soulèvent en effet une question : que vient-on y chercher ? La maison d’auteur donne à voir l’homme, en plus de l’écrivain. Or il est probable qu’un lecteur soit au fond à la recherche du cadre fictionnel de l’œuvre, souhaitant faire durer l’émotion qu’elle lui a procuré au-delà de la lecture[7]. Dans le cas d’Hemingway à La Havane, une telle aspiration est comblée par un autre lieu encore, Cojímar.
3. Cojímar : évocation
À dix kilomètres de La Havane, le long de la côte, sur la route des plages de l’Est, se trouve Cojímar. En général, les touristes ne s’arrêtent pas dans ce discret petit village de pêcheurs, car il ne fait pas partie du tour traditionnel proposé aux étrangers par les agences de voyages, même quand celui-ci a pour thématique Hemingway. Ceci peut en partie s’expliquer par le fait qu’il n’y a pas grand-chose à voir à Cojímar. C’est pourtant là que l’auteur, qui appréciait la pêche en haute mer et profitait tout particulièrement de la proximité de ce port avec les courants du Gulf Stream, venait pêcher. C’est dans ce village, encore caractérisé par la pêche aujourd’hui, qu’était amarré son bateau, le Pilar – désormais exposé dans le jardin de la Finca, comme nous l’avons signalé.
En premier lieu, Cojímar permet de retrouver le décor du Vieil Homme et la mer : le petit port qui fait face à la mer des tropiques, les cabanes de pêcheurs, les chaises à bascule et le bar qui rassemble les travailleurs de la mer en fin de journée. Le village correspond d’autant mieux à l’imaginaire construit par le roman que les descriptions d’Hemingway y sont lacunaires, et qu’elles laissent déjà une large place à l’imagination. Adepte d’une esthétique minimaliste, l’auteur suggère à peine l’essentiel – le village, le bar des pêcheurs, la cabane du vieux –, et ceci d’autant plus qu’après les premières pages, l’intrigue se déploie en mer. Dans le parcours des lecteurs assidus d’Hemingway, Cojímar a ainsi pour particularité de mêler lieu de vie, lieu d’inspiration et cadre de fiction. La mémoire de l’œuvre stimulée par la proximité des quelques détails livrés par l’auteur avec les lieux, des réminiscences surgissent. L’imagination se frotte à la réalité tangible, et est ainsi stimulée par elle.
Au-delà de cette première appréhension, certains indices discrets rappellent la présence d’Hemingway en ces lieux. Son souvenir s’incarne dans un buste à son effigie, qui trône sur la petite place du village, ou dans des toiles qui le représentent sur son bateau, exposées sur des terrasses privées. De façon plus concentrée, le bar-restaurant La Terraza de Cojímar – qui porte le même nom que celui dans lequel se retrouvent chaque soir les pêcheurs de son roman – garde des traces des passages d’Hemingway. Dans la salle du fond, des photographies le montrent pêchant, ou se tenant sur un ponton avec Fidel Castro. Ici, les cadres, avant même de rendre hommage à l’homme qui a côtoyé les lieux, semblent ne servir qu’à décorer la salle de restaurant, sans aucun effet de mise en scène. Une des photographies interpelle cependant le lecteur du Vieil Homme et la Mer, qui représente non pas Hemingway mais Gregorio Fuentes, le capitaine de son bateau et son grand compagnon de pêche, qui a inspiré le personnage principal de son roman, le vieux Santiago. Avec ce portrait, fiction et réalité se rejoignent à nouveau, et l’auteur disparaît derrière son personnage, celui-là même qui a ému, à la lecture de ses aventures.
La présence d’Hemingway dans ce village, loin d’être exhibée, est diffuse. Au parcours cerné d’un bar à l’autre dans la vieille Havane, au regard cadré par un point de vue dans sa chambre d’hôtel ou sa maison, se substitue la libre déambulation du visiteur, qui se laisse guider par son instinct, à la recherche des signes de cette présence dont le tourisme ne s’est pas emparé. Quoiqu’elle soit avérée, il faut la deviner. Il faut connaître l’histoire d’Hemingway avec ce village à l’avance pour la découvrir, car les traces de ses venues à Cojímar sont discrètes. Le visiteur, comme beaucoup avant lui, se donne ainsi l’impression de découvrir ces traces, afin de raviver l’émotion de sa lecture. Une telle modalité de présence, dominée par l’absence, sollicite ainsi la mémoire et l’imagination. L’espace construit par la lecture se superpose progressivement au lieu réel, et de cette rencontre naît l’émotion. Elle est peut-être aussi favorisée par le fait que pour la première fois depuis le début de ce parcours, elle n’est pas imposée, anticipée, mais recherchée. Plus encore, elle est vécue au singulier, non partagée mais solitaire, singulière.
