En 1865, Zola publie une nouvelle dans le Figaro, intitulée « Un mariage d’amour ». Dans ce court récit se trouve en germe l’un de ses romans les plus connus, Thérèse Raquin. Avec l’histoire dramatique d’un couple d’amants hanté par le mari de la jeune femme qu’ils ont tué pour vivre leur amour, Zola crée un personnage féminin fascinant par son silence et le mystère qui en découle. Un an après la parution de son roman, qui déclenche une vive polémique, l’auteur adapte son histoire au théâtre,dans le but de renouveler cet art. Près d’un siècle plus tard, en 1953, Marcel Carné fait entrer le personnage dans un nouveau milieu, en adaptant librement le roman au cinéma. D’un genre à l’autre, c’est la parole de Thérèse qui est en jeu, et son importance plus ou moins grande permet de saisir la singularité du support qui l’accueille, plus encore que de révéler le personnage.
A l’origine, Thérèse Raquin, dont le nom rebute par son grincement, ses sonorités tristes, s’appelait Suzanne -prénom qui sera finalement donné à une autre jeune fille qui lui sert de contrepoint dans le roman et dans la pièce de théâtre. Dans la nouvelle que Zola propose au Figaro, tous les éléments du drame sont déjà en place. Michel épouse Suzanne, une femme nerveuse, ni belle ni laide, mais dont les yeux suggèrent une profondeur insondable ; leur union est sereine jusqu’à ce que Suzanne rencontre un ami de Michel, Jacques, dont elle devient l’amante. Poussés par le désir qui les étreint et trop lâches pour assumer publiquement leur amour, ils décident de tuer Michel. Mais loin de les libérer, ce meurtre est à l’origine d’un malaise dont ils ne peuvent se départir, même après leur mariage. Remords et terreurs sont à l’origine d’hallucinations qui leur font voir le fantôme du mari, qui les épouvante et les empêche de jouir de la légitimité de leur couple. L’amour fait place à la haine et au désespoir, Suzanne et Jacques s’affrontent comme des bêtes sauvages et se déchirent, jusqu’à se craindre l’un l’autre. Leur désir de s’entretuer se transforme alors en un suicide commun, qui signale pour de bon le caractère ironique du titre du texte.
Avec cette nouvelle, Zola s’inscrit dans la lignée des auteurs réalistes qui s’inspiraient de faits divers pour proposer des nouvelles aux journaux. En passant au genre du roman, il passe du réalisme au naturalisme, en développant sa trame selon les principes du mouvement qu’il initie, alors partiellement théorisés. L’intéresse dès lors moins l’histoire qu’il raconte, que l’occasion qu’elle présente à l’étude scientifique des milieux et de leur influence sur les tempéraments. L’idée que le lieu dans lequel on évolue détermine le comportement est mise en valeur dès le premier chapitre de Thérèse Raquin : en amont de l’intrigue, hors de toute chronologie, Zola met longuement en place le cadre de l’histoire. Il décrit ainsi soigneusement le passage du Pont-Neuf et ses boutiques, et plus particulièrement une mercerie, dans laquelle se distinguent deux silhouettes féminines.
Le troisième grand principe du naturalisme est celui de l’hérédité, surtout développé dans la série des Rougon-Macquart qui acte la renommée de Zola. Néanmoins, cette idée est déjà latente dans Thérèse Raquin. Le personnage principal et éponyme est en effet doté d’une origine qui n’est pas sans rapport avec son tempérament : Thérèse est née à Oran, en Algérie, et elle dit se croire la petite-fille d’un chef de tribu africain. Elle révèle là toute une mythologie personnelle, largement nourrie par l’exotisme, la méconnaissance de l’étranger qui autorise le rêve, et trouve en sa mère une explication de ce qu’elle est : « j’ai compris que je lui appartenais par le sang et les instincts ». Sa mère incarne en effet le fantasme d’une vie de bohémienne, au grand air, alors que Thérèse a été confiée à sa tante par son père encore enfant, et qu’elle a été élevée enfermée, dans l’ombre de son cousin Camille. Ce dernier est un être maladif, faible, couvé et gâté par sa mère, qui le tient à l’écart du monde. En plus de cela, Madame Raquin force Thérèse à avoir le même mode de vie que son cousin pour le tenir tranquille, et elle la couche et lui fait prendre les mêmes médicaments que lui quand il est souffrant.
