« L’Effort d’être spectateur » de Pierre Notte – hommage au public de théâtre

Dans la petite salle du Théâtre Artéphile, l’auteur Pierre Notte se fait acteur. Un acteur qui livre une conférence sur « l’effort d’être spectateur », figure qu’il pense à partir de sa propre expérience et en s’appuyant sur quelques penseurs et théoriciens. A partir de ce thème, il questionne les conventions anciennes ou actuelles du théâtre et reformule les exigences que sont en droit d’avoir les spectateurs – ces véritables travailleurs sans qui le théâtre ne serait rien.

Avec sa sacoche et sa bouteille d’eau à la main, mêlé parmi les spectateurs qui s’installent, Pierre Notte s’apparente à un festivalier comme un autre. Il suffit qu’il élève un peu le ton pour se distinguer des autres. Sans réintroduire une distance nette quand les regards convergent vers lui, il s’assure que chacun est bien installé, confie ses chaussures en daim au directeur du théâtre, et présente les ouvrages qui vont l’inspirer : Duras, Deleuze, Danan, Lagarce et d’autres. Mais Pierre Notte prévient son public d’emblée : s’il va les citer, cela ne veut pas dire qu’il les a tous lus. Le but n’est pas ici d’humilier les spectateurs avec un savoir écrasant, de lui faire un cours magistral sur sa condition, mais de partager en toute simplicité et en toute complicité quelques réflexions.

Pierre Notte commence avec Duras et fait l’éloge du manque. Il rappelle que ce qui différencie le théâtre du cinéma, c’est qu’il suffit d’esquisser une piscine, ou même de dire le mot piscine, pour qu’une piscine soit projetée par chaque spectateur sur la scène, alors que le cinéma, lui, est obligé de composer avec le réel. Ce qui pourrait paraître une faiblesse donne au contraire toute sa puissance au théâtre, et constitue la différence essentielle entre un spectateur de théâtre, un spectateur de cinéma, un spectateur de télévision et un porc.

Ceci posé, Pierre Notte affirme la nécessité pour chaque spectacle de bouleverser les conventions de cet art, par lesquelles certains le définissent. Il réclame haut et fort l’envie d’être surpris, déplacé, à chaque spectacle. De même, il en appelle à une langue nouvelle, qui ne soit pas la langue ordinaire, à moins qu’elle s’assume comme telle pour remettre en cause une tradition d’écriture plus poétique. En quelques phrases, il démontre que chaque auteur écrit non pas pour mais contre, à rebours de la tendance qui le précède ou qui domine son époque.

En s’assurant à chaque instant que son public l’accompagne dans sa déambulation, il poursuit en faisant l’éloge du faux, en disant la beauté à nulle autre pareille de la neige sur scène, et celle aussi belle mais profondément différente de la pluie. Il fait remarquer le besoin du public de se sentir concerné et d’entendre des histoires, et invite les artistes à transformer nos vies en mythes pour réussir à nous faire prendre du recul. Enfin, il questionne l’effet que produisent la nudité et la performance sur la perception, et redit la nécessité pour l’acteur de ne jamais perdre contact avec le spectateur, d’afficher une présence qui toujours le prenne en compte.

Enfilant des gants de boxe, un chapeau ou des talons hauts, il illustre ses propos ou les démontre par de micro-expériences, qui servent moins à convaincre le spectateur qu’à accompagner le mouvement de cette réflexion dense, qui invoque en effet les auteurs annoncés mais aussi Artaud, Novarina ou Olivier Py et cite encore des spectacles de Rodrigo García, Thomas Jolly ou Angelica Liddell. Donnant voix à ceux que le théâtre fait rarement entendre alors qu’il ne peut être sans eux, Pierre Notte clame finalement avec humour et force la nécessité de se soucier de la qualité d’un rituel constamment menacé par l’inconfort des sièges, le prix des places, les contrôles de sécurité à l’entrée des salles ou la fatigue, parce qu’il va à rebours de toutes les habitudes de vie aujourd’hui développées qui travaillent à l’isolement croissant des individus.

F.

 

Pour en savoir plus sur « L’Effort d’être spectateur », rendez-vous sur le site du Off d’Avignon.

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