« Mes parents » de Mohamed El Khatib au Théâtre des Abbesses – photo de classe de la promo X de l’École du TNB

Le Festival d’Automne à Paris programme cette année un nouveau spectacle de Mohamed El Khatib après C’est la vie, Stadium, La Dispute et Boule à neige. Mes Parents est issu d’un atelier qu’il a mené en tant qu’intervenant au Théâtre National de Bretagne, avec la promotion X de l’École. Durant cet atelier d’écriture « documentaire », qui s’est en partie déroulé en distanciel, il a invité les élèves à se présenter au travers de leurs parents. De là est né un spectacle créé trois ans après la fin de leur formation, spectacle d’une heure dans lequel on retrouve les travers de la démarche artistique d’El Khatib mais qui a au moins pour mérite de donner à connaître quelques membres de cette promotion.

Le public du Théâtre de la Ville est mondain, même au-delà de la première, et d’emblée prêt à être séduit. Il accueille d’un franc éclat de rire l’actrice qui donne le coup d’envoi en arrivant de la salle avec une blague de son père. Une fois sur le plateau, elle en esquisse le portrait : un commerçant qui conspue les jeunes acteurs prêts à se mettre nus pour décrocher des rôles, mais qui ne se laisse pas impressionner par la taille de la salle du TNB quand il la découvre. Après cette entrée en matière, Hinda Abdelaoui est rejointe par les autres membres de la promotion, une douzaine en tout. Ils prennent un instant la pose pour une photo de classe, avant de partager les photos de mariage de leurs parents, projetées en fond de scène.

S’ensuit alors une série de micro-récits enchaînés de manière lâche et rythmés par des passages choraux. Au gré de leurs allées et venues, les jeunes évoquent les métiers de leurs parents, leurs rencontre – mais jamais leur séparation, peut-être parce que le metteur en scène estime avoir traité le sujet dans La Dispute… –, leurs manies insolites, leur vie sexuelle, leur conception du théâtre, ou encore leurs réticences à monter sur scène à la fin du spectacle comme l’a demandé Mohamed El Khatib. Quand ils ne s’adressent pas directement au public, avec ou sans le support d’un micro, ils rejouent des scènes vécues, dans lesquelles ils sont eux-mêmes ou leurs parents, qu’ils imitent avec une dérision mêlée de tendresse. Un collier d’anecdotes touchantes ou amusantes se forme, qui suscite à de multiples reprises le rire du public qui a l’impression que lui est dévoilée une intimité qui devient subversive ainsi exposée sur scène.

Outre le caractère mou de la dramaturgie, qui cherche le moyen d’offrir son moment à chacun, et mises à part la sympathie de ces témoignages et quelques trouvailles scéniques qui permettent de faire varier les points de vue et les modalités de parole – écoute de voices Whatsapp, appel vidéo rejoué, conversation Zoom avec en effet des zooms sur tel ou telle qui raconte, écoute, réagit –, une certaine vanité se dégage de la démarche d’El Khatib. Le metteur en scène n’essaie pas de porter un regard sur la génération que cette promotion représente, ni sur celle de leurs parents. Quoique sociologue de formation, il n’appréhende pas le groupe comme un échantillon, représentatif ou non, et s’en tient à la surface du sujet qu’il aborde comme pour se garantir l’innocuité. Mais le sourire que son spectacle suscite à plusieurs reprises finit par gêner, car il nous place dans une posture condescendante. De quoi nous fait rire El Khatib ? quand il fait monter des supporters du RC Lens sur scène ? quand il nous raconte les petites habitudes et réactions de familles qui vivent loin du théâtre ? Le metteur place le public, mais aussi les acteurs et actrices, dans une position de surplomb par rapport à ces parents dont il est question. Le même surplomb que trahit son entretien reproduit dans la feuille de salle, un surplomb sournois, qui n’y prétend pas, quand il fait mine de s’étonner de l’existence de concours d’acteurs comme s’il n’appartenait pas au sérail désormais, quand il affirme que la carrière d’acteur est difficile mais qu’écrire, cela, c’est facile, quand il se targue de s’attaquer à des tabous alors qu’il ne fait que les évoquer, le tout en ayant soin de prendre ses distances avec l’étiquette « documentaire » pour échapper à des débats théoriques qu’il connaît bien.

Sa démarche n’est cette fois pas aussi pornographique que dans C’est la vie – spectacle dans lequel il faisait son miel de la douleur de deux parents chacun en deuil de leur enfant –, même si cette fois encore on veut croire certaines anecdotes fictionnées pour accepter de les entendre racontées, même si on pense à plusieurs reprises aux parents qui peut-être entendent tout ça, des pans de leur vie dévoilés, et parfois contre leur gré comme le laissent entendre les enfants. El Khatib parvient malgré tout – hélas sans prétendre que ça ait jamais été son objectif – à tirer un portrait assez touchant de ces jeunes acteurs et actrices au travers de celui de leurs parents. Le spectacle invite même à penser que la meilleure école de jeu consiste à identifier les manies de ses proches et à les imiter, à reproduire sur scène leurs intonations et leurs démarches. Un joli portrait de promotion donc, mais inégal. Mohamed El Khatib a laissé de côté ceux qui, comme Lucas de la manière la plus évidente, n’auront su ou pu mettre en partage quelque chose de la relation complexe qu’ils ont à leurs parents, relation qui n’est pas simplement faite de tendresse et de dérision. Quelque chose de partageable du moins, dans ce cadre un peu étrange que crée le metteur en scène, où les choses sont abordées de manière superficielle tout en donnant l’illusion de dévoiler une intimité secrète. Il est probable que l’on reverra plusieurs des élèves de la promotion X sur les scènes, mais que d’autres, comme l’annonçait El Khatib dans son entretien, défaitiste et incapable d’y remédier, seront oubliés.

F.

 

Pour en savoir plus sur « Mes parents », rendez-vous sur le site du Théâtre de la Ville.

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