Cette enfance meurtrit Thérèse, qui n’est heureuse que dehors, qui laisse libre cours à ses pulsions lorsqu’elle est le long de la Seine, à Vernon. Ce retour à l’état sauvage chaque fois qu’elle est à l’extérieur la donne à voir comme un animal mal domestiqué par sa famille d’adoption, pour un être soumis qui se contient et refoule tout ce qui l’anime. La conséquence de cette vie contre-nature est qu’elle est emmurée dans le silence. Plus encore, elle est illisible : « On ne pouvait rien lire sur ce visage fermé qu’une volonté implacable tenait toujours doux et attentif ». Il en résulte qu’elle n’est pas appelée à s’exprimer lorsque sa tante décide de les marier tous deux, voyant en elle sa digne successeuse en tant que garde-malade de Camille, ni quand celui-ci exige égoïstement de déménager à Paris dans l’espoir de trouver un emploi dans une grande administration, ni encore quand ils s’installent dans l’obscur passage du Pont-Neuf et quand Madame Raquin la place derrière le comptoir d’une mercerie.
Le silence de Thérèse est alors assourdissant, ses pulsions grondent et font attendre une explosion, ou du moins un changement qui permettra de les soulager. Ce changement est provoqué par l’arrivée dans leur vie à tous trois de Laurent, un ami d’enfance de Camille. Zola dit alors qu’en le voyant, elle réalise : « Elle n’avait jamais vu un homme ». Alors que Camille est frêle et faible, Laurent est un jeune homme carré, solide, qui respire la santé et le bonheur de vivre. Il trouve chez les Raquin le confort qu’il recherche avec avidité, choyé par tous, ou presque. Thérèse, d’abord fascinée, ne l’approche pas, le toise sans rien dire, et ce faisant l’attire. Sans un mot, sans un échange qui serait même retranscrit au discours indirect, après la dernière séance de peinture du portrait de Camille, Laurent l’embrasse. Elle se débat un instant, avant de s’abandonner, et Zola écrit sobrement : « L’acte fut silencieux et brutal ».
Se noue alors une relation qui révèle une nouvelle femme : Thérèse, qui était « presque vierge encore » avant de le rencontrer, s’épanouit dans leurs ébats interdits. Pour la première fois, au chapitre VII, elle prend la parole, et Zola la laisse entendre au discours direct. Elle retrace alors son enfance, dit sa douleur, son sentiment d’avoir été abêtie par Camille et sa tante, d’être « enterrée vivante » dans sa boutique, avant de libérer ses instincts de bête, dans l’autre sens du terme, dans les bras de Laurent. De la nouvelle au roman, ce qui frappe est qu’il n’y a plus une trace d’amour entre les deux êtres. Leur relation est un exutoire, un rapport physiquement nécessaire, à Thérèse, puis à Laurent, une attirance pulsionnelle qui assure la jouissance des corps dans la chambre conjugale, une revanche contre le passé, et enfin un pied de nez à Camille qui ne se doute de rien.
Néanmoins, cette sortie du silence reste exceptionnelle, et Thérèse redevient aussitôt énigmatique. Le discours indirect indique à peine l’expression de son besoin, et seules retentissent les fatales paroles : « Si mon mari mourait… ». Le désir – purement physique, réduit à un besoin physiologique hors de tous sentiments – est si impérieux, que les amants décident de tuer Camille. Lors de la scène, qui a lieu à Saint-Ouen entre la ville et la campagne, Thérèse est prise entre deux, effrayée lorsque Laurent jette Camille dans la Seine et que la victime se débat et l’appelle au secours, mais consentante par son inaction même et son inexpression. Après cette scène, elle ne s’exprime plus que par son malaise physique, perçu comme un deuil qui paraît long à leurs proches, et même à la mère éplorée. Thérèse ne dit toujours rien, même lorsque Laurent orchestre leur mariage pour mettre fin à leurs terreurs nocturnes. Mis à part le « oui » indispensable à leur union, elle reste muette le jour des noces, et le soir encore, dans la chambre nuptiale, qui n’est autre que la chambre conjugale. Cette nuit-là, Laurent, qui parle d’ordinaire plus, pour se raisonner et se rassurer, est lui aussi tétanisé, et ils comprennent tous deux que leur terreur est indépassable, que le fantôme de Camille qui les hante ne peut être chassé.
