« Le Kung-fu » de Dieudonné Niangouna [extrait] – « Il faut la scène au-delà des mots »

Comment je suis devenu comédien ?
Ah ! Ça. Même les oiseaux n’oseront vous en dire la meilleure.
Les gens regardent et comprennent ce qu’ils veulent.
Mais moi je peux dire que cela n’a pas été fait comme on rentre à l’académie ou qu’on passe un brevet pour satisfaire ses études.
Ou comme on poursuit un cursus qui vous emmène par ses chemins.
Moi c’est beaucoup plus tordu que ça.

Le monde c’est ce que j’écris.
La vie c’est ce que j’envoie sur scène.
L’être c’est le type qui est et qui a arrêté de se prendre pour des personnages.
Voilà pourquoi depuis j’ai de la peine à vous parler de quelqu’un d’autre sinon de moi.
Parler de moi.
Parler du dedans de moi.
Parler en dehors de moi.
Pour parler aux gens.
Mais j’ai tellement tant à dire que je pense pas que ce que j’ai à vous dire soit aussi important que le fait de dire.
Venir tout simplement à l’existence sans mandat d’amener ni mandat d’au revoir.

Contacter le temps.
Il faut contacter le monde.
Regarder à travers la matière et déceler les normes du temps.
Et les imperfections du destin.
Regarder à travers les choses et lire la fable.
Lire comme une chanson
Sans autre devenir que l’écoute.
La magie du verbe qui fait son chemin dans la mémoire
Qui creuse son sillon
Pour un ailleurs
Pour une autre histoire.
Des images et des images encore.
Des occasions qui boitent
Et des situations rendues à plus tard
Sinon comprises dans le cerveau d’un autre.
Des situations en devenir
Ou mortes avant par les accidents de la narration.
Des accidents d’écoute.
Des accidents ou des incartades du spectacle.
Tout ce qui a pu se produire pendant la matière.

J’aimerais tellement raconter des histoires
Plein d’histoires.
Mais comment, avec quelle langue ?
Le mot.
Avec quel ton ?
L’oreille.
Avec quelle feuille ?
Sur quelle page ?
Quel est le plateau de mon théâtre ?
Quel est le plateau de ma vie ?

J’ai plein d’histoires
Mais je ne connais que les titres.
J’ai plein d’histoires à vous raconter
A écrire
Mais juste des titres.
J’ai plus de titres que d’histoires.
Les titres parlent.
Les histoires se mettent debout.
Il faut raconter debout.
Des histoires c’est quand même pas pour se taire.

Comment sortir de mes titres
Comme des bébés angoissés ?
Comment ? Mais comment ? Mais comment donc ?
Comme des champs fleuris dans l’imaginaire des choses.
Elles sont pleines, les choses.
Elles sont denses.
Et elles dansent.
Comment ?
Mais juste par nécessité.
Par droit à la part du bonheur.
C’est-à-dire être
Dans cet instant.
Etre de cet instant
C’est le bonheur.
Il n’y en aura pas d’autres.
Il n’y aura plus que les murs du silence.
Voilà tout ce que j’aimerais dire.

Je suis arrivé au théâtre
Je suis arrivé au théâtre
Je suis arrivé au théâtre
Et j’ai crié
Et j’ai crié
Et j’ai crié
Je suis arrivé au théâtre
Et j’ai crié.

Il faisait froid.

Je voulais juste parler de la circulation de la phrase dans les nerfs.
Mais pas simple.
Il faut la scène au-delà des mots.
La circulation de la phrase dans les nerfs.
Parler dans les nerfs de quelqu’un.
Perfuser la personne.
Lui injecter des puissances dans les nerfs,
Tout droit le brancher au secteur.

Je voulais que la parole soit du sang qui détermine le conduit des veines.
Je voulais que la parole puisse établir le lien entre l’esprit, l’imagination, et l’acte.
Que la parole soit la seule chose qui ne se déteint pas à l’ombre des saisons ou à la lumière des équinoxes.
Que la parole reste une promesse
Et qui jamais ne se retire.
Quelque chose d’infranchissable.
Un bouillon sauvage de sens,
Pour qu’il n’y en ait pas un, de sens,
Mais que la parole soit le bouillon, simplement le bouillon des essences.
Voilà pourquoi je suis venu au théâtre.

Le théâtre comme une matière en devenir.
Le théâtre comme une matière en devenir,
Comme une manière en devenir.
Le théâtre comme une manière en devenir,
L’être.

Mon kung-fu c’est quoi au fait ?
J’adore regarder les acteurs jouer.
Jouer sans se lasser,
Comme une promesse en devenir.
Et c’est à ça que se résout mon kung-fu.
Jouer en partant d’un autre
Pour accoucher de moi.
Et moi puis l’autre encore.
Moi et l’autre en face,
Alors qu’il était là depuis, au-dedans, dans moi.
Et dire que c’est le même être qui te regarde,
C’est du kung-fu.
Alors j’aime les acteurs dans l’absence de leur metteur en scène.
Les films.

J’ai grandi à l’ombre des acteurs qui défilaient comme des images sur des écrans, mais ce n’étaient pas des images c’étaient des fables.
Puis plus tard des expressions.
Alors je me suis aperçu qu’elles étaient là avant, ces expressions,
Et qu’elles se montraient en fable à mes yeux,
Et qu’elles finissaient par devenir le champ de ma tension interne.
Des acteurs.
Comment regarder ces acteurs ?
Tous ces acteurs,
Comment ?
Sinon dans mon intérieur où ils se logeaient pour jouer tout ce dont j’avais peur,
Tout ce que j’aimais aussi,
Tout ce que je pensais,
Et ce que je souhaitais en profondeur.
Car la vraie chose que les acteurs m’ont apportée ce n’était rien d’autre que moi.


 

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