Étiquette : témoignage

« La Guerre n’a pas un visage de femme » de Svetlana Alexievitch – comprendre grâce au récit choral de femmes oubliées ce que ça veut dire, « faire la guerre »

En 2015, l’autrice biélorusse Svetlana Alexievitch s’est vu remettre le Prix Nobel de littérature pour « son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ». Dès son premier texte publié en 1985, La Guerre n’a pas un visage de femme, l’autrice formée au journalisme a en effet inventé une manière d’écrire tissée d’innombrables témoignages mis en résonance. Cette forme d’écriture chorale lui a été inspirée par les récits de femmes russes qui ont participé à la Seconde Guerre mondiale, qu’elle est allée interroger afin d’offrir une perspective inédite sur l’Histoire, essentiellement écrite au masculin, et donner ainsi pour la première fois une pleine perception de ce que c’est, la guerre.
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« La Tendresse » de Julie Bérès au TGP – bande de gars en cours de déconstruction

Après Désobéir, « Pièce d’actualité » née en novembre 2017 à Aubervilliers et depuis en tournée, Julie Bérès a souhaité offrir le pendant masculin de ce spectacle et constituer ainsi un diptyque sur le genre et ses injonctions. Le souvenir très fort laissé par Désobéir, coup de cœur d’Avignon 2019, spectacle depuis resté en tête et souvent évoqué comme référence à une forme de théâtre immédiat, très juste à l’endroit qu’elle occupe, rendait inévitable la découverte de La Tendresse. Le risque de la déception était pourtant à la hauteur de l’attente, d’autant que la déclinaison d’une formule qui a fait ses preuves ne constitue jamais une garantie, que ce soit au théâtre, en littérature, au cinéma ou dans l'industrie des séries. En outre, il ne semble pas aussi nécessaire de laisser place au masculin sur scène comme au féminin. Très rapidement, ces craintes ont cependant été balayées par une authentique joie, nourrie tout au long du spectacle, qui amène à conclure que c’est précisément de ce théâtre-là dont nous avons besoin par les temps qui courent.
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« Un vivant qui passe » d’après Claude Lanzmann à la Bastille – « voir au-delà »

Après La Loi du marcheur d’après des entretiens avec Serge Daney, Un métier idéal d’après un reportage de John Berger et Jean Mohr, Le Méridien d’après Paul Celan et Maîtres anciens d’après Thomas Bernhardt, le trio formé par Nicolas Bouchaud, Éric Didry et Véronique Timsit s’empare encore d’un matériau non théâtral. Il s’agit cette fois des rushes d’une interview menée par Claude Lanzmann pour son film Shoah, qui ont finalement pris la forme d’un documentaire à part, Un vivant qui passe (1997). Par rapport aux spectacles qui précèdent, Nicolas Bouchaud n’est pas seul en scène pour une nouvelle démonstration de brillance. Avec Frédéric Noaille, son complice dans plusieurs spectacles de Sylvain Creuzevault, il entreprend de sonder l’histoire en ses recoins les plus sombres. Pourquoi reprendre sur scène l’enquête menée à l’écran par Lanzmann ? C’est la question que soulève un tel spectacle, mais les réponses les plus pertinentes ne sont peut-être pas exactement celles auxquelles pensaient les artistes au départ.
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« Sauver le moment » de Nicolas Bouchaud – l’envers de la brillance

La collection « Le temps du théâtre » d’Actes Sud ouvre des espaces privilégiés de parole aux metteurs en scène, aux acteurs, aux chercheurs et aux critiques qui s’efforcent de penser le théâtre, sous forme d’essais, d’entretiens, mais aussi de journaux de répétitions ou de formes plus hybrides. C’est dans ce cadre que Nicolas Bouchaud a fait paraître Sauver le moment, un recueil de souvenirs, de fragments d’une vaste mémoire d’acteur dont la carrière a commencé dans les années 1990. Son œuvre offre une perspective rare sur l’histoire du théâtre, cette histoire complexe à écrire, qui, plus que d’autres, nécessite de croiser de nombreux paramètres et de prendre en compte des points de vue subjectifs, de s’appuyer sur de nombreux témoignage pour rendre compte de ce qui a été, dont l’essentiel n’est plus. La perspective d’un être qui se situe sur le plateau, capable d’en dévoiler les coulisses, et de relater tout ce dont le théâtre est fait, au-delà du spectacle : les répétitions, les tournées, les soirées, les lectures… Plus particulièrement encore, la perspective d’un acteur singulier, qui révèle l’envers de la brillance qui le caractérise.
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« Si c’est un homme » de Primo Levi – l’éloquence de l’indicible

Si c’est un homme de Primo Levi est une des œuvres de la littérature concentrationnaire les plus connues aujourd’hui. Elle relate l’expérience de l’auteur, chimiste italien incarcéré au camp de Monowitz, à Auschwitz, en janvier 1944, qui a survécu là-bas jusqu’à la libération – ou plutôt l’abandon du camp par les SS – en janvier 1945.…

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« Les Carnets de la maison morte » de Dostoïevski – récits du bagne

Dans les Carnets de la maison morte, Dostoïevski rend compte de son séjour au bagne, alors qu’il a été déporté pendant quatre ans dans le camp d’Omsk, en Sibérie, pour des raisons politiques. De son expérience, il fait un récit qui oscille entre la fiction, le témoignage et le reportage journalistique, et qui rend finalement moins compte de son vécu que de ses découvertes en détention – découvertes essentiellement humaines qui vont irriguer toutes ses œuvres par la suite.…

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