« Les Frères Karamazov » de Sylvain Creuzevault au Théâtre de l’Odéon – l’allégresse de Dostoïevski sur scène
Tandis que Guy Cassiers présente en ce moment son adaptation des Démons avec la troupe de la Comédie-Française, Sylvain Creuzevault adapte Les Frères Karamazov, un an après la date de sa programmation initiale. L’automne théâtral 2021 aura donc été dostoïevskien, alors que s’achève l’année du bicentenaire de la naissance de l’auteur. Le metteur en scène flamand et le français, tous deux grands adaptateurs de romans à la scène, ont cependant opté pour des principes très différents pour se mesurer à ces œuvres. La première chose qui distingue leurs démarches est même avant cela que c’est sur invitation que Cassiers en est enfin venu à s’intéresser à Dostoïevski, alors que Creuzevault poursuit avec ce spectacle un compagnonnage initié en 2018 avec Les Démons, et poursuivi en 2019 par L’Adolescent et en 2020 par Le Grand Inquisiteur. Comme l’Allemand Frank Castorf, le metteur en scène français revient de manière obsessionnelle à Dostoïevski, mais il se déplace avec lui, d’une œuvre à l’autre – à moins que ce soient les confinements et couvre-feux successifs qui aient fait mûrir son spectacle, qui lui aient donné un air beaucoup plus sage que son Grand Inquisiteur, aussi foutraque que pointu philosophiquement (et dans cette mesure peut-être un peu plus dostoïevskien). Toujours est-il que Creuzevault atteint ici un point d’équilibre extraordinaire entre une lisibilité alliée à une immédiateté théâtrale séduisantes, et une densité, une profondeur, une exigence intellectuelle, une finesse de lecture proprement jubilatoires.Autofiction théâtrale : de l’écriture au plateau, enquêtes sur le passé dans « 10 millones » de Carlos Celdrán
Article paru dans le n°185 de la revue de théâtre latino-américain Conjunto, dans le dossier "Document, témoignage, autoréférence"
« Je ne suis pas l’auteur. Je n’ai pas écrit ce texte. Je le dis en son nom. Au nom de l’auteur. De celui qui a écrit les mots que je dis en ce moment. Ceux-là ». Telles sont les premières phrases du personnage désigné comme “L’Auteur”, dans l’oeuvre de Carlos Celdrán, 10 millones. D’entrée de jeu, un hiatus surgit entre le comédien et le rôle qu’il interprète, qui invoque en outre la figure de l’auteur du texte qu’il prononce. Une béance qui met en valeur la question de l’écriture et la place au cœur du spectacle.