Les conditions dans lesquelles l’émotion affleure à Cojímar évoquent une formule d’Han-Thies Lehmann, qui, alors qu’il cherche à caractériser le théâtre postdramatique, affirme qu’il est « davantage présence que représentation » (2002 : 134). Christian Biet et Christophe Triau (2006) considèrent qu’une telle transition est en effet à l’œuvre dans le théâtre contemporain. S’interrogeant sur les pouvoirs de la théâtralité aujourd’hui, ils formulent l’hypothèse que le spectaculaire, la surreprésentation ou l’illustration ont fait place à d’autres logiques, qui travaillent le creux, le vide, le refus de la théâtralité[8]. De telles esthétiques, minimales, ayant reconnu la vanité de la surenchère des moyens scéniques, cherchent à échapper à l’injonction de la représentation, et à offrir au spectateur une expérience singulière, voire intime – ceci dans un espace collectif. Chantal Guinebault-Szlamowicz écrit au sujet de l’art de Claude Régy, metteur en scène français emblématique de cette tendance du théâtre contemporain : « Ce qui est donné à voir fournit un tremplin pour l’imaginaire » (2008 : 24-51). C’est bien le rapport du spectateur à la scène qui est ici en jeu. Non plus placé dans la posture d’un observateur dérobé, il est invité à une participation active, à un investissement imaginaire qui devient à son tour créateur. Désormais collaborateur, le spectateur, par la perception qu’il a de l’œuvre, contribue à son achèvement.
Un tel rapport, fondé sur l’implication qu’appellent les creux de la mise en scène, pourrait bien être à l’origine de l’émotion. « Par les simples effets de la présence et de la sensation » (Biet et Triau 2006 : 822), le spectateur, déplacé, découvrirait de nouveaux territoires d’émotion. Son fonctionnement serait alors d’ordre métonymique, suivant un art de l’évocation. En cela, il s’opposerait à l’autonomie de la chambre d’Hemingway à l’hôtel Ambos Mundos, ou à celle de la Finca Vigía. Parce que Cojímar n’est pas institué en lieu de mémoire mais qu’il doit être constitué en espace du souvenir par les lecteurs d’Hemingway, une émotion, d’ordre bien littéraire cette fois, peut surgir.
De la même façon qu’une partie de la création contemporaine cherche à « être un lieu d’expérience artistique et non de consommation et de consensus du sentiment » (Biet et Triau 2006 : 875), le visiteur en quête de la présence d’Hemingway à La Havane passe de la consommation – littérale dans les bars de la vieja – à l’investissement, la collaboration et même l’expérience à Cojímar. Ce qui se rejoue dans le village de pêcheurs, ce serait donc la fin du mimétisme, mais aussi celle de l’illusion – celle que cherchent à mettre en place la chambre d’hôtel et la Finca. D’un lieu à l’autre, la distance est rétablie, une distance de plus en plus grande, des bars aux maisons-musées, des maisons-musées au village. Par un tel mouvement, « le spectateur […] accède à l’émotion de la fiction, mais comme indirectement » (868). Pour saisir ce nouveau rapport mis en place avec le spectateur, Biet et Triau proposent une formule paradoxale, celle de « distance émotionnelle » (ibid.). L’émotion, apparemment déjouée, se trouve reconfigurée, réactivée par de nouvelles modalités de mises en scène.
