Étiquette : Shakespeare

« Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares » d’Elsa Granat au TGP – Shakespeare², Maria Montessori, Mozart et cœtera

Après Nora, Nora, Nora ! au printemps dernier, mais plus encore King Lear Syndrome en 2022, Elsa Granat poursuit son dialogue avec les œuvres du répertoire et revient à Shakespeare. Le titre de sa dernière création, Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares ne dit cette fois pas explicitement l’œuvre avec laquelle elle entre en dialogue. Sans doute car il s’agit cette fois de deux pièces, Roméo et Juliette et Hamlet – rien de moins ! Juliette et Hamlet deviennent cousin dans cette réécriture, grâce à laquelle la metteuse en scène met l’accent sur le conflit qui oppose la génération des enfants et celle des parents. L’entrecroisement des deux pièces mises en échos avec d'autres références plus hétéroclites ouvre un espace à l’écriture et à la création scénique et révèle qu’Elsa Granat a des choses à dire et de beaux moyens pour le faire. Mais elle a sans doute trop à dire !
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« Don Quichotte » de Cervantès – d’une satire des romans de chevalerie à une démonstration en acte des pouvoirs de la littérature

Un demi-siècle après Rabelais, Cervantès écrit avec Don Quichotte l’un des premiers romans modernes de la littérature européenne. L’œuvre peut être considérée comme le roman des romans, tant elle contient d’œuvres à venir. Dix ans s’écoulent, entre l’écriture de la première partie, en 1605, et celle de la seconde. Plus encore que cette durée, c’est l’intégration de la réception de la première partie à la narration de la deuxième qui donne l’impression d’avoir presque affaire à deux œuvres distinctes. Leur dissociation repose également sur le fait que la première est la plus connue, alors qu’elle est pourtant la plus disparate, la plus étonnante dans sa structure – ou son absence de structure –, ce que met en évidence la deuxième par contraste. Il faut relire l’ensemble de manière cursive pour s’en rendre compte et rencontrer enfin cette œuvre dont on parle souvent sans l’avoir lue, pour paraphraser Pierre Bayard, qu’on connaît de réputation ou par ses extraits les plus célèbres, et appréhender ainsi sa composition déroutante, son mouvement inlassable, sa complexité, et tout ce qu’elle contient de littérature en puissance.
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« Avant la terreur » de Vincent Macaigne à la MC93 – artiste d’une seule œuvre ?

Cette rentrée marque le retour au théâtre très attendu de Vincent Macaigne, après six ans – malgré l’impression mitigée qu’avait laissé Je suis un pays. L’hypothèse alors formulée était que manquait à ce spectacle une grande œuvre avec laquelle l’écriture du metteur en scène dialoguerait, comme dans ses premières créations. Notre prière semble avoir été entendue : après Au moins j’aurais laissé un beau cadavre, d’après Hamlet, Macaigne revient à Shakespeare, en choisissant cette fois Richard III. Comme à son habitude, il modifie le titre de l’œuvre qui l’inspire pour souligner le geste d’adaptation-appropriation qui est le sien, et nomme son spectacle « Avant la terreur ». Il réunit ses fidèles compagnons de route, en agrège de nouveaux et se voit accueilli dans une structure qui lui permet de voir grand : la MC93. Tout semblait favorable à une nouvelle gifle macaignienne. La déception est hélas à la hauteur des attentes, qui étaient immenses.
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Présentation de « Roméo et Juliette » de Shakespeare, dans la perspective de la découverte du spectacle de La Cordonnerie, « Ne pas finir comme Roméo et Juliette »

Présentation de Roméo et Juliette de Shakespeare, dans la perspective de la découverte du spectacle de La Cordonnerie, Ne pas finir comme Roméo et Juliette. Show devant réalisé au Théâtre de Châtillon. Le titre du dernier « ciné-spectacle » de la compagnie La Cordonnerie, Ne pas finir comme Roméo et Juliette, établit immédiatement un dialogue avec la pièce la plus connue de Shakespeare. Qu’on l’ait lue en entier ou par bouts, vue sur une scène de théâtre, d’opéra, de comédie musicale ou de ballet, vue adaptée à l’écran sous un quelconque format, ou entendue racontée de manière plus ou moins exhaustive, s’imposent immédiatement certaines réminiscences au moment d’en entendre le titre.
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« Par autan » de François Tanguy à la Comédie de Caen – promenade sur cimes alpines

Après Strasbourg, après Perpignan, Par autan arrive à Caen. Le Théâtre du Radeau a courageusement repris les routes avec son dernier spectacle créé à Montpellier en mai dernier, spectacle irrémédiablement marqué par le décès de François Tanguy, survenu début décembre 2022, à quelques jours des premières dates prévues au T2G. François Tanguy a signé la mise en scène et la scénographie et cosigné l’élaboration sonore et les lumières de toutes les créations de la compagnie depuis 1985. Son activité théâtrale se résume à ses spectacles ou presque, car il n’a jamais répondu à une commande, ni jamais dirigé une institution. Ce faisant, il a affirmé une singularité exceptionnelle, grâce à laquelle il a occupé une place bien particulière dans le paysage théâtral contemporain, une place qui lui est propre. Par autan bien loin d’offrir le point final, imprévu, de quarante ans de travail, révèle tout ce qui était encore en mouvement, en déplacement, dans la recherche artistique de Tanguy. Le spectacle se présente comme une promenade sur cimes alpines parfois venteuses, promenade composée d’innombrables textes dont se dégagent facétie et mélancolie.
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« Hamlet » de Gérard Watkins à la Comédie de Caen – comédie burlesque

