Autofiction théâtrale : de l’écriture au plateau, enquêtes sur le passé dans « 10 millones » de Carlos Celdrán

Article paru dans le n°185 de la revue de théâtre latino-américain Conjunto,
dans le dossier « Document, témoignage, autoréférence »

« Je ne suis pas l’auteur. Je n’ai pas écrit ce texte. Je le dis en son nom. Au nom de l’auteur. De celui qui a écrit les mots que je dis en ce moment. Ceux-là ». Telles sont les premières phrases du personnage désigné comme “L’Auteur”, dans l’oeuvre de Carlos Celdrán, 10 millones. D’entrée de jeu, un hiatus surgit entre le comédien et le rôle qu’il interprète, qui invoque en outre la figure de l’auteur du texte qu’il prononce. Une béance qui met en valeur la question de l’écriture et la place au cœur du spectacle. L’écriture tient en effet une importance particulière dans ce projet, qui prend sa source dans un journal intime[1]. Au départ, cette écriture cathartique qui resurgit au long de plusieurs années n’est pas destinée à devenir une œuvre. Elle s’impose comme un outil pour sonder le passé, pour tenter de le comprendre, de l’élucider, et au fur et à mesure, le journal s’est constitué comme espace d’épanchement, de déchargement d’une mémoire trop lourde à porter, car elle pèse encore de tout son poids sur le présent. Ce passé, c’est celui de Carlos Celdrán, metteur en scène mais aussi auteur de cette œuvre. Retraçant le parcours de l’enfant qu’il a été, il en vient à décrire les trajectoires opposées de ses parents, et à travers eux, il offre tout un pan de l’histoire de Cuba. La biographie de cette famille est en effet celle de toute une génération de Cubains, celle qui après la Révolution s’est déchirée en deux camps, entre les partisans et les sceptiques, jusqu’à ce que la séparation atteigne un climax en octobre 1980, avec le départ de milliers de Cubains en Floride sous les huées de ceux qui avaient choisi de rester.

Pour faire de cette écriture au fil de la plume une œuvre à part entière, pour donner à cette suite d’épisodes encore épars une orientation d’ensemble, une structure qui détermine un début et une fin, Carlos Celdrán ne choisit pas le genre autobiographique, malgré sa proximité avec le journal intime. Pour mener à bout son entreprise herméneutique, il fait le choix du théâtre, qui est son domaine depuis des années en tant que metteur en scène. Il ne s’agit pas pour lui de faire de sa vie un drame – quoique le schéma traditionnel du triangle familial, et le déchirement de ses parents à l’origine de nombreux conflits au milieu desquels l’enfant se trouve pris, s’y prêtent – mais de transposer cette écriture intime sur scène. Pour l’auteur-metteur en scène, il n’est pas non plus question de prendre en charge son texte, et d’interpréter son propre rôle pour rejouer sa vie. En confiant à un comédien le rôle d’auteur qui est le sien, il met en échec le pacte autobiographique, qui repose sur l’identité entre auteur, narrateur et personnage[2]. Cette mise à distance introduit une tension entre écriture autobiographique et écriture destinée à la scène – une tension que loin de résoudre, l’auteur ne cesse de désigner, tout au long de son œuvre. Carlos Celdrán invite ainsi à aborder son spectacle comme une autofiction, d’un genre particulier, car elle s’achève sur scène.

La mise en valeur de la singularité de son geste, dans l’œuvre même qu’il propose, amène à faire l’hypothèse que la transposition de cette écriture au théâtre permet à Carlos Celdrán de poursuivre sur scène le travail d’enquête sur son passé qu’il a entrepris dans son journal. Il s’agit alors de se demander en quoi le théâtre permet d’approcher un peu plus encore la vérité vers laquelle cherche à tendre le journal intime, et de penser ce qui se joue dans le passage d’un genre à l’autre. Le paradoxe qui surgit alors est que le théâtre, en accroissant la distance qui sépare l’auteur de ce qu’il a été, semble permettre une introspection plus grande encore.