Au gré de ce parcours, plusieurs rapports au visiteur ont finalement été dégagés, qui peuvent être pensés en termes de théâtre. Dans les deux bars de la vieille Havane, c’est le mimétisme qui est recherché, celui-là même qui semble empêcher toute émotion par l’absence d’une quelconque distance. Dans la chambre d’hôtel et à la Finca Vigía, la mise en scène vise l’illusion d’une présence à jamais disparue, qui rétablit une certaine forme de distance. À Cojímar enfin, l’abolition de la séparation scène-salle se fait à la faveur d’un rapport métonymique qui engage émotionnellement le spectateur. D’un lieu à l’autre, ce qui est en jeu semble un mouvement similaire à celui qui mène du théâtre dramatique, fondé sur le mimétisme et l’illusion, à certaines tendances du théâtre contemporain – parfois qualifiées de « postdramatiques » –, un théâtre qui recherche le déplacement du spectateur pour découvrir de nouvelles modalités d’émotion. Invoquer le modèle théâtral pour penser l’agencement plus ou moins sophistiqué des lieux de mémoire littéraire selon divers processus de mise en tourisme amène à penser que l’émotion aurait besoin de place, et plus encore qu’elle serait liée au mouvement – ce qui est cohérent avec l’étymologie commune de ces deux mots. Le mouvement ne permettrait pas seulement de décrire l’effet produit par l’émotion – un mouvement sensible, un trouble –, mais aussi sa cause : c’est parce que le corps a été mis en mouvement, par un déplacement physique, que l’émotion surgirait.
Appendice :
L’auteur cubain Leonardo Padura analyse ainsi les différents lieux de mémoire consacrés à Hemingway dans son roman policier Adios, Hemingway, à travers le regard de son personnage Mario Conde :
« Entre tous les hommages, utilisations ou évocations du nom et de la figure d’Hemingway existant à Cuba, seul ce buste lui semblait vrai et sincère, comme l’une de ces simples phrases affirmatives qu’Hemingway avait appris à écrire à l’époque lointaine où il était reporter pour le Kansas City Star. En vérité, il trouvait excessif voire même peu littéraire que survive encore un tournoi de pêche au poisson aiguille, inventé par l’écrivain en personne et perpétué après sa mort sous son nom, comme une marque commerciale. Il lui semblait aussi faux que de mauvais goût, sans compter la saveur désagréable, ce cocktail « Double Papa » qu’un jour, en vidant ses poches, il avait bu au bar du Floridita, ne trouvant dans son verre qu’une potion diluée, à laquelle Hemingway avait refusé, sous prétexte d’ordonnance expresse de la faculté, la petite cuillère de sucre qui aurait pu faire la différence entre un bon cocktail et un rhum mal nommé. Et, plus que de mauvais goût, il trouvait insultante la création d’une glamoureuse « marina Hemingway » destinée à la jet set mondiale et sûrement pas aux pouilleux cubains, pour qu’elle jouisse des yachts, des plages, des cocktails, des langoustes, des putes prêtes à tout et du soleil, de ce soleil qui donne une si jolie couleur à la peau. Même le musée de la Finca Vigía, où il avait cessé d’aller depuis bien longtemps, lui faisait penser à une mise en scène préparée de son vivant pour quand il serait mort… Au bout du compte, seule la petite place miteuse et désolée de Cojímar, avec ce buste de bronze, disait quelque chose de vrai ; c’était le premier hommage posthume rendu à l’écrivain, c’était celui toujours oublié par ses biographes, mais le seul sincère, car les pêcheurs pauvres de Cojímar l’avaient édifié avec leur propre argent après avoir ramassé dans toute La Havane le bronze nécessaire au travail du sculpteur, lequel n’avait lui non plus rien touché pour son œuvre. Ces pêcheurs, auxquels Hemingway les mauvais jours offrait le produit de sa propre pêche dans des eaux plus propices, auxquels il avait offert un travail payé à son juste prix au moment du tournage du Vieil Homme et la mer, avec lesquels il avait bu des bières et du rhum payés par lui, et dont il avait écouté en silence les récits de captures d’énormes poissons pêchés dans les eaux chaudes du grand fleuve bleu, ressentaient ce que personne au monde ne pouvait ressentir : pour eux, c’était un camarade qui était mort, ce qu’Hemingway n’avait jamais été ni pour les écrivains, ni pour les journalistes, ni pour les toreros ou pour les chasseurs blancs d’Afrique, ni même pour les miliciens républicains espagnols ou pour ces maquisards français au-devant desquels il était entré dans Paris pour fêter de façon aussi joyeuse qu’arrosée la libération de l’hôtel Ritz de la domination nazie… Face à ce morceau de bronze s’amoncelait toute la spectaculaire escroquerie qu’avait été la vie d’Hemingway, mais elle était rachetée par l’une des rares vérités que contenait le mythe, et le Conde admirait l’hommage, non pour l’écrivain qui n’en saurait jamais rien, mais pour les hommes qui avaient été capables de cette action, avec une sincérité peu commune en ce monde ». (Padura Fuentes 2007 : 27-29)
Bibliographie
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Cortanze, Gérard de, 2004, Hemingway à Cuba, Paris, Gallimard.