Zola étudie alors méticuleusement les différentes formes de leur douleur, et l’évolution de leurs tempéraments. Il indique ainsi que Laurent passe d’un caractère sanguin, selon la typologie d’Hippocrate, à un caractère nerveux, de bonhomme bon vivant devenant un poltron agité par des angoisses qui le rendent femme. Thérèse quant à elle, déjà nerveuse à l’origine, l’est encore plus. Et leur tempéraments se détériorent au contact l’un de l’autre, quand chaque soir ils doivent se retrouver dans leur chambre, alors qu’ils ont passé la journée à se fuir, à chercher du réconfort dans les bras d’autres amants, redoutant la nuit, de plus en plus importante dans l’œuvre, qui les ramène au crime et au sourire narquois du noyé qui les toise dans leurs visions.
Néanmoins, un retournement a lieu lorsque Madame Raquin devient paralytique, longtemps après la mort de Camille dont elle ne s’est jamais remise. Elle perd sa capacité à bouger mais aussi à parler, et elle devient un regard et une oreille au milieu du couple. Son mutisme libère Thérèse du sien, qui veut à tout prix se libérer de ses répugnances physiques. Une fois que l’aveu du meurtre face à la vieille a lieu un soir par accident, elle cherche par tous les moyens le pardon dans son regard, multipliant les gestes et les paroles de repentance. Cette attitude d’autoflagellation est insupportable à Laurent et génère entre eux le conflit, la haine désormais explicite, les accusations mutuelles, enrichies par la tentative de Madame Raquin de les dénoncer en dessinant des lettres sur la table devant leurs amis, dans un effort suprême mis en échec par Grivet qui prétend comprendre toutes ses pensées. Le silence de Thérèse accroît encore l’horreur de cette situation, qui atteint son sommet lorsqu’elle présente son ventre à Laurent qui la bat, après avoir découvert qu’elle est enceinte. Le dénouement est dès lors inévitable, et « sans parler », les amants se tuent.
Ce silence qui traverse tout le roman s’impose comme une question centrale dans la perspective d’une adaptation théâtrale de l’œuvre, alors que par ailleurs elle se prête à de nombreux égards à ce geste. Zola, désireux de renouveler le théâtre comme il a renouvelé le roman par le naturalisme écrit dans sa préface au drame avec un ton qu’on lui reconnaît sans peine : « Le drame agonise, si une nouvelle sève ne le rajeunit. Il faut du sang à ce cadavre ». Ce sang, c’est la vérité, qu’il a exposée dans Thérèse Raquin, qu’il décide donc de transposer à la scène. Le huis clos presque parfait de la mercerie et le nombre limité de personnages dans l’œuvre semblent en effet appeler le théâtre. Dans la pièce, on retrouve ainsi, outre les personnages principaux, les amis de Madame Raquin, Grivet et Michaud, qui s’invitent chaque jeudi chez elle pour jouer aux dominos, et Suzanne, la nièce de ce dernier. Olivier, qui était le mari de cette dernière dans le roman disparaît, comme les rares personnages d’arrière-plan, notamment l’ami peintre de Laurent qui lui fait remarquer que toutes ses toiles se ressemblent et qui lui fait prendre conscience qu’il est hanté par le visage de Camille.