 

Du journal à la scène, la construction d’une adresse

Excluant le projet de faire de sa vie un drame, Carlos Celdrán renonce également à l’idée de créer un quelconque type d’illusion. D’emblée, le public du théâtre est au contraire institué en destinataire de son texte, en interlocuteur. Une telle destinée réservée à l’écriture de journal détermine une adresse, une direction forte de la parole, pas seulement théorique, potentielle, mais tangible, concrète, actée chaque soir en salle. En impliquant une confrontation avec un public – encore plus directe qu’avec la publication d’une œuvre par exemple –, le théâtre met l’écriture à l’épreuve du dicible, et la charge de l’ambition d’être partageable. L’exigence d’être compris est en effet plus élevée dans le cas d’une mise en scène car contrairement au lecteur, le spectateur ne peut relire le texte, revenir quelques pages en arrière pour mieux le déchiffrer. Les phrases prononcées sur scène sont aussitôt soumises à la compréhension du spectateur, garante du dispositif théâtral. Dans la perspective de la représentation, l’auteur est donc contraint de faire sortir l’écriture de son giron égocentrique pour qu’elle devienne une parole audible. Une première mise à distance s’impose ainsi avec le choix du genre théâtral que fait Carlos Celdrán ; il s’agit de dépasser le langage crypté de soi à soi du journal, puis, au-delà, de mettre en place les possibilités d’une communication avec la salle.

Dans le spectacle finalement créé, cette aspiration s’impose d’emblée avec la présence d’un comédien sur scène, quand le public entre dans le théâtre. Assis sur le plateau, il n’affiche pas un quelconque rôle, mais semble accueillir les spectateurs qui s’installent très près de lui dans la salle intime du Argos Teatro. Son rôle de médiateur entre les deux espaces qui structurent le dispositif scénique frontal devient plus explicite encore quand il prend la parole et qu’il s’adresse directement au public. Même au-delà de la mise en garde que l’on a citée, dans le cours du spectacle, il reste un relais, qui indique les différentes étapes du récit. Cette adresse à la salle s’exprime également par des regards, des gestes, qui manifestent le fait que le public est support de l’énonciation, que le discours est structuré selon cette direction vers le spectateur.

Ce désir de communication que traduit le passage de l’écriture de journal au théâtre opère. Bien que le point de départ soit profondément subjectif et intime – ou précisément grâce à cela –, l’émotion partagée par Carlos Celdrán dans son œuvre se transmet au public, qui, d’une représentation à l’autre, retient mal les sanglots que déclenche l’évocation de certains épisodes – l’exode de Mariel, vécu par le père de Carlos Celdrán, tout particulièrement. Le caractère cathartique de l’écriture dans sa forme première est redoublé et amplifié dans sa transmission par le théâtre, qui retrouve alors sa fonction antique de purgation des passions.

 

De l’écriture polyphonique à l’incarnation plurielle

La destination scénique du texte que Carlos Celdrán conçoit à partir de son journal l’invite, au-delà de l’adresse, à cristalliser le caractère polyphonique de son écriture. Parce que la reconstitution de son passé ne peut être dissociée de l’histoire de ses parents, l’auteur en vient à faire d’eux deux personnages. Ce choix l’amène à mêler à ses propres souvenirs ceux de son père ou de sa mère. Il délègue ainsi à cette dernière le soin de raconter la dégradation progressive de leur relation, de leur rencontre à leur séparation. Sur un autre mode, il rend à son père le récit de sa décision de quitter le pays, et l’attente de son permis de sortie alors qu’il est confronté aux mécanismes complexes des autorités migratoires. Ces scènes, si elles s’appuient sur le vécu de l’auteur, sollicitent en partie son imagination. L’écriture de soi s’enrichit alors d’une part de fiction, qui seule semble capable de retrouver la voix de sa mère, ou de reconstituer l’expérience de son père. Dans ce cas, importe moins ce qu’ils ont pu dire ou penser, la vérité de ce qui a été, que ce que l’enfant croit qu’ils ont dit ou ce que l’adulte pense qu’ils ont dû penser, avec le recul.

La perspective subjective de ces scènes ne se dissout pas dans cette diffraction de l’écriture en plusieurs personnages. Elle reste en effet sensible, par la présence discrète mais presque continue du personnage de l’Auteur. Quand il ne se travestit pas pour jouer tel ou tel rôle mineur, il ne cesse de mettre en valeur le geste d’écriture qui préside au spectacle. C’est ainsi à lui que revient le rôle de consigner soigneusement le titre des chapitres sur le mur de fond de la scène, à la craie. Ces indications scandent le récit de cette vie et mettent en valeur la construction de cette œuvre, l’effort d’ordonnancement auquel l’auteur a soumis sa mémoire.

