Étiquette : racisme

« Carte noire nommée désir » de Rébecca Chaillon aux Ateliers Berthier – performance réparatrice pour le corps des femmes noires

Carte noire nommée désir arrive aux Ateliers Berthier précédé de la polémique qui l’a entouré à Avignon, cet été. Le spectacle avait pourtant été créé en 2021 sans remous – indice qui aurait dû suffire à démonter toute appréhension et à rappeler à quel point Avignon est inflammable, et son public extrêmement susceptible. Rébecca Chaillon, performeuse et autrice, après plusieurs seuls en scène dans lesquels elle a posé les questions du corps et de l’alimentation – au cœur de Plutôt vomir que faillir, en ce moment à la MC93 – s’entoure cette fois de sept alliées pour aborder de manière à la fois plurielle et frontale le sujet du corps des femmes noires. Elle propose une longue performance qui module les registres et les angles d’attaque pour cerner la carte obscure du désir attaché à ce corps, performance qui rend possible un geste extrêmement puissant de réappropriation et de réparation.
Lire la suite

« Welfare » de Julie Deliquet à la Cour d’honneur du Palais des Papes – documentaire ou fiction ?

Le spectacle présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes cette année est la dernière création de Julie Deliquet, Welfare. Sept ans après Les Damnés d’Ivo van Hove au même endroit, la pratique de l’adaptation de scénario à la scène poursuit son processus d’institutionnalisation. Julie Deliquet s’est déjà distinguée dans cette pratique avec des scénarios de Bergman, Desplechin et Fassbinder, et a rendu le dialogue avec le cinéma caractéristique de son théâtre. Elle s’intéresse cette fois à un film de Frederick Wiseman, qui lui en a lui-même soufflé l’idée. Un film parfois désigné comme un documentaire, immergeant dans le quotidien d’un centre d’aide sociale à New-York, en 1973. La caractérisation trouble de l’œuvre d’origine met en place un pacte trouble avec le public et détermine en grande partie la perception du spectacle : documentaire ou fiction ?
Lire la suite

« Baldwin and Buckley at Cambridge » de la compagnie Elevator Repair Service au Gymnase du Lycée Mistral – « Il faut accepter notre histoire »

À côté des spectacles-fleuves de quatre, cinq ou huit heures, le Festival d’Avignon programme une courte forme avec Baldwin and Buckley at Cambridge, de la compagnie new-yorkaise Elevator Repair Service. Le spectacle, parfois joué deux fois par jour, dure une heure, et propose un dispositif scénographique extrêmement simple pour rejouer la confrontation de James Baldwin et William F. Buckley, invités en 1965 à l’Université de Cambridge à débattre autour du sujet suivant : « Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain ? ». Rejouer, reperformer, refaire entendre ce débat dont est repris presque chaque mot… toute la question réside précisément dans le verbe choisi.
Lire la suite

« 1983 » d’Alice Carré et Margaux Eskenazi au Théâtre des Abbesses – transmettre pour avancer

Après Et le cœur fume encore en 2020, qui portait sur la guerre d’Algérie et ouvrait sur ses conséquences au long cours, la compagnie Nova reprend le fil de sa réflexion et dresse une fresque de la France de 1979 à 1985, dont le point d’orgue est l’année 1983, année d’une Marche pour l’égalité et contre le racisme qui mène de Marseille à Paris. Depuis deux ans, le travail de la compagnie a profondément mûri. La part documentaire toujours importante de son travail, qui nourrit densément la réflexion, est cette fois assortie d’une plus grande conscience des moyens théâtraux qui permettent de la mettre en valeur. Alice Carré et Margaux Eskenazi proposent ainsi un objet composite, qui sollicite la réflexion, fait frissonner d’effroi ou d’émotion, et fait encore rire. Plus profondément, 1983 se charge de transmettre pour ne pas qu’on reparte de zéro, que les combats qu’il est nécessaire de mener aujourd’hui s’inscrivent dans une histoire capable de leur donner poids et ampleur.
Lire la suite

« Huit heures ne font pas un jour » de Julie Deliquet au TGP – utopie politique, utopie théâtrale

Le dernier spectacle de Julie Deliquet, Huit heures ne font pas un jour, avec lequel elle a inauguré son mandat à Saint-Denis, est repris un an après sa création. Après avoir adapté un scénario d’Ingmar Bergman, Fanny et Alexandre, avec la troupe de la Comédie-Française, après avoir adapté un scénario d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël, avec son collectif In Vitro, la metteuse en scène s’est cette fois attaqué à un scénario de Fassbinder, auteur de théâtre allemand régulièrement monté, dont les œuvres cinématographiques et télévisuelles ont également inspiré le théâtre – notamment Thomas Ostermeier, qui a adapté Le Mariage de Maria Braun à la scène. Le défi que s’est proposé Julie Deliquet avec ce projet est plus grand encore par rapport à ses précédents spectacles : ce n’est pas un scénario de film, mais celui d’une série, dont cinq épisodes d’une durée moyenne d’une heure et demie ont été réalisés par Fassbinder. L’entreprise de réduction exigée est conséquente, même pour un spectacle qui dure 3h30. Non seulement Julie Deliquet y parvient avec intelligence, mais ce scénario lui offre en plus un matériau qui donne de l’ampleur à son geste artistique.
Lire la suite

« Place » de Tamara Al Saadi au T2G – art-thérapie pour schizophrénie avérée

Pour quelques dates seulement, est repris au T2G un spectacle présenté l’an dernier au Festival Impatience, consacré au théâtre émergent, récompensé du prix du jury et de celui des lycéen.ne.s. Il s’agit de Place de Tamara Al Saadi, qui s’interroge sur celle que les « étrangers » cherchent à occuper dans notre société française. Le terme entre guillemets désigne des individus issus d’immigrations plus ou moins récentes, profondément déchirés entre leurs racines familiales et le monde dans lequel ils essaient de se fondre. La jeune metteuse en scène aborde cette question profondément actuelle depuis une perspective intime qui ne peut que toucher, et crée à partir d’elle un spectacle aux multiples qualités.
Lire la suite