L’adaptation implique en revanche une manipulation plus grande du point de vue temporel, le roman s’étendant sur plusieurs années, du départ de Vernon au suicide des amants. Pour restituer cette durée, Zola opte pour une dramaturgie en tableaux dans sa pièce, qui permet d’insérer des périodes de temps plus ou moins longue d’un acte à l’autre. Ainsi, la relation des amants est déjà en place au début de la pièce, et du premier au deuxième a lieu le meurtre de Camille ; puis du deuxième au troisième la décision du mariage est prise, et l’acte donne à voir leur nuit de noces ; et enfin, entre le troisième et le quatrième, Madame Raquin devient paralysée, avant d’assiste à leur mort qui couronne le drame.
Du roman au théâtre, Thérèse parle nécessairement plus. Elle quitte ainsi le mystère qui l’entoure, l’aura qui fait d’elle une héroïne moderne, puissante, et adopte à son tour le langage quotidien de ceux avec qui elle vit, perdant la distance qui faisait d’elle une instance critique, un double de Zola. Ses dialogues avec Laurent au début de la pièce font de cette dernière une comédie, avec la reprise du trio topique du mari, de l’amant et de la femme. La légèreté revient encore au cœur du drame par la suite avec la présence de Suzanne, personnage beaucoup plus développé que dans le roman, comme tous les personnages secondaires. Jeune fille rêveuse, elle rend compte de ses histoires avec celui qu’elle nomme « le prince bleu », et donne à voir la romance qu’ignore Thérèse. Mais le malaise ne s’exprimant que dans le conflit avec Laurent, Suzanne n’est pas une confidente pour elle, mais une simple source de distraction.
La question de la parole se pose avec acuité lors du dénouement. Seuls avec Madame Raquin, les amants se menacent mutuellement, et se déchirent, au point de la faire sourire, et de lui rendre peu à peu vie. Elle parle alors et se lève, intervient in extremis comme un deus ex machina, nouvelle figure de Commandeur venue juger les coupables. Sa résurrection inattendue, spectaculaire, introduit sur scène le fantastique qui traverse tout le roman, dans un mouvement dialectique avec le réalisme. Loin de dénoncer les amants, elle leur dit vouloir les laisser mourir rongés par le remords, et assiste réjouie à leur suicide. En réalité sa prise de parole presque surréaliste apparaît comme un recours dramaturgique capable d’offrir une conclusion à la pièce au-delà de la mort des amants.
Néanmoins, malgré ce retour de la parole sur scène, le silence reste encore sensible, même au cœur des dialogues. Le meurtre tout d’abord apparaît comme le centre vide de la pièce, son cœur manquant qui la structure pourtant car ses circonstances sont révélées jusque dans la dernière scène. On a là un exemple de la redistribution des détails à laquelle oblige l’adaptation, majoritairement réinvestis dans les didascalies, dans la description minutieuse des décors et des déplacements des personnages – trace du narrateur au théâtre, presque metteur en scène dans sa précision. Aux ellipses s’ajoutent les non-dits, en tension avec des discours creux, la vacuité des dialogues de Michaud et de Grivet au cours des jeudis soirs rituels. Ces échanges ne font pas avancer l’intrigue, indicible, recluse dans l’intimité, où même là le meurtre n’est révélé qu’à demi-mots. Les mouvements intérieurs des personnages sont ainsi recouverts par la conversation ordinaire, et la peur qui les habite revêt le masque des disputes conjugales aux motifs apparemment anodins.
Disparaissent donc inévitablement les analyses de Zola sur le tempérament dans la pièce, qui occupe toute la deuxième partie du roman. L’œuvre adaptée est en effet caractérisée par un rythme heurté, très rapide au début dans l’enchaînement des événements, puis extrêmement lente après la mort de Camille, dans l’étude de ses conséquences physiques et psychologiques, et la minutieuse mise en place de l’inéluctable fin. Les principes du naturalisme ne se retrouvent qu’en partie dans la pièce, disséminés, réduits à un discours des personnages sur eux-mêmes qui ne peut qu’être limité. La disparition de l’action, réduite à la représentation de la vie sur scène, telle que le souhaitait Zola, mais surtout reléguée dans les interstices des actes, révèle elle aussi que le genre de prédilection du mouvement est bien le roman, qui permet le déploiement de longues analyses.