En invoquant ses parents sur la scène de sa mémoire, Carlos Celdrán met un peu plus à distance encore sa propre histoire. Le théâtre l’invite à décentrer sa perspective, à la démultiplier, pour mieux approcher la vérité de son histoire familiale, plurielle et contradictoire. Le fait de donner une importance égale à son père et à sa mère lui évite en outre de jouer le rôle d’arbitre, de prendre le risque de juger et de départager ses parents, dans l’affrontement qui les oppose et entre lesquels il est pris. En ce sens, la polyphonie qu’il met en œuvre n’est pas que factuelle, elle prend un sens bakhtinien[3] : leur rendant une voix pleine, autonome, chargée de reconstituer la logique propre à chacun, il évacue la possibilité d’un point de vue global et dominant, la facilité de donner un sens unique à ce qui résiste à l’explication univoque. La pluralité des voix situe son histoire à hauteur d’homme, et Carlos Celdrán s’essaie à travers elle à saisir la complexité de son passé.

La polyphonie à laquelle invite le théâtre permet également, à la seule échelle de l’auteur, de formaliser son rapport à lui-même et à ce qu’il a été. Se fondant sur la scission temporelle qui sépare l’adulte qui écrit du jeune garçon sur lequel il se penche et qu’il tente de comprendre, il distingue deux personnages. Cette dissociation systématise le caractère diffracté du moi qui s’épanche dans le journal, non pas homogène, limpide, un, mais profondément travaillé par l’altérité[4]. De manière symptomatique, Carlos Celdrán ne désigne pas celui qu’il a été par le pronom « je », mais par le pronom « Lui », qui fait du sujet un objet et qui l’invite ainsi à mettre à distance celui qu’il était, de l’aborder comme un personnage à part entière. Ce détour apparaît comme le seul moyen de penser des choix et des attitudes qui paraissent avec le recul incompréhensibles. La dissociation permet en effet à l’adulte de soulever des questions jusque-là refoulées, comme celle de savoir pourquoi l’enfant n’a pas feint d’être malade, le jour où on l’a contraint de défiler en uniforme devant l’ambassade du Pérou pour dénoncer la prétendue traîtrise de ceux qui – comme son père – y siégeaient dans l’attente d’un visa pour quitter l’île.

Cette répartition en plusieurs instances narratives du récit, du journal au texte destiné à la scène, permet, une fois au plateau, de démultiplier les niveaux d’énonciation et de présence. Carlos Celdrán exploite toutes les nuances possibles de jeu qu’ouvre la coexistence de deux modalités sur scène : raconter et jouer[5]. Aux dialogues et monologues de facture classique, s’ajoutent d’autres strates, étroitement intriquées : les comédiens jouent une scène, en racontent une autre, ou racontent le personnage qu’ils jouent, ou racontent un autre personnage, en même temps qu’il est joué par un autre acteur. Par exemple, pour évoquer les souvenirs heureux du collège, Daniel Romero qui interprète le jeune Carlos Celdrán, “Lui”, raconte la joie de ses découvertes littéraires, en même temps qu’il la joue. L’incarnation permet, au-delà du récit, de revivre cette joie dans le présent du théâtre. Dans la direction de comédiens chargés d’incarner ses parents ou lui-même, à deux âges différents de sa vie, Carlos Celdrán étend ainsi son champ d’exploration, et l’autofiction théâtrale fait de la scène un espace de reviviscence.

 

Au-delà des mots, transformer la scène en espace de mémoire vive

De l’écriture au théâtre, la mémoire mise en jeu par Carlos Celdrán décuple ses moyens, au-delà des mots. Plutôt que d’être acteur de sa propre histoire, il s’en fait le metteur en scène, pouvant ainsi, avec recul, régler chaque détail et faire du plateau l’espace du redéploiement de son passé. En plus des voix, et de leur prise en charge plurielle que l’on a évoquée, Carlos Celdrán mobilise en effet toutes les possibilités du théâtre. Lumières, sons et gestes servent à la reconstitution d’un souvenir à la fois précis et impalpable, ou d’une émotion, plus difficile encore à fixer. Certains sons, réalistes, servent ainsi de support à l’évocation d’une scène bien particulière. D’autres, sous forme de notes, comme les nuances de lumières, colorent et amplifient les sentiments exprimés par le texte. C’est également la fonction de certains gestes, pas purement réalistes. Les coups de poing qu’envoie dans le vide Daniel Romero au moment de raconter les séances d’entraînement de boxe auquel l’enfant était soumis par les médecins qui cherchaient à faire surgir sa virilité, disent autant les combats qu’il a dû faire que la violence physique et symbolique exercée par cette thérapie, ou la colère qu’elle suscite encore en l’adulte.

