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« Les Années » d’Annie Ernaux – reconstituer l’air du temps sur près de 70 ans

Après de premiers courts textes autofictionnels ou autobiographiques, Les Armoires vides, La Femme gelée, La Place, Une femme ou encore L’Événement, Annie Ernaux opère un déplacement avec Les Années, en 2008. Cette œuvre se distingue des précédentes par son ampleur tout d’abord – 240 pages –, et par le fait que le « je » disparaît à la faveur d’un « on » et d’un occasionnel « elle », signe le plus manifeste d’un changement de focale. L’autrice ne se livre pas cette fois au récit plusieurs fois repris par différentes entrées d’un parcours de transfuge de classe. Si sa trajectoire est toujours présente en filigrane, car elle se conserve comme point d’observation de la société dans laquelle elle vit, son projet est cette fois beaucoup plus ambitieux : rendre compte des années. Le titre est provoquant, car il ne dit pas lesquelles, mais il invite de cette façon à renoncer à aborder le texte comme un document strictement historique sur une période précisément balisée. S’il en est malgré tout bien un, c’est au même titre que les archives INA dont il partage la saveur, mais une saveur décuplée par sa longueur et sa capacité à rétablir de la continuité dans notre appréhension du temps.
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« Histoire d’un Cid » de Jean Bellorini à la Comédie de Reims – apprivoiser la langue étrangère de Corneille par le jeu

La Comédie de Reims accueille la tournée du dernier spectacle de Jean Bellorini, Histoire d’un Cid, créé l’été dernier au Château de Grignan. Le public scolaire est présent au rendez-vous de cette « variation d’après la pièce de Corneille », qui reconduit le projet de Bellorini de donner accès aux grandes œuvres du patrimoine au plus grand nombre – celles de Victor Hugo, de Dostoïevski ou de Proust précédemment. L’artiste s’inscrit dans une tradition plus vilarienne que jamais avec le choix de cette œuvre, après le mémorable Cid présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes d’Avignon en 1951, avec Gérard Philipe dans le rôle-titre. Mais depuis cette époque, où Vilar réussissait à faire entendre la tragi-comédie de Corneille à près de 280 000 personnes sans en modifier les vers, il semble que nos oreilles soient devenues sourdes à l’alexandrin, et qu’il faille les adapter, les raconter, les commenter. C’est ce à quoi s’attelle Bellorini avec facétie, qui multiplie les approches du texte pour essayer de retrouver un contact avec lui.
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« Finir en beauté » de Mohamed El Khatib à la Manufacture – faut-il toujours écouter sa sœur ?

Dix ans plus tard, et tandis qu’il présente La Vie secrète des vieux dans le In, Mohamed El Khatib reprend pour quelques dates l’un de ses premiers spectacles, celui qui l’a fait connaître et l’a propulsé dans le cœur battant de l’institution théâtrale : Finir en beauté. Il se retrouve ainsi dans le même lieu que pour sa première fois dans le Off, la Manufacture, face à un public nombreux, dont la majorité aborde sans doute l’occasion comme une séance de rattrapage, pour comprendre d’où tout est parti. Le spectacle révèle en effet les germes dramaturgiques et esthétiques de la démarche de l’artiste, et soulève la question suivante, en regard des créations qui ont suivi : faut-il toujours écouter sa sœur ?
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« Le Silence » de Lorraine de Sagazan à la Comédie-Française – indicible infrangible du deuil

Après Christiane Jatahy, Chloé Dabert, Ivo van Hove, Christophe Honoré, Julie Deliquet, Guy Cassiers, Thomas Ostermeier, Silvia Costa et d’autres encore ces dernières années, c’est au tour de Lorraine de Sagazan d’être invitée à diriger la troupe de la Comédie-Française. Comme plusieurs parmi celles et ceux cités, l’artiste fait un pas de côté par rapport au répertoire théâtral et trouve avec Guillaume Poix son inspiration du côté du cinéma. Non pour adapter un scénario de film, comme Christiane Jatahy, Ivo van Hove ou Julie Deliquet : c’est dans toute une œuvre cinématographique que le duo puise, celle de Michelangelo Antonioni. Ce matériau donne lieu à un spectacle radical, qui confronte de manière extrême à la souffrance indicible causée par le deuil.
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« Le Massacre du printemps » d’Elsa Granat au Théâtre 13 – thérapie haute tension