L’œuvre de Marcel Carné, qui à son tour réinvestit l’histoire fascinante des deux amants et propose cette fois une adaptation de l’œuvre au cinéma, le prouve encore. Le film est dit « inspiré » du roman, et de fait, l’histoire est en grande partie modifiée. Paris est délaissé pour Lyon, la mort par noyade est remplacée par une chute provoquée par Laurent hors d’un train en marche, et la hantise par des soupçons et des conséquences concrètes, avec notamment la présence d’un témoin qui se fait maître-chanteur. Carné lisse les caractères des personnages, et embellit notamment le couple. Thérèse, incarnée par Simone Signoret, est ainsi une jolie jeune fille dont la beauté la rend suspecte après la mort de son mari, lorsque l’on se rend compte qu’elle ne lui correspondait pas, et Laurent est un beau jeune homme étranger au charme méditerranéen. Le couple est encore valorisé par contraste, avec la haine de Madame Raquin pour sa belle-fille, qui est une mère surprotectrice qui donne toujours raison à son fils et qui soupçonne Thérèse d’adultère avant même le meurtre de Camille.
Le projet de Zola prend une tout autre allure dans cette adaptation. L’amour rétabli entre les personnages n’est à aucun moment entamé par la culpabilité, et si Thérèse est hantée par le visage de Camille qu’elle a vu sur le bord de la voie ferrée, elle retrouve Laurent dès les premières menaces du maître-chanteur et lui dit qu’elle est prête à fuir avec lui. Si leur histoire reste dramatique, c’est que les amants sont finalement jugés et condamnés par le sort, incarné par un enfant qui joue au ballon au milieu de la rue avant que 17 heures ne sonnent. Le drame du remords, plus éprouvé physiquement que moralement, devient donc ici une simple histoire de meurtre et d’amour, et Thérèse est réduite à une jeune femme rêveuse, une héroïne malheureuse qui voudrait de la romance dans sa vie et qui nourrit ses fantasmes de séances de cinéma et des baisers échangés dans la rue qu’elle surprend depuis sa fenêtre.
Au-delà de l’intérêt que présente le personnage de Thérèse dans le roman qui fait sa renommée, l’écriture de Zola procure un plaisir quant à lui inadaptable au théâtre ou au cinéma. Au cœur du drame, de la noirceur extraordinaire des scènes qu’il décrit, il manifeste discrètement sa présence par des remarques humoristiques, ou plus encore par son recul, son analyse froide de l’horreur qui dérange. Le chapitre le plus remarquable est ainsi celui qui décrit les visites de Laurent à la morgue, après le meurtre. Voulant s’assurer que Camille est bien mort, il observe les cadavres l’un après l’autre, avec une curiosité fascinée mêlée à une peur qui fait naître des visions fantastiques. Au cœur même du putride, de la peinture de corps en état de décomposition, Zola multiplie les détails sordides qui feront dire au critique Ferragus que son œuvre est « une flaque de boue et de sang », insupportable à lire en plus d’être immorale, initiant avec son article une polémique qui a permis à Zola de réaffirmer les principes du naturalisme qui rendent justice à son roman.
De la même façon que le plan d’ensemble des Rougon-Macquart est soigneusement établi bien avant l’écriture des volumes qui font partie de la série, la composition de Thérèse Raquin est extrêmement minutieuse, et les indices du dénouement sont semés dès le premier chapitre. Les motifs de la peinture et de la morsure contribuent à ce sentiment de maîtrise, filés comme ils le sont tout au long de l’œuvre afin de mieux donner à appréhender les angoisses des personnages en offrant des équivalents matériels à leur terreur. Zola suscite également la sympathie de son lecteur par le regard d’une cruauté extraordinaire qu’il porte sur ses personnages, par l’ironie mordante avec laquelle il les saisit, n’épargnant aucun de ses personnages, même Thérèse, condamnée dans ses apitoiements aux genoux de Madame Raquin. La médiocrité du monde qu’il dépeint est ainsi affrontée sans détour, non pas avec mépris, mais avec une lucidité qui révèle la faiblesse des actes et des pensées de ses pauvres héros – Thérèse mise à part, élevée au-dessus des autres par son inaccessibilité captivante.
F.