Carlos Celdrán attire également le regard, dans sa mise en scène minimaliste, sur quelques gestes dont on perçoit qu’ils sont chargés de mémoire. On peut ainsi citer celui de Caleb Casas, qui interprète le père, lorsqu’il caresse la tête de son fils. Sa façon de le coiffer, ou plutôt de le décoiffer, exprimer une grande tendresse qui permet à Carlos Celdrán de rester fidèle à la parole pudique de son père.

Ces quelques éléments scéniques ne sont pas mobilisés afin de représenter tel ou tel souvenir. Toute forme d’illusion étant d’emblée évacuée – par la présence de l’acteur dès l’entrée du public en salle, par la simplicité du dispositif scénographique, par les adresses récurrentes à la salle –, il n’est pas nécessaire de feindre le passage du temps, ou de masquer les changements d’uniformes qui rythment la scolarité de l’enfant, ou de mimer tel ou tel espace. Pour cela, la parole domine, et se charge d’invoquer l’imaginaire des spectateurs. Les quelques éléments tangibles de la mise en scène sont dotés d’une fonction autre. Ils servent de repère dans le flux non linéaire de la mémoire – comme le sont ces phrases sans cesse répétées de la mère au chauffeur qui accompagne l’enfant chez son père, chaque été, qui sont restées gravées et qui reviennent comme un refrain lancinant.

A l’exemple de l’écriture, qui, non pas chronologique, ordonnée suivant une série de date et de lieux, revendique sa pleine liberté, la scène se voit contrainte d’épouser la souplesse de la mémoire, de se soumettre à ses bonds, ses associations, ses tâtonnements, ou ses intuitions impalpables, pour lui rester fidèle. Si le geste d’indiquer le titre du chapitre à venir est récurrent, il ne fait pas système pour autant, et ces titres – « Rêve », « Voyage », « Rencontres », « Thérapies », « Album », « Politique », « Le dernier été », « Masse et pouvoir », « Epilogue, La Havane 2012 » –, disposés sans ordre apparent sur le mur, se distinguent à la fin par leur irrégularité. Plutôt que d’imposer son réalisme, sa pesanteur, le plateau s’efforce de prendre la forme d’une scène mentale.

Toute structure prédéterminée paraissant trop figée pour approcher l’ampleur d’une vie, la richesse d’une trajectoire multiplement déterminée, plutôt que de trouver un procédé, Carlos Celdrán en fait coexister plusieurs. Il conçoit ainsi son propre dispositif, hybride, qui garde la marque du journal intime et qui tend vers la scène. Cet entre-deux générique[6], qui offre d’infinies nuances pour approcher différemment chaque souvenir évoqué, semble seul pouvoir exprimer la singularité de son histoire, marquée par l’entre-deux – entre son père et sa mère, entre Cuba et Miami.

 

 

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[1] Carlos Celdrán relate l’origine de son texte dans un entretien. Cf. Omar Valiño: “No puedo volver al que era porque tengo otro público”, Tablas, v. CIX, nn. 3-4, 2016, pp. 33-38.

[2] Cf, Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique.

[3] Cf. Mikhaïl Bakhtine, La Poétique de Dostoïevski.

[4] Sur cette question, cf. Sergio Blanco: “La autoficción: una ingeniería del yo”, Conjunto n. 177, oct.-dic. 2015, pp. 34-42.

[5] Ces deux modalités de jeu apparaissent dès la mise en forme du texte. De fait, par l’usage de l’italique, Carlos Celdrán distingue les fragments de phrases prononcés par ses parents ou lui-même par le passé des commentaires qu’il en livre a posteriori par les voix de ses personnages. Cette nuance typographique met en valeur la matière verbale à partir de laquelle il enquête sur son histoire et la coexistence de deux temporalités dans son écriture, le passé et le présent.