Le Théâtre 13 a repris pour une dizaine de dates l’un des premiers spectacles d’Elsa Granat, Le Massacre du printemps, créé au Théâtre-Studio d’Alfortville en 2017 et programmé au Théâtre du Train bleu à Avignon en 2019. Ce spectacle est donc découvert après King Lear Syndrome, que l’on pourrait grossièrement désigner comme une transposition de la pièce de Shakespeare en EHPAD – ce qui ne lui rendrait pas pleinement justice. La pelouse synthétique que l’on retrouve dans les deux spectacles produit un effet de signature évident, tout comme le choix de faire intervenir des acteurs et actrices amateurs aux côtés de professionnels, et de représenter un prisme d’âges étendu (de 27 à 90 ans). Ce que révèle en revanche ce spectacle d’inspiration autobiographique, c’est une écriture intime, dont la portée thérapeutique achève d'être atteinte avec la mise en scène.
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« À la ligne » d’après Joseph Ponthus au Théâtre du Train bleu – poétique du travail en usine

Le Théâtre du Train bleu programme cette année un spectacle produit par le Théâtre de Lorient, dirigé par Rodolphe Dana, à la tête du collectif Les Possédés depuis devenu le Collectif Artistique du Théâtre de Lorient. Après avoir monté des textes de Lagarce ou de Tchekhov, le collectif a pris un plaisir particulier à adapter des romans : Bullet Park de John Cheever, À la recherche du temps perdu de Proust à deux reprises ou Madame Bovary de Flaubert. Le spectacle de Katja Hunsinger et Julien Chavrial, À la ligne, s’inscrit dans ce sillage. Il est une adaptation d’un roman de Joseph Ponthus publié en 2019 et plusieurs fois primé. Avec ce récit d’usine, les acteurs redisent leur foi profonde en la littérature, en sa capacité à dire le monde et à le faire voir quand elle est amenée au théâtre.
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« L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood » de Krzysztof Warlikowski à la Colline – Warlikowski, Dibbouk de notre temps

Bien que régulièrement invité avec ses opéras, cela fait plusieurs années que Warlikowski n’a pas présenté de mise en scène théâtrale en France. La plus récente remonte à 2018, il s’agissait d’On s’en va d’Hanokh Levin. Auparavant, il était venu avec Les Français d’après Proust en 2015, Phèdre(s) d’après Coetzee, Euripide, Sarah Kane et Sénèque en 2016, ou encore Contes africains d’après Shakespeare en 2012. Pour quelques dates, le public français le retrouve avec L’Odyssée. Une histoire pour Hollywood. Le titre paraît contenir la promesse d’un montage de textes et d’époque comme ceux dont est adepte le metteur en scène polonais, promesse redoublée par la durée du spectacle, annoncée de 3 heures 45. Si une partie des sièges restent vides après l’entracte, c’est peut-être autant en raison de cette longueur exigeante – quoique le temps passe vite – que parce que le spectacle aurait peut-être dû s’appeler : « La Shoah. Une histoire pour Hollywood ». La figure d’Ulysse qui parraine le spectacle n’est en effet qu’un des moyens parmi d’autres de relater un impossible retour et de faire œuvre de mémoire.
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Jean Genet au sujet des « Frères Karamazov » – l’allégresse de Dostoïevski

Les chefs-d’œuvre artistiques ou poétiques sont la plus haute forme de  l’esprit humain, son expression la plus convaincante : voilà un lieu commun qu’on se doit de conserver sous le titre de vérité éternelle. Qu’ils soient la plus haute forme de l’esprit humain, ou la forme la plus haute donnée à l’esprit humain, ou la plus haute forme prise, patiemment ou vite, par un coup de pot, toujours hardiment si l’on veut, il s’agit d’une forme, et cette forme est loin d’être la limite où peut s’aventurer un homme. Passons à Dostoïevski ou plutôt aux Frères Karamazov, chef-d’œuvre du roman, grand livre, audacieuse instigation des âmes, démesure et démesures.
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