Étiquette : corps

« Le Firmament » de Lucy Kirkwood mis en scène par Chloé Dabert au TGP – femmes célestes sous la voûte du patriarcat

Après le CentQuatre et la Comédie de Reims qu’elle dirige, c’est au TGP que Chloé Dabert présente Le Firmament. Ce spectacle est la création française du texte de Lucy Kirkwood, autrice britannique dont une autre pièce, Les Enfants, est actuellement présentée au Théâtre de l’Atelier dans une mise en scène d’Éric Vignier. Lucy Kirkwood a plusieurs fois pratiqué le dialogue avec des œuvres existantes, en réécrivant des contes, en proposant une adaptation d’Hedda Gabler d’Ibsen, ou en reprenant, ici, les grandes lignes du scénario de Douze hommes en colère, pièce de Reginald Rose adaptée au cinéma par Sidney Lumet. Sur chacune de ces œuvres dont elle s’empare, l'autrice appose une perspective féministe. Peu après avoir travaillé avec des femmes victimes du système judiciaire pour une autre pièce, elle imagine dans Le Firmament une fiction qui se déroule dans l’Angleterre de 1756. Elle pratique cependant le télescopage des époques et l’anachronisme volontaire pour penser la place des femmes dans la société, les libertés acquises ou non depuis le XVIIIe siècle, et la survivance effrayante de problématiques liées à leur corps. Une grande intensité dramaturgique et scénique se dégage de la mise en scène de ce texte par Chloé Dabert.
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« Chavirer » de Lola Lafon – écriture scalpel pour décortiquer les mécanismes de l’emprise et du silence

Paru en août 2020 aux Éditions Actes Sud, le dernier roman de Lola Lafon, Chavirer, a depuis été plusieurs fois nominé pour des prix littéraires et récompensé par celui de France Culture-Télérama, décerné par des étudiants. Des étudiants qui ont très certainement perçu la nécessité de faire connaître cette œuvre à leur génération, ainsi qu’à celles à venir. Par fragments et éclats, ce roman tourne autour d’adolescences brisées par des silences enfouis et des hontes persistantes. Quoiqu’indissociable du mouvement #MeToo, Chavirer est une œuvre de fiction avant d’être une œuvre militante, une œuvre composée de personnages attachants, dont la lecture est animée par un désir d’en tourner les pages au plus vite, et caractérisée par une écriture qui décrit avec beaucoup de délicatesse des mécanismes d’emprise sournois et des émotions puissantes jamais explicitement exprimées.
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« Beauté fatale » et « Ceci est mon corps » au Lavoir Moderne Parisien – autobiographies scéniques de corps féminins

Pendant quelques jours, deux spectacles peuvent être vus en une seule soirée au Lavoir Moderne Parisien : Beauté fatale d’Ana Maria Haddad Zavadinack et Ceci est mon corps d’Agathe Charnet. Deux spectacles de jeunes metteuses en scène qui se font multiplement écho et qui offrent l’un et l’autre des autobiographies de corps féminins - des autobiographies scéniques.
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« King Lear Syndrome » d’Elsa Granat au TGP – Lear, de la tempête au naufrage

Le Théâtre Gérard Philipe, sous la direction de Julie Deliquet, prend la forme d’un temple pour les metteuses en scène de notre époque. En plus de ses propres créations, des spectacles de Tamara Al Saadi, Lorraine de Sagazan, Elsa Granat, Julie Bérès, Pauline Sales et d’autres encore ont été programmés cette année. Ces femmes, qui appartiennent à la même génération à quelques années près, s’imposent dans le paysage théâtral contemporain et en modifient les contours. En plus des questions qu’elles amènent au plateau et qu’elles abordent généralement avec beaucoup de justesse, elles paraissent convoquer une sensibilité bien particulière. Une sensibilité profonde, intime, qui donne l’impression d’appartenir à cette génération, de se situer de plain-pied avec la création contemporaine. Elsa Granat, dans King Lear Syndrome créé ces jours-ci au TGP, confirme l’intuition qu’une mise en scène au féminin se déploie et déplace nos expérience spectatrices. Dans ce spectacle, elle aborde les relations des jeunes adultes avec leurs pères, de la maladie, de la fin de vie et de la mort – tout ceci en dialogue avec Shakespeare, qui donne de l’ampleur à sa démarche et un tour épique aux vies de misère qu’elle représente sur scène.
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« Fraternité, conte fantastique » de Caroline Guiela Nguyen aux Ateliers Berthier – théâtre de larmes sans catharsis

Dans la continuité de Saïgon, qu’un des personnages introduisait comme une « histoire de larmes », le dernier spectacle de Caroline Guiela Nguyen, Fraternité, conte fantastique, propose à nouveau un théâtre de larmes. La metteuse en scène propose cette fois un conte dans lequel la moitié de l’humanité a disparu, et ceux qui ont survécu dépensent toute leur énergie à se consoler les uns les autres. La catastrophe imaginée fait écho aux temps que nous vivons, mais l’émotion ne naît pas de cette possible résonance avec le réel. Le décalage est encore plus net que dans Saïgon, entre un projet théâtral fort, lourd de convictions, et un spectacle qui n’en livre que des bribes.
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« Jukebox ‘Gennevilliers' » d’Elise Simonet et Joris Lacoste – les voix de nos villes