[6] L’entre-deux générique est peut-être consubstantiel à ces histoires. On peut par exemple penser au film de Laurent Cantet, Retour à Ithaque, qui s’apparente à une pièce de théâtre.

Articulo publicado en el n°185 de la revista de teatro latinoamericano Conjunto,
en el dosier « Documento, testimonio y autoreferencia »

“No soy el autor. No escribo este texto. Lo digo en su nombre. En nombre del autor. Del que escribe las palabras que digo ahora, estas”. Son las primeras frases del personaje designado como el “Autor”, en la obra de Carlos Celdrán, Diez millones. De entrada, surge un hiato entre el actor y el papel que interpreta, invocando además la figura del autor del texto que pronuncia, una abertura que destaca la cuestión de la escritura y la coloca en el corazón del espectáculo.

De hecho la textualidad tiene una importancia particular en este proyecto, que nace de un diario íntimo.[1] Al principio, la escritura catártica que resurge a lo largo de varios años no está destinada a convertirse en una obra. Se impone como una herramienta para sondear el pasado, para intentar comprenderlo y dilucidarlo. Poco a poco, el diario se constituye como espacio de desahogo, de descarga de una memoria demasiado pesada de llevar, ya que todavía gravita sobre el presente. Este pasado es el de Carlos Celdrán, el director de la puesta en escena, ahora también dramaturgo. Reconstituyendo el recorrido del niño que ha sido, llega a describir las trayectorias opuestas de sus padres, y a través de ellos, ofrece una parte de la historia de Cuba.

La biografía de esta familia es efectivamente la de varias generaciones de cubanos, las mismas que después del triunfo de la Revolución se desgarraron entre dos campos, entre los partidarios y los escépticos, hasta que la separación alcanzó un punto climático en octubre de 1980, con la salida de miles de cubanos hacia la Florida, bajo los abucheos de los que decidían quedarse.

Para hacer de esta escritura a vuela pluma una obra en sí, para darle a una sucesión de episodios todavía esparcidos una orientación general, una estructura que determina principio y fin, Carlos Celdrán no escoge el género autobiográfico, a pesar de su proximidad con el diario. Al llevar a cabo su empresa hermenéutica, opta por el teatro, su ámbito natural desde hace varios años como director. No se trata para él de hacer de su vida un drama –aunque el esquema tradicional del triángulo familiar y la ruptura de sus padres en el origen de múltiples conflictos en medio de los cuales el niño está prisionero, son adecuados–, sino de transponer esta escritura íntima a la escena. El autor-director no considera tampoco hacerse cargo de su texto, e interpretar su propio papel para volver a jugar su vida. Al confiar a un actor el rol del Autor, que es suyo, Carlos pone en riesgo el pacto autobiográfico, que se basa en la identidad entre autor, narrador y personaje.[2] Este distanciamiento introduce una tensión entre escritura autobiográfica y escritura destinada a la escena, una tensión que lejos de resolver, el autor no deja de señalar a lo largo de toda su obra. De esta forma, Carlos Celdrán invita a abordar su espectáculo como una autoficción, de naturaleza un tanto particular, ya que se consuma sobre la escena.

La valorización de la singularidad de su gesto en la obra propuesta, lleva a formular la hipótesis de que la transposición de esta escritura al teatro le permite a Carlos Celdrán proseguir sobre la escena el trabajo de investigación sobre su pasado que comenzara con el diario. Hay entonces que preguntarse en qué el teatro puede ayudar a acercarse un poco más a la verdad que el diario intenta alcanzar, y en qué a pensar lo que está en juego en la transición de un género a otro. La paradoja que surge entonces es que el teatro, aumentando la distancia que separa al autor de lo que fue, parece permitir una introspección aun más grande.

Del diario a la escena, la construcción de una dirección de la palabra

Dejando a un lado la idea de hacer de su vida un drama, Carlos Celdrán renuncia también al proyecto de crear cualquier tipo de ilusión. Al contrario, instituye desde el principio al público teatral como destinatario de su texto, como interlocutor. Tal un destino reservado a la escritura de diario determina una dirección, una orientación fuerte de la palabra, no solo teórica, potencial, sino tangible, concreta, actuada cada noche en la sala de teatro.