La nouvelle saison de la Comédie de Caen est inaugurée avec une mise en scène d’Hamlet de Gérard Watkins, un an après la reprise du Richard III de Mathias Langhoff par Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo qui officie une dernière année en tant que directeur du lieu. Pour la première fois avec ce spectacle, Gérard Watkins s’attaque à une œuvre du répertoire. Auparavant en effet, il ne mettait en scène que des textes qu’il écrivait lui-même. Pour s’approprier la pièce et ne pas en être que metteur en scène, il procède cependant à sa traduction, une traduction contemporaine et personnelle, redoublée par une scénographie qui transplante la tragédie de Shakespeare dans le Londres des années 60, au moment de la naissance de la contre-culture rock. La réappropriation à laquelle procède Watkins est telle qu’il fait de la pièce une comédie burlesque, dont la seule qualité est d’offrir de belles partitions à ses actrices et acteurs – dont il fait partie.
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« Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare mis en scène par Célie Pauthe aux Ateliers Berthier – l’ambition de l’exhaustivité

La saison théâtrale touche à sa fin avec deux longs spectacles : L’Odyssée de Krzysztof Warlikowski d’une part, à la Colline, et Antoine et Cléopâtre de Célie Pauthe, à l’Odéon. Outre leur durée (3h45 chacun), les deux spectacles se ressemblent par leur ambition toute épique. Tandis que le metteur en scène Polonais émaille le récit homérien de multiples références, la directrice du CDN de Besançon entreprend de suivre tous les fils entremêlés de la pièce la plus longue de Shakespeare, une pièce tentaculaire qui se déroule sur plusieurs années entre Rome et Alexandrie, puis entre Athènes et les champs de bataille d’Actium qui servent de décor aux dernières scènes. La pièce n’est pas adaptée, mais bien montée de bout en bout dans la nouvelle traduction d’Irène Bonnaud, avec 13 acteurs sur scène pour incarner la trentaine de personnage. L’espace magnifique créé par Guillaume Delaveau accompagne dans un long et tortueux voyage entre Orient et Occident et à travers le temps.
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« King Lear Syndrome » d’Elsa Granat au TGP – Lear, de la tempête au naufrage

Le Théâtre Gérard Philipe, sous la direction de Julie Deliquet, prend la forme d’un temple pour les metteuses en scène de notre époque. En plus de ses propres créations, des spectacles de Tamara Al Saadi, Lorraine de Sagazan, Elsa Granat, Julie Bérès, Pauline Sales et d’autres encore ont été programmés cette année. Ces femmes, qui appartiennent à la même génération à quelques années près, s’imposent dans le paysage théâtral contemporain et en modifient les contours. En plus des questions qu’elles amènent au plateau et qu’elles abordent généralement avec beaucoup de justesse, elles paraissent convoquer une sensibilité bien particulière. Une sensibilité profonde, intime, qui donne l’impression d’appartenir à cette génération, de se situer de plain-pied avec la création contemporaine. Elsa Granat, dans King Lear Syndrome créé ces jours-ci au TGP, confirme l’intuition qu’une mise en scène au féminin se déploie et déplace nos expérience spectatrices. Dans ce spectacle, elle aborde les relations des jeunes adultes avec leurs pères, de la maladie, de la fin de vie et de la mort – tout ceci en dialogue avec Shakespeare, qui donne de l’ampleur à sa démarche et un tour épique aux vies de misère qu’elle représente sur scène.
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« Complete Works : Table Top Shakespeare » du Forced Entertainment au Théâtre de la Ville – tout Shakespeare sur un coin de table

Le Festival d’Automne propose cette année un portrait de la compagnie britannique Forced Entertainement, portrait composé de six spectacles plus ou moins récents, parmi lesquels un marathon Shakespeare : Complete Works: Table Top Shakespeare. En 2015, la compagnie s’est lancé pour défi de résumer toutes les pièces de Shakespeare en une heure chrono chacune, avec tous les produits qui peuvent se trouver dans les placards d’une cuisine. Ce projet incongru suscite la curiosité : que reste-t-il de Shakespeare dans ces conditions ? et même du théâtre ? L’entreprise évoque les recherches de l’Oulipo, ce groupe de littérature auquel appartenaient entre autres Raymond Queneau, Georges Perec ou Jacques Roubaud, qui s’imposaient de multiples règles d’écriture en vue de stimuler la créativité. Ici, plus encore que la créativité des acteurs, c’est celle des spectateurs qui est sollicitée par une telle entreprise.
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« Les Bonnes » mis en scène par Robyn Orlin à la Bastille – jeux de miroir entre théâtre et cinéma

Robyn Orlin, chorégraphe célèbre d’Afrique du Sud, au travail reconnu, s’essaie pour la première fois à la mise en scène avec Les Bonnes de Genet. Son spectacle est présenté à la Bastille, dans le cadre du Festival d’Automne qui l’a déjà plusieurs fois accueillie auparavant avec des spectacles de danse aux longs titres ponctués de points de suspension. Pour cette dernière création qui l’entraîne du côté du théâtre, l'artiste assume des partis-pris forts : confier les rôles des bonnes à des hommes noirs, et accorder une place déterminante à la vidéo sur scène. Ces choix amplifient le vertige de la dramaturgie emboîtée de Genet, et fait percevoir sa profondeur – mais jusqu’à un certain point seulement.
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