« Tout mon amour » de Laurent Mauvignier [extrait] – impossible deuil

Comment je suis devenu comédien ?
Ah ! Ça. Même les oiseaux n’oseront vous en dire la meilleure.
Les gens regardent et comprennent ce qu’ils veulent.
Mais moi je peux dire que cela n’a pas été fait comme on rentre à l’académie ou qu’on passe un brevet pour satisfaire ses études.…
(Plusieurs mescals plus tard.) Depuis décembre 1937, et que tu es partie, et c’est maintenant le printemps 1938 à ce que j’entends, j’ai délibérément lutté contre mon amour pour toi. Je n’osai m’y soumettre. Je me suis agrippé à toutes les branches ou racines qui pouvaient m’aider à franchir tout seul cet abîme dans ma vie mais je ne puis me leurrer plus longtemps.…
[…] je ne sais pas son vrai nom, celui qu’elle m’a dit n’était pas le sien, alors je ne dirai pas non plus comment elle était faite, personne ne saura jamais qui a couché avec qui, toute une nuit, sur un pont, en plein milieu d’une ville, des traces y sont encore, là-bas, dans la pierre : tu te promènes n’importe où, un soir par hasard, tu vois une fille penchée juste au-dessus de l’eau, tu t’approches par hasard, elle se retourne, te dit : moi mon nom c’est mama, ne me dis pas le tien, ne me dis pas le tien, tu ne lui dis pas ton nom, tu lui dis : où on va ?…
Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature.…
MERTEUIL : Valmont. Je la croyais éteinte, votre passion pour moi. D’où vient ce soudain retour de flamme. Et d’une passion si juvénile. Trop tard bien sûr. Vous n’enflammerez plus mon cœur. Pas une seconde foi. Jamais plus. Je ne vous dis pas cela sans regret, Valmont.…
– Voilà, mon poète, je veux vous ouvrir un secret de la nature dont j’ai l’impression que vous l’ignorez. Je suis convaincu que vous me traitez de pêcheur, au moment où nous sommes, et même peut-être de crapule, de monstre de débauche et de perversion.…
Le manger et le boire sont une des manifestations les plus importante de la vie du corps grotesque. Les traits particuliers de ce corps sont qu’il est ouvert, inachevé, en interaction avec le monde. C’est dans le manger que ces particularités se manifestent de la manière la plus tangible et la plus concrète : le corps échappe à ses frontières, il avale, engloutit, déchire le monde, le fait entrer en lui, s’enrichit et croît à son détriment.…