« Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke » d’Anne Teresa de Keersmaeker au T2G : ∅

Anne Teresa de Keersmaeker revient cette année au Festival d’Automne avec un spectacle inspiré d’un court texte du jeune poète Rilke, Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke. Le spectacle était présenté au Théâtre de Gennevilliers pour quatre dates seulement, courues par les amateurs du travail de l’artiste.

Keersmaeker - Rilke 1

Sans passage au noir, un danseur entre, dans un espace sans décor apparent, sinon son dénuement et une hauteur singulière.

Sans aucune musique, il se met à danser, et laisse sur le sol crayeux des traces de son passage, tandis qu’en retour le lieu laisse un peu de lui aussi sur son pantalon. Il reste un long temps seul sur le plateau, toutes lumières allumées, avec pour unique accompagnement le bruit de ses pas. Puis il se place en retrait.

Sans transition, entre une musicienne, qui interprète l’Opera per flauto de Salvatore Sciarrino, véritable performance physique par ce qu’il implique de modulations avec l’instrument.

Sans plus personne sur scène, la salle s’éteint, puis ne reste sur le plateau que la lumière du texte projeté en fond de scène. Le poème de Rilke est livré sur deux grands pans, comme deux pages, celle de gauche en allemand, celle de droite en français. Les différentes parties de l’œuvre, numérotées, sont ainsi livrées d’un bloc, dans le silence d’une salle placée dans une situation de lecture, qui arrive plus ou moins bien à déchiffrer ces petites lignes lumineuses, pressée de finir avant que l’image ne disparaisse pour laisser place à la suivante, et qui passe de l’une à l’autre avec l’impatience de terminer et de voir tous les éléments présentés dans l’ordre se conjuguer.

Sans plus de texte, le danseur revient, accompagné par Anne Teresa de Keersmaeker elle-même. Leur duo est étrange, sans contact franc, en miroir, un bras souvent tendu… les connexions ne se font pas vraiment du récit de guerre de Rilke, dont la densité et la poésie n’ont pu nous parvenir pleinement à la simple lecture, imposée à tous au même rythme comme si le temps pour lire une page d’une personne à l’autre pouvait être identique.

Sans plus de traduction, Keersmaeker seule se met à dire un texte en allemand, avec vigueur. Un mot, une phrase, deux phrases, des pages entières, incompréhensibles pour les non-germanophones, portées par une expressivité qui détourne de la musicalité de la langue, de sa plasticité, parce qu’elle désigne trop le sens qui échappe, qu’elle frustre. Et comme les précédentes séquences, celle-ci est relativement longue, et elle donne encore plus cruellement que les autres l’impression que quelque chose manque.

Et quand enfin s’accumulent et se conjuguent la danse, la musique, la parole et sa traduction… c’est le suivi des phrases qui fait défaut. Comme pour la lecture seule, le texte est livré d’un bloc, et on ne sait exactement où l’on se situe dans l’ensemble de la page, on lit probablement trop vite ou pas assez, on est en avance ou en retard sur la voix, la vue et l’écoute ne s’accordent pas, et la responsabilité qui nous incombe de tout réunir nous empêche de recevoir le texte de Rilke, qui reste abscons, lointain.

Anne Teresa de Keersmaeker dit avoir voulu rendre compte du processus de création, de ses étapes. Mais ce que n’a pas le spectateur qui entre dans la salle, ce qu’il ne peut avoir même s’il reçoit une copie du texte au moment d’entrer dans le théâtre, c’est l’immersion qu’implique le travail en amont du spectacle, la connaissance plus ou moins précise du poème capable de laisser apprécier ces variations scéniques et musicales, la familiarité qui peut permettre de partager l’intimité de l’artiste avec cette œuvre, qui en définitive reste étrangère.

 

 

F.

Pour en savoir plus sur « Die Weise von liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke », rendez-vous sur le site du T2G.

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