Al implicar de ese modo una confrontación con el público –aún más directa que con la publicación de una obra, por ejemplo –, el teatro pone la escritura a pasar la prueba de lo decible, y la carga de la ambición de ser compartible. Con la puesta en escena se eleva, de hecho, la exigencia de ser entendido porque, a diferencia de un lector, el espectador no puede releer el texto, volver unas páginas atrás para descifrarlo mejor. Las frases pronunciadas sobre la escena están sometidas de inmediato a la comprensión del público, garante del dispositivo teatral. Desde la perspectiva de la representación, el autor está entonces obligado a sacar la escritura de su seno egocéntrico para que se vuelva una palabra audible. Una primera puesta a distancia se impone con la elección que hace Carlos Celdrán del género teatral; hace falta sobrepasar el lenguaje encriptado en sí mismo al sí mismo del diario, y después, más allá, para poner en marcha las posibilidades de comunicación con la audiencia.

En el espectáculo finalmente creado, esta aspiración se manifiesta de entrada con la presencia de un actor sobre la escena, mientras el público entra a la sala. Sentado sobre el escenario, no exhibe cualquier papel, solo parece acoger a los espectadores que se colocan muy próximos en la pequeña platea de Argos Teatro. Su función de mediador entre los dos espacios que estructuran el dispositivo escénico frontal se vuelve aún más explícita cuando comienza a hablar y lo hace directamente al público. Incluso más allá de la advertencia inicial que hemos citado, en el curso del espectáculo, queda un relevo, que indica las diferentes etapas del relato. Esta orientación hacia la audiencia se expresa también a través de miradas, de gestos que revelan que el público es soporte de la enunciación, que el discurso está estructurado según esta dirección hacia el espectador.

El deseo de comunicación que traduce el paso de la escritura del diario al teatro es efectiva. Aunque el punto de partida sea profundamente subjetivo e íntimo –o precisamente, gracias a eso–, la emoción compartida por Carlos Celdrán en su obra se transmite al público, quien, de una representación a otra, contiene con dificultad los sollozos que desencadena la evocación de algunos recuerdos –como el éxodo del Mariel, vivido por el padre de Carlos Celdrán, particularmente–. El carácter catártico de la escritura en su forma primera esta duplicado y amplificado en su transmisión por el teatro, que recobra entonces su función antigua de purgación de las pasiones.

 

De una escritura polifónica a una encarnación plural

El destino escénico del texto que Carlos Celdrán concibe a partir de su diario lo invita también, más allá de la dirección de la palabra, a cristalizar el carácter polifónico de su escritura. Porque la reconstitución de su pasado no puede ser desvinculada de la historia de sus padres, el autor llega a hacer de ellos dos personajes. Esta elección lo conduce a mezclar sus propios recuerdos con los de su padre o su madre. Hasta el punto que delega así en esta última la tarea de contar la degradación progresiva de la relación entre ambos, desde su encuentro hasta la separación. De igual forma, devuelve al padre el relato de su decisión de salir del país, y la espera del permiso, frente a los mecanismos complejos de las regulaciones migratorias. Estas escenas, aunque se apoyan sobre su experiencia de vida, solicitan en parte de su imaginación. La escritura sobre sí mismo se enriquece entonces de una parte de ficción, que sola parece capaz de hallar la voz de su madre, o de reconstituir la experiencia de su padre. En este caso, importa menos lo que en realidad dijeron o pensaron –la verdad de lo que pasó–, que lo que el niño cree que han dicho o lo que el adulto piensa que han pensado, en retrospectiva.

La perspectiva subjetiva de esas escenas no se disuelve en esta difracción de la escritura entre varios personajes. Queda de hecho sensible, por la presencia discreta pero casi continua del personaje del Autor. Cuando no está empleado para interpretar tal o cual rol menor, no deja de destacar el gesto de escritura que precede y centra al espectáculo. Es así que a él mismo –en tanto personaje que asume al Autor desde el presente– le toca el papel de consignar con cuidado el título de los capítulos sobre la pared del fondo de la escena, con una tiza. Estas indicaciones pautan el ritmo del relato de su vida y ponen en relieve la construcción de la obra y el esfuerzo de puesta en orden al cual el autor sometió su memoria.

