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« Antoine et Cléopâtre » de Tiago Rodrigues à la Bastille – chœur des amants mythiques

Séance de rattrapage pour les retardataires : plus dix ans après sa création, Antoine et Cléopâtre de Tiago Rodrigues est repris au Théâtre de la Bastille, après être passé par le Festival d’Avignon en 2015, le Festival d’Automne l’année suivante, et quantités de lieux qui l’ont programmé régulièrement jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de l’un des premiers spectacles invité en France de l’actuel directeur du Festival d’Avignon, spectacle qui a contribué à le faire connaître et à introduire la manière si singulière qu’il a de dialoguer avec les œuvres – celles de Shakespeare, Flaubert, Tolstoï ou Tchekhov. Son choix se portait alors sur une tragédie historique, que l’on tend à dissocier du couple mythique qu’elle choisit de raconter. Prenant acte de cette postérité, Rodrigues retient l’imaginaire de la pièce de Shakespeare plutôt que la lettre du texte, sa fable ramenée à son plus simple appareil, et offre à partir d’elle une partition pour un chœur des amants – du titre d’une de ses œuvres ultérieures, qui présente beaucoup de similitude avec celle-là.
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« Histoire d’un Cid » de Jean Bellorini à la Comédie de Reims – apprivoiser la langue étrangère de Corneille par le jeu

La Comédie de Reims accueille la tournée du dernier spectacle de Jean Bellorini, Histoire d’un Cid, créé l’été dernier au Château de Grignan. Le public scolaire est présent au rendez-vous de cette « variation d’après la pièce de Corneille », qui reconduit le projet de Bellorini de donner accès aux grandes œuvres du patrimoine au plus grand nombre – celles de Victor Hugo, de Dostoïevski ou de Proust précédemment. L’artiste s’inscrit dans une tradition plus vilarienne que jamais avec le choix de cette œuvre, après le mémorable Cid présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon en 1951, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre. Mais depuis cette époque, où Vilar réussissait à faire entendre la tragi-comédie de Corneille à près de 280 000 personnes sans en modifier les vers, il semble que nos oreilles soient devenues sourdes à l’alexandrin, et qu’il faille les adapter, les raconter, les commenter. C’est ce à quoi s’attelle Bellorini avec facétie, qui multiplie les approches du texte pour essayer de retrouver un contact avec lui.
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« Le Nouvel Homme » du collectif De HOE à la Bastille – vingt ans après la répétition

Le Théâtre de la Bastille accueille un spectacle du collectif flamand De HOE, né de la fusion de De KOE – dont le travail était découvert au même endroit il y a quelques années – et de Hof van Eede. Le titre énigmatique, « Le Nouvel Homme », n’annonce pas grand-chose. Mais les origines anversoises des artistes et leur mode d’organisation horizontal garantissent un théâtre qui accorde la première place au jeu. Le terrain choisi pour en déployer les possibles est celui du couple : deux personnes qui se sont aimées se retrouvent à l’aéroport de Rome, vingt ans plus tard. On croirait du Bergman, agrémenté d’un ancrage politique que le réalisateur suédois avait exclu de son champ artistique après son expérience d’enrôlement dans les jeunesses hitlériennes.
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« Des femmes qui nagent » de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez au TGP – traces de films déposées sur la scène

Le TGP accueille pour une dizaine de dates la nouvelle création d’un texte de Pauline Peyrade, résultat d’une commande d’Émilie Capliez qui le met en scène. Des femmes qui nagent manifeste un déplacement profond dans l’écriture de l’autrice. Jusqu’ici, ses textes pour le théâtre prenaient la forme de fictions soigneusement mises en page, pour rendre compte de notre perception éclatée du réel. Des textes qui mettent la scène au défi de restituer les multiples plans et strates de l’écriture. Avec cette œuvre, pour la première fois, Pauline Peyrade écrit explicitement à partir de. En l’occurrence, à partir d’une vaste culture cinématographique, conjuguée au féminin. Son écriture incisive, rythmée, se trouve ainsi arrimée à un vaste matériau qui laboure notre mémoire et fait surgir de multiples images – images sublimées et décuplées par la mise en scène très esthétique d’Émilie Capliez.
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« Poquelin II » des tg STAN à la Bastille – la puissance de jeu de Molière révélée par des Flamands ironiques

