Autant le dire toute de suite, la dernière création de Christophe Honoré, Nouveau Roman, n’est pas ce qu’on appelle communément du théâtre. Certes, il y a des comédiens sur la scène de la cour du Lycée Saint-Joseph, mais ce à quoi l’on assiste relève plus du genre de la conférence. Une fois ceci compris et accepté, on peut apprécier sa soirée.
Celle-ci commence avec une introduction du frère de Christophe Honoré, Julien, comédien et porte-parole du metteur en scène. En guise de mise en condition, nous est ainsi relatée la découverte transcendante de l’œuvre de Marguerite Duras par le jeune Christophe. Et puisque qu’il ne s’agit pas de théâtre, Julien Honoré en profite pour présenter les acteurs et les auteurs qu’ils vont incarner d’une minute à l’autre.
Se retrouvent donc sur scène les grandes figures de ce mouvement d’après-guerre : Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Claude Simon, Robert Pinget, Claude Mauriac, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et sa femme Catherine, et Jérôme Lindon, figure de proue des Editions de Minuit qui publient tout ce petit monde. En arrière-plan, se trouvent également Beckett, l’inincarnable, et Roland Barthes.
Ensemble, ils débattent des fondements du Nouveau Roman par rapport à la tradition littéraire, condamnent au bûcher leurs prédécesseurs et redéfinissent les termes de personnage, d’intrigue ou de chose lors de leurs séances de « Dictionnaire » ou « Vocabulaire ». Au-delà de la littérature, sont également explorées leurs vies intimes et en particulier le souvenir de la guerre, qui pèse différemment sur chacun d’entre eux.
Tout ce groupe évolue dans un décor années 60’. L’immense plateau à la moquette bien démodée est parsemé de meubles aux angles arrondis, qui forment différents espaces comme un bureau, une tribune ou des tables de travail. On y trouve aussi de nombreux micros, qui aident les comédiens à se faire entendre, et des écrans de taille moyenne qui diffusent témoignages et commentaires sur l’époque.
Le spectacle se nourrit en effet essentiellement des essais, articles et interviews radiophoniques et télévisuelles de ces figures dont le retentissement critique a été important. Finalement, on retrouve peu d’extraits de leurs œuvres écrites ou cinématographiques, et c’est davantage leurs personnalités et la vie de groupe de ce mouvement, avec ce que cela implique de désaccords et de rivalités, qui dominent l’ensemble.
Certaines figures se distinguent particulièrement du lot, du fait de leur égocentrisme imposant : Duras, évidemment, se fait entendre, mais aussi Robbe-Grillet, la conscience unificatrice du mouvement. Si les comédiens se jouent de ces facettes et invitent à en rire, ils ont également la prétention de pouvoir répondre à toutes les questions du public avignonnais, lors d’une séance peu interactive de dialogue avec les spectateurs.
Cet épisode révèle que le public est indispensable dans cette création, qu’il faudrait davantage appeler rencontre, conférence voire cours. C’est à lui que s’adressent les comédiens, comme à une foule d’étudiants en Sorbonne, et ce n’est pas sans ironie que le spectacle se déroule dans la cour d’un lycée.
Des épisodes de ce type apparaissent comme obsolètes et rallongent inutilement le spectacle, qui aurait pu durer deux heures de plus ou de moins selon l’humeur de Christophe Honoré. Il va même jusqu’à nous mettre sous le nez une insolente horloge lumineuse à partir d’une heure du matin, qui vient nous donner pleinement conscience du temps qui s’écoule lors de la dernière demi-heure du spectacle.
Ce qui transpire néanmoins au cours de cette soirée est le plaisir évident que partagent les comédiens à s’investir dans cette aventure inqualifiable. Tous extrêmement talentueux, parmi lesquels Anaïs Demoustier et Mélodie Richard qui irradie la scène, ils nous aident à passer l’épreuve et nous font finalement passer un agréable moment.
Plus d’un festivalier, en quête de théâtre, de corps et d’interaction sera certainement déçu de sa soirée, mais les plus disposés à partager l’expérience très personnelle du metteur en scène se réjouiront d’assister au spectacle de la vie de ce groupe qui reste uni malgré les tumultes. Cet OVNI littéraire dans le paysage contemporain est en fin de compte un bel hommage au mouvement à défaut d’être un grand moment de théâtre.
F.
Pour en savoir plus sur « Nouveau Roman », rendez-vous sur le site du Festival d’Avignon.
C’est une vraie question que tu poses au début : théâtre, pas théâtre…
Est-ce une question de seuil ou de limite (est-ce que d’emblée ce n’est pas du théâtre, ou est-ce que ça le devient ? est-ce que ça cesse de l’être ?)
Est-ce que le théâtre une forme a priori dont le spectateur reconnaît la forme et décide ou non d’en attribuer le nom à ce qu’il voit — ou est-ce un usage, parfois établi et travaillé contre le théâtre même, par un auteur qui lui-même décide de ce qui et qu’il est (ou n’est pas) ?
(souvenir dans le métro, d’un scène de ménage ultra-violente, très forte, et au bout de cinq minutes, le garçon et la fille cessent brutalement, et se retournent sur les gens pour se présenter comme acteurs… – tu dois voir de telles scènes à Avignon, j’imagine, pour alpaguer… du coup : le théâtre est théâtre seulement au terme de la représentation, et on ne le savait pas… le théâtre n’est qu’un moment dans la représentation ? ou l’inverse ?)
Pour revenir à Honoré (dont je n’ai pas vu le spectacle, évidemment – mais qui est présenté comme un spectacle, puisqu’il est à Avignon, et non en Sorbonne — le théâtre est aussi une convention qui appartient à son espace de (re)présentation), je ne sais pas si c’est un moment de théâtre, ni si c’est du théâtre, mais alors je ne sais pas ce qu’est le théâtre, en fait, ni ce qu’il doit être – en dehors de ce qu’il est (par pur décision ?).
Dès lors, une mauvaise pièce serait plus du théâtre qu’une grande performance ? Toutes les pièces de la Comédie française sont-elles du théâtre ? Et l’intervention d’un prof magistrale qui rejoue telle scène de Marivaux en cours de Philo (véridique !), est-ce que ce n’est pas du théâtre ?
D’ailleurs, tu te prends à ton propre piège, si je puis dire, en parlant à la fin de « comédienne » – et non de conférencière… j’imagine qu’elles ont un texte à apprendre, j’imagine, donc, et cela à tes propos, qu’il y a une « interprétation », une composition, un jeu… (du théâtre…)
Et l’impression aurait été différente si on avait eu en face Duras, Beckett, Sarraute – là, on rejoue des paroles : est-ce qu’il n’y a pas donc, dans le différé, un jeu avec le code, et le théâtre comme dénonciation de son illusion, mais jeu contre lui : et théâtre de ce jeu ?
Bien sûr, il n’y a pas d’intrigue ni d’illusion de représentation, mais le théâtre n’est-il pas là précisément quand il déjoue les propres formes héritées ?
Je n’ai pas vu la pièce (?) de Honoré, et ne comptais pas trop la voir à vrai dire, mais tout cela donne vraiment envie d’y aller, en fait !
et d’en reparler !
profite bien de la fin de ton séjour à Avignon, et salue les cigales pour moi (pour nous, pauvres parisiens sous la pluie !)
a.