Invocando a los padres sobre la escena de su pasado, Carlos Celdrán se distancia un poco más de su propia biografía. El teatro lo invita a descentrar su punto de vista, a desmultiplicarlo, para acercarse mejor a la verdad de su historia familiar, plural y contradictora. Además, la toma de partido que significa dar una importancia igual a su padre y a su madre lo descarga de tomar el papel de árbitro, lo libera de asumir el riesgo de juzgar y desempatar a sus padres, en el enfrentamiento que los opone y que lo coloca entre ambos. En este sentido, la polifonía que escoge no es solamente factual. Se carga también de un sentido bajtiniano:[3] devolviéndole una voz llena, autónoma, marcada por  la acción de reconstituir a cada uno la lógica propia; elude la posibilidad de un punto de vista global y dominante, la facilidad de dar un sentido único a lo que se resiste a la explicación univoca. La pluralidad de las voces ubica su historia a nivel humano, y Carlos Celdrán se estrena a través de ella en asir la complejidad de su pasado.

La polifonía a la cual invita el teatro conduce también, a la única escala del autor, a formalizar su relación consigo mismo y lo que fue. Fundándose sobre la escisión temporal que separa al adulto que escribe del joven sobre el cual se inclina y al que intenta comprender, distingue dos personajes. Esta disociación toma nota del carácter difractado del yo que se desahoga en el diario, no homogéneo, límpido, uno, pero profundamente trabajado por la alteridad.[4] De modo sintomático, Carlos Celdrán no se refiere a quien fue por medio del pronombre “Yo”, sino por el pronombre “Él”, que hace del sujeto un objeto y que lo invita así a distanciarse del que fue, a considerar a aquel como un personaje con pleno derecho. Este desvío aparece como el único medio para pensar las elecciones y las actitudes que, vistas con perspectiva, parecen incomprensibles. La disociación permite al adulto plantearse preguntas hasta el momento reprimidas, como la de saber por qué el niño no pretendió estar enfermo el día que estuvo forzado a desfilar frente a la Embajada de Perú para denunciar la supuesta traición de los que –como su padre– la ocupaban para exigir un permiso que les permitiera salir de la isla.

La repartición entre varias instancias narrativas del relato, del diario hasta el texto destinado a la escena, conduce, una vez en el escenario, a desmultiplicar los niveles de enunciación y de presencia. Carlos Celdrán explota todos los matices posibles de un juego que abre la coexistencia de dos modalidades diferentes sobre la escena: contar y actuar.[5] A los diálogos y monólogos de factura clásica, se suman otras capas del texto, estrechamente articuladas: los actores actúan una escena; cuentan otra; o cuentan el personaje que interpretan; o cuentan otro personaje al mismo tiempo que es actuado por otro actor. Por ejemplo, para evocar los recuerdos felices de la secundaria, Daniel Romero, que interpreta al joven Carlos Celdrán, “Él”, cuenta la alegría de sus descubrimientos literarios y amorosos al mismo tiempo que la actúa. La encarnación, más allá del relato, ofrece la imagen de esta alegría revivida en el presente de la representación teatral. En la dirección de los actores encargados de personificar a su padre o a él mismo, en dos edades diferentes de su vida, Carlos Celdrán extiende así su campo de exploración, y la autoficción teatral hace de la escena un espacio de reviviscencia.

 

Más allá de las palabras, trasformar la escena en espacio de memoria viva

De la escritura al teatro, la memoria puesta en juego por Carlos Celdrán encuentra medios decuplicados, más allá de las palabras. En vez de ser actor de su propia historia, se hace director de ella, pudiendo así, con posibilidades de retroceso, ajustar cada detalle y hacer del escenario el espacio de despliegue de su pasado. Además de las voces, y de su aplicación plural que evocamos, Carlos Celdrán convoca todas las posibilidades del teatro. Luces, sonidos y gestos sirven a la reconstitución de un recuerdo a la vez preciso e impalpable, o de una emoción, aún más difícil de fijar. Algunos sonidos, realistas, soportan así la evocación de una escena bien particular. Otros, bajo la forma de notas, como los matices de luces, colorean y amplifican los sentimientos expresados por el texto. Es también la función de algunos gestos, no puramente realistas. Los puñetazos que lanza en el vacío Daniel Romero cuando cuenta las sesiones de entrenamiento de boxeo a las cuales el niño estaba sometido por los médicos, quienes intentaban hacer surgir su virilidad, dicen de los combates que hizo tanto como de la violencia física y simbólica ejercida por esta terapia, y de la cólera que suscita todavía en el adulto.