Si les théâtres sont fermés depuis deux mois, les artistes ont encore le droit de proposer des spectacles dans les milieux scolaires. Cette aberration renforce la légende selon laquelle le virus n'y circulerait pas – mais de la maternelle au lycée seulement ; les universités, elles, sont fermées depuis de longues semaines. (Il y a quelques jours encore, notre gouvernement affirmait avec aplomb que le corps enseignant ne faisait pas partie des professions les plus exposées au covid – ce qui s’explique par le fait que les élèves d’une même classe et leurs professeurs ne sont pas déclarés cas contact si l’un d’eux contracte la maladie…). Dans ce contexte moribond, la découverte de Jukebox 'Gennevilliers' au Lycée Galilée de Gennevilliers a pris l’apparence d’un rayon de soleil – et de fait, le soleil perçait à travers les nuages noirs et s’invitait dans le hall de l’internat tout en baies vitrées, le temps d’une des représentations prévues.
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« Phèdre » de Brigitte Jaques-Wajeman aux Abbesses – que faire de nos classiques aujourd’hui ?

Après avoir monté toutes les pièces de Corneille ou presque, Brigitte Jaques-Wajeman aborde désormais celles de Racine. Assurée par ses précédents spectacles, elle se confronte d’emblée à ses tragédies les plus célèbres : Britannicus, il y a quinze ans, et Phèdre désormais. Pour cette dernière création, la metteure en scène travaille encore et toujours avec la compagnie Pandora, qu’elle a créée en 1976 avec François Regnault. Pendant quatre décennies, les déviations ont été rares de Corneille à Racine, avec quelques incursions du côté de Molière, une pièce de Claudel (Partage de midi) ou une autre d’Hugo (Ruy Blas). Même lorsque la compagnie s’est aventurée du côté des écritures contemporaines, elle choisissait des réécritures, de Sophocle par exemple (Tendre et cruel, Martin Crimp). Une telle persistance à monter un répertoire classique, dans l’indifférence de toutes les évolutions plus ou moins heureuses qu’a connu le théâtre depuis les années 1980, invite à se demander ce qu’il est possible de faire des tragédies du XVIIe siècle sur nos scènes actuelles.
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« Désobéir – Pièce d’actualité n°9 » de Julie Bérès à la Manufacture – la beauté sans pareil des filles de nos banlieues

Sur la patinoire de la Manufacture sont réunies quatre jeunes d’Aubervilliers ou des alentours, rencontrées par Julie Bérès dans le cadre du projet de la Commune, « Pièces d’actualité ». Reconduit pour une cinquième saison à partir de la rentrée prochaine, ce projet commande à des metteurs en scène des spectacles chargés de répondre à la question : « la vie des gens d’ici, qu’est-ce qu’elle inspire à votre art ? ». Une telle interrogation donne lieu à un théâtre de veine documentaire, qui approche des problèmes d’actualité et s’efforce chaque fois de dégager du sens et/ou de la beauté à partir d’un territoire qui cristallise tout particulièrement les contradictions de notre époque. Julie Bérès trouve cette beauté dans les récits de jeunes filles des banlieues, issues d’immigrations plus ou moins récentes, qu’elle fait porter par quatre actrices qui viennent avec leurs histoires à elles aussi et partagent sur ce plateau ce qu’elles sont, qui touchent profondément.
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« L’Avare » mis en scène par Ludovic Lagarde à l’Odéon – générosité d’un avare

En cette fin de saison, l’Odéon accueille L’Avare de Ludovic Lagarde, spectacle créé à Reims en 2014, au Centre dramatique national que dirige le metteur en scène. Depuis quatre ans, l’œuvre tourne à travers toute la France, et il est aisé de comprendre pourquoi : Lagarde s’empare d’un classique que le temps enrichit plutôt qu’il n’atteint, en offre une approche profondément corporelle qui met en valeur chaque nuance du texte de Molière, place au cœur de son spectacle un acteur qui transcende la scène et l’entoure d’autres comédiens qui sont loin de rester dans son ombre… Rien d’extraordinaire en apparence dans ce projet, et pourtant, le résultat, parce qu’il conjugue la puissance d’un texte, la performance remarquable d’acteurs et l’art abouti d’un metteur en scène, est fabuleux.
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« Re-Paradise » de Gwenaël Morin aux Amandiers – re-living the theatre

Pour fêter les 50 ans des événements de mai 1968, Philippe Quesne a invité plusieurs artistes au Théâtre Nanterre-Amandiers pour « défricher des territoires utopiques », au cours d’un Festival éloquemment appelé « Mondes possibles ». Sa proposition vise moins à commémorer le passé – comme l’affirme Sanja Mitrovic dans son spectacle, My Revolution is better than yours, faisant écrire en grosses lettres par un acteur « We don’t commemorate, we keep on fighting » – qu’à penser le présent, à partir de cet héritage bien particulier. De nombreuses formes artistiques sont ainsi accueillies, pour un temps de réflexion collectif. C’est dans ce contexte que Gwenaël Morin recrée Paradise Now, spectacle emblématique du Living Theatre présenté en juillet de cette fameuse année à Avignon.
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