L’année Molière – dont le quadricentenaire de la naissance a été fêté de multiples manières ces derniers mois –, et plus largement l’année théâtrale 2022, se terminent en beauté avec Poquelin II, spectacle du tg STAN créé en 2018 et pour la première fois présenté à Paris, à la Bastille toujours. Le « II » du titre, qui inscrit ce spectacle à la suite d’un autre créé en 2003, annonce discrètement un diptyque, composé de L’Avare et du Bourgeois gentilhomme. Les deux comédies sont jouées l’une après l’autre, sans transition. Cette soirée deux en une fait prendre la mesure du talent du collectif, tout comme de la puissance de jeu du théâtre de Molière, dont le texte n’a jamais été aussi bien entendu que dans la bouche de ces Flamands.
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« Une mort dans la famille » d’Alexander Zeldin aux Ateliers Berthier – rétablir un continuum entre les âges

Le dernier spectacle du metteur en scène britannique Alexander Zeldin constitue un événement en ce début d’année, d’autant que l’attente de la découverte d’Une mort dans la famille a été nourrie par un report de quelques semaines de la première dû au covid. Vient enfin le moment d’entrer en salle, une salle comble aux Ateliers Berthier, impression que nourrit le fait qu’une partie des gradins est ouverte en éventail et que le public déborde jusque sur le plateau. La frontière scène-salle, d’emblée poreuse, prépare à l’abattement du mur bâti entre la troisième ou quatrième génération et celles qui se rendent au théâtre. Afin de penser le sort réserver à nos vieux – question d’actualité avec le scandale Orpea – et plus encore de rétablir un continuum entre les âges, Zeldin immerge dans un Ehpad grâce à une scénographie spectaculaire, une dramaturgie très fine qui multiplie les points de fuite, et, de manière inattendue, une langue sensible qui maintient sur le fil de l’émotion.
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« Quai ouest » de Koltès mis en scène par Ludovic Lagarde au Théâtre Nanterre-Amandiers – errances dramaturgiques

Ludovic Lagarde fait partie des rares metteurs en scène aujourd’hui qui montent des textes de théâtre – de Tchekhov, Brecht, Shakespeare, Sarah Kane, Büchner, Jelinek... et d’autres moins renommés qu’il contribue à faire connaître. Avec un tel répertoire, il paraissait inévitable qu’il en vienne à Koltès. Lagarde ne choisit pas l’une des plus connues de cet auteur, mais Quai ouest, qui n’a fait l’objet que d’une vingtaine de mises en scène en France depuis la création de Patrice Chéreau en 1986. C’est justement au même endroit, à Nanterre, qu’est programmé le spectacle, mais dans le bâtiment temporaire, en attendant la fin des travaux. Entouré de ses acteurs fétiches, Lagarde promet un beau spectacle. Le rendez-vous est cependant manqué, ce spectacle ne sera pas mémorable comme ont pu l’être L’Avare ou la trilogie Büchner. À défaut d’être embarqué, on aura pensé à tout ce que pourrait ou devrait être une mise en scène de ce texte.
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« Contes et légendes » de Joël Pommerat aux Amandiers – humanité troublée

Après Le Petit Chaperon rouge, Cendrillon et Pinocchio, Joël Pommerat paraît encore puiser dans les œuvres de Perrault, des Frères Grimm ou de la Mère l’Oye pour sa dernière création, Contes et légendes. Il n’en est pourtant rien, et ce titre est d’autant plus trompeur que le non-lieu et le non-temps qu’il suggère n’entraîne pas du côté d’un monde passé, conçu de manière manichéenne. Il projette contre toute attente vers l’avenir, dans un monde où les humains cohabitent avec des robots qui leur ressemblent de manière troublante. Cette fiction, qui repose entièrement sur la qualité du jeu des acteurs, permet au metteur en scène de soulever de nombreuses questions sur l’enfance, sur le genre, ou sur le retour en force de certaines valeurs sociales réactionnaires à l’ère de l’intelligence artificielle.
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« SAIGON » de Caroline Guiela Nguyen aux Ateliers Berthier – histoires de larmes et non de langues

Aux Ateliers Berthier est en ce moment repris SAIGON, spectacle créé il y a maintenant deux ans à Valence, programmé à Avignon l’été dernier, et depuis en tournée dans tout le pays et même au-delà des frontières françaises. Le voyage sied à ce spectacle hybride, qui unit la France et le Vietnam, dans sa conception comme dans sa réalisation. Il est l’œuvre de Caroline Guiela Nguyen, autrice et metteuse en scène, et avant cela, fille de Vietkieu, ou Vietnamien de l’étranger, qui a rassemblé autour d’elle des acteurs des deux nationalités – des Français, des Vietnamiens, et d’autres Français d’origine vietnamiennes – après des résidences à Hô-Chi-Minh Ville. Tous sont réunis pour sonder l’histoire intime et modeste d’émigrés vietnamiens, entre 1956 et 1996.
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