Carlos Celdrán atrae también la mirada, en su puesta en escena minimalista, sobre algunos gestos que se perciben cargados de memoria. Podemos citar el de Caleb Casas, que interpreta al padre, cuando acaricia la cabeza de su hijo. Su manera de peinarlo, o mejor, de despeinarlo, expresa una gran ternura que permite a Carlos Celdrán ser fiel a la palabra púdica de su padre.

Esos pocos medios escénicos no están movilizados a fin de representar tal o cual recuerdo. Toda forma de ilusión siempre está siendo eludida de inmediato –ya sea por la presencia del actor desde la entrada del público en la sala, por la simplicidad del dispositivo escenográfico, o por las comunicaciones recurrentes al público–, no es necesario fingir el paso del tiempo, o esconder los cambios de uniformes que marcan la escolaridad del niño, o mimar uno u otro espacio. Para eso, la palabra domina y se encarga de acudir al imaginario de los espectadores. Los pocos elementos concretos de la puesta en escena tienen otra función. Sirven de puntos de referencia en el flujo no lineal de la memoria –como esas frases incesantemente repetidas por la madre al chofer que lleva al niño a ver a su padre, cada verano, que quedaron grabadas y que vuelven a aparecer como un estribillo punzante–.

Frente a un modelo de escritura que reivindica su libertad total –no cronológica, sino ordenada según una serie de fechas y de lugares relevantes–, la escena tiene que ceñir la flexibilidad de la memoria, someterse a sus saltos, sus asociaciones, sus tanteos, o sus intuiciones impalpables, para serle fiel. Si el gesto de indicar el título del capítulo por venir está repetido, no se vuelve por eso un sistema, y los subtítulos –“Sueño”, “Viaje”, “Encuentros”, “Terapias”, “Álbum”, “Política”, “El último verano”, “Masa y Poder”, “Epilogo, La Habana 2012”–, dispuestos sin orden aparente sobre la pared-pizarra, al final están caracterizados por su irregularidad. En lugar de imponer su realismo, su peso, el escenario se esfuerza por tomar la forma de una escena mental.

Cualquier estructura predeterminada pareciera demasiado fija para acercarse a la amplitud de una vida, a la riqueza de una trayectoria múltiplemente determinada; en vez de encontrar un procedimiento, Carlos Celdrán hace coexistir varios. Concibe así su propio dispositivo, hibrido, que guarda la huella del diario y que tiende a la escena. Este entre-dos genérico,[6] que ofrece infinitos matices para reconstituir cada recuerdo, parece solo poder expresar la singularidad de su historia, caracterizada por el entre-dos –entre su padre y su madre, entre Cuba y Miami, y entre el pasado y el presente–.

 

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[1] Carlos Celdrán cuenta el origen de su texto en una entrevista. Ver Omar Valiño: “No puedo volver al que era porque tengo otro público”, Tablas, v. CIX, nn. 3-4, 2016, pp. 33-38.

[2] Ver Philippe Lejeune: El Pacto autobiográfico, Megazul-Endymion, 1994.

[3] Cf. Mijaíl Bajtín: Problemas de la poética de Dostoievski, , Fondo de Cultura Economica USA, 2012.

[4] Sobre este tema, cf. Sergio Blanco: “La autoficción: una ingeniería del yo”, Conjunto n. 177, oct.-dic. 2015, pp. 34-42.

[5] Esas dos modalidades de juego aparecen en la puesta en forma del texto. De hecho, con el uso gráfico de las itálicas, Carlos Celdrán distingue los fragmentos de frases pronunciadas por sus padres o por él mismo en otro tiempo, de los comentarios que hace a posteriori en voces de sus diferentes personajes. Ese matiz tipográfico destaca la materia verbal a partir de la cual investiga sobre su historia y la coexistencia de dos temporalidades en su escritura.

[6] Quizás el entre-dos genérico es consustancial a esas historias. Se puede pensar también en la película de Laurent Cantet, Regreso a Itaca (2016), que recuerda a una obra de teatro.

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