Étiquette : poésie

« Les Paravents » de Genet, mis en scène par Arthur Nauzyciel – monument aux morts, à l’adresse des vivants

À l’invitation du directeur du Théâtre de l’Odéon et de son programmateur, Arthur Nauzyciel a choisi de mettre en scène Les Paravents de Jean Genet – auteur dont il avait monté Splendid’s en 2015. Le spectacle a été créé en septembre dernier au Théâtre National de Bretagne que Nauzyciel dirige, et le voilà qui clôt la saison du Théâtre de l’Odéon. Entre temps, ces Paravents n’ont pas tourné, ce qui s’explique sans doute par l’ampleur de ce spectacle, sa scénographie monumentale, sa vaste distribution de seize personnes et sa durée de quatre heures. Il n’en faut pourtant pas moins pour représenter cette pièce-monstre de Genet, pièce qui paraît parfois si abstraite et injouable à la lecture. Après Roger Blin en 1966 et Patrice Chéreau en 1983, il était temps qu’un grand metteur en scène de notre époque s’attaque à cette œuvre et y donne accès aux nouvelles générations afin d’en faire percevoir tout à la fois la folie, l’exubérance provoquante et la puissance théâtrale extraordinaire. Nauzyciel pose ainsi un nouveau jalon dans l’histoire des mises en scène de cette pièce et relance avec elle la réflexion sur sons sens et les partis pris auxquels elle oblige.
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« Les Garçons qui croient sont très seuls, les autres Garçons sont perdus » du Groupe T à la Commune d’Aubervilliers – théâtre alternative, théâtre réparation

Le Théâtre de la Commune orchestre nos retrouvailles avec le Groupe T, après Les Toits bossus en 2021, et Together !, créé un an plus tôt et repris en 2022, en accueillant leur dernière création : Les Garçons qui croient sont très seuls, les autres Garçons sont perdus. Un sentiment de familiarité saisit dès l’arrivée au théâtre, au moment de se constituer en public avec des personnes qu’on devine proches et des artistes amis, et en découvrant la scène, occupée par une pente de bois placée devant un tissu peint qui représente avec des traits d’enfants un paysage naturel. Les conditions sont d’emblée réunies pour une de ces expériences singulières et touchantes dont le Groupe T a le secret, qui, grâce à une écriture hautement poétique ouvre la sensibilité et invite à la réflexion sur les capacités du théâtre à proposer des alternatives au réel et à dégager des espaces de réparation.
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« Les Vagues » d’Élise Vigneron au Théâtre de Châtillon – entre glace et eau, le spectacle de l’écoulement du temps

Après Marie-Christine Soma il y a une douzaine d’années, ou, plus récemment, Pauline Bayle, de biais avec Écrire sa vie, c’est au tour d’Élise Vigneron de proposer une adaptation des Vagues, livre « le plus complexe et le plus difficile » de Virginia Woolf de l’aveu de l’autrice anglaise elle-même. L’approche s’annonce d’emblée singulière cette fois, car l’artiste a été formée aux arts plastiques, au cirque puis aux arts de la marionnette, dans lesquels elle se distingue ces dernières années. Elle promet avec ce spectacle une courte adaptation du roman, d’une heure seulement, pour cinq interprètes et cinq marionnettes de glace. Le travail extrêmement plastique qu’elle propose, mais aussi fondé, dramaturgiquement parlant, invite à une réflexion grave sur le temps qui passe – thème central des Vagues.
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« Les Toits bossus » du Groupe T à la Commune d’Aubervilliers – résistances et fulgurances

La Commune d’Aubervilliers a programmé cette saison deux spectacles du Groupe T, et ainsi organisé la rencontre avec un théâtre incomparable, au sens littéral. Un théâtre qui ne ressemble à rien de connu, porteur d’un imaginaire aussi puissant qu’énigmatique. Le titre du premier des deux spectacles, Les Toits bossus, évoque un conte de Grimm ou d’Andersen, on entendrait presque « les trois bossus ». Cette ambiguïté homophonique est programmatique. Elle annonce un spectacle sur l’enfance, où le langage trébuche pour mieux retentir. Un spectacle plein de promesses et de menaces, et sujet à de multiples interprétations.
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« Onéguine » d’après Pouchkine, mis en scène par Jean Bellorini, au TGP – des mondes à partir de quelques mots

Le Théâtre Gérard Philipe ouvre sa saison avec Un Conte de Noël de Julie Deliquet, nouvelle directrice des lieux, mais aussi avec la reprise d'Onéguine, spectacle créé il y a un an et demi au même endroit par Jean Bellorini, son prédécesseur. Onéguine s’inscrit dans la continuité des précédents spectacles de Bellorini, et tout particulièrement de ses Karamazov d’après Dostoïevski (spectacle créé à Avignon en 2016). D’abord parce que Pouchkine, poète du XIXe siècle, est une référence déterminante dans la littérature et la culture russe, et que Dostoïevski lui a rendu hommage dans un discours célèbre peu avant sa mort. Ensuite parce que l’œuvre la plus connue de Pouchkine, Eugène Onéguine a récemment été retraduite par André Markowicz, traducteur de référence de Dostoïevski aujourd’hui, qui a réussi la gageure de traduire ce roman écrit en vers en octosyllabes rimés. Pour amener sur scène ce texte qui transcende les genres, qui se situe au carrefour du roman, de la poésie, et peut-être même du théâtre, Bellorini a conçu un dispositif qui place en son cœur l’écoute – celle d’une histoire, et celle d’une langue poétique.
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« Lampedusa Beach » de Lina Prosa, mis en scène par Eleonora Romeo – Odyssée sous-marine

Au Théâtre des Carmes, Eleonora Romeo présente une mise en scène du texte de Lina Prosa, Lampedusa Beach, premier volet de la Trilogie du naufrage. En marge du Off d’Avignon, de ses injonctions commerciales et du souci de plaire qui règne en maître, le choix de monter ce texte qui soulève la question toujours cruellement actuelle de l’immigration de milliers de personnes par la mer chaque mois s’affirme comme un parti pris artistique et politique fort.
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« Rester vivant » d’Yves-Noël Genod : mettre à mort le théâtre, avec la poésie

Yves-Noël Genod, « Distributeur de poésie et de lumières » A l’occasion d’un entretien, l’artiste Yves-Noël Genod affirme : « Pour faire du théâtre, il faut sans doute tuer le théâtre : le théâtre doit être vivant ! »[1]. Le caractère paradoxal de son propos repose sur un usage polysémique – et donc poétique – du terme « théâtre » : à celui de conventions, qu’il faudrait tuer, il oppose celui auquel il aspire, qu’il ne définit pas autrement que par son caractère vivant.
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« Los Basureros » de Yerandy Fleites – poétique des poubelles

L’été est pleinement arrivé à La Havane, la chaleur s’engouffre partout où la climatisation ne l’arrête pas, et les pluies diluviennes presque quotidiennes viennent chaque fois lui rendre toute sa moiteur. Cette chaleur, qui devient le sujet de conversation numéro un, qui fatigue les corps et les esprits, exacerbe – les couleurs, mais aussi les odeurs, et particulièrement les mauvaises.…

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L’artiste, un être à la sensibilité exacerbée selon Bergson

Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature.…

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