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Guinebault-Szlamowicz, Chantal, 2008, « À la recherche de l’espace mental », dans G. Banu, B. Boisson, M. Brangé (dir.), Claude Régy, Paris, CNRS, p. 24-51.
Hemingway, Ernest, 2002, Le Vieil Homme et la Mer, Paris, Gallimard.
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Padura Fuentes, Leonardo, 2007, Adios, Hemingway, trad. René Solis, Paris, Points, p. 27-29.
Sicart, Catherine, 2018, « Tourisme littéraire en Algérie : Albert Camus, l’étranger en ses terres », Téoros, vol. 37, no 1, [en ligne], http://journals.openedition.org/teoros/3233, consulté le 4 novembre 2022.
Notes :
[1] Au sujet des relations qu’Hemingway a entretenues avec Cuba, voir le récit de Gérard de Cortanze, Hemingway à Cuba (2004) ; Hemingway in Cuba d’Hilary Hemingway et Carlene Brennan (2003), essai illustré de photographies qui entrecroise récits biographiques et extraits de ses œuvres ; et l’article détaillé de Jeffrey Herlihy-Mera, « Cuba in Hemingway » (2017 : 8-41).
[2] Au sujet du développement du tourisme littéraire, voir le no 37 de la revue Téoros, et tout particulièrement l’introduction de Mauricette Fournier et Pierre-Matthieu Le Bel, « Le tourisme littéraire, lire entre les lieux » (2018) ; et l’article de Catherine Sicart, « Tourisme littéraire en Algérie : Albert Camus, l’étranger en ses terres » (2018).
[3] Le daïquiri est composé de sucre, de citron vert, de rhum, de marasquin et de glace, le tout pilé. La légende veut que ce cocktail ait été inventé par Hemingway lui-même, avec Constantino Rabalaigua, le propriétaire du Floridita. Hemingway le buvait double et sans sucre, une variante baptisée « Papa’s Special ».
[4] Hemingway y a fait ses premiers séjours en 1939, jusqu’au moment de l’acheter avec les droits de Pour qui sonne le glas. Il y passe alors 6 mois par an avec famille et amis, jusqu’en 1961, peu avant son retour aux États-Unis où il se donne la mort.
[5] Lorsque l’on se penche par la fenêtre de sa chambre, on peut voir étalé sur le couvre-lit un article disposé à interpeler le regard, qui titre la mort du couple Hemingway dans un accident d’avion. Ici, l’émotion est pleinement mise en scène. Elle est pourtant problématique, car l’information est fausse : un journal a annoncé une telle nouvelle à la suite d’un accident d’Hemingway et de sa femme Mary Welsh en Afrique, dans le court intervalle pendant lequel ils ont en effet été crus morts. L’ennui est qu’aucune indication ne vient signaler au visiteur sans guide l’origine de cet article, qui peut induire en erreur.
[6] Le nom de cette tour s’explique par la cinquantaine de chats qu’avait Hemingway, en plus de ses chiens, dont quatre stèles funéraires dans le jardin attestent l’importance qu’il pouvait leur accorder.
[7] Quelques maisons d’auteurs offrent la conjonction précieuse entre lieu de vie de l’écrivain et cadre fictionnel de l’une de ses œuvres. C’est par exemple le cas de la maison de Gide à Cuverville, maison aujourd’hui privée mais que les propriétaires ouvrent volontiers aux visiteurs curieux. Si les traces de la présence de Gide sont aujourd’hui rares, le lecteur de la Porte étroite reconnaît dans ces lieux le théâtre des amours de Jérôme et Alissa.
[8] Marie-Madeleine Mervant-Roux parle par exemple « d’anti-théâtre » pour qualifier l’art de Claude Régy (2008 : 8-13).
Pour citer cet article
Floriane Toussaint, « Hemingway à La Havane : entre mise en scène de l’émotion et évocation d’une présence », Itinéraires [En ligne], 2022-1 | 2022, mis en ligne le 29 novembre 2022, consulté le 08 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/12344 ; DOI : https://doi.org/10.4000/itineraires.12344
tres enrichissant pour ma (pauvre) connaissance du grand homme, merci!
Très intéressant car je viens de finir le roman Mrs Hemingway de Naomi Wood qui relate les 4 mariages de l’écrivain et évoque à de nombreuses reprises la Villa Finca et sa vie à Cuba.