Pour cette saison à l’Odéon, Olivier Py s’attaque à la pièce la plus connue et peut-être la moins jouée de Shakespeare, Roméo et Juliette. En indiquant sans grande modestie « Création » sur l’affiche du spectacle, Py annonce qu’il a posé son empreinte sur ce texte mythique, depuis sa traduction jusqu’à sa mise en scène. On a là un produit 100% Py qui nécessite un effort de sélection pour l’apprécier.
Si l’on connaît par cœur la trame du mythe créé par Shakespeare, repris sous toutes les formes du cinéma à la bande dessinée, le texte d’origine mérite que l’on s’y replonge. On redécouvre le plaisir d’une langue protéiforme, l’intensité dramatique de la pièce et l’urgence qui précipite vers la mort, ainsi que des détails souvent mis de côté, tels que l’amante de Roméo avant sa rencontre avec Juliette, Rosaline.
Les traductions de Shakespeare restent encore aujourd’hui problématiques et nombreux sont ceux qui s’y sont essayé. Olivier Py en fait désormais partie et il sera retenu au rang des traducteurs modernistes. Dès qu’il peut, il introduit des expressions contemporaines – et pas les plus élégantes – dont on suppose qu’elles sont censées donner un souffle nouveau au texte, qui ne souffre pourtant pas le moins du monde du temps qui passe.
Le metteur en scène, connu pour ses travaux sans demi-mesures, est fidèle à lui-même, repoussant les limites et exprimant sans ambiguïté ce qui est sous-entendu dans le texte. Les spectateurs qui s’attendaient à du Shakespeare en bonne et due forme vont jusqu’à siffler les scènes de relations homosexuelles entre Roméo, Mercutio et Benvolio. On est complètement partagés entre la dimension farcesque qu’a voulu transmettre Py avec nos codes du XXIe et l’air outré de celui qui quitte son siège sans grande discrétion.
C’est là un échantillon de l’effet que produit Py sur ses spectateurs. Il réussit à créer de magnifiques moments, notamment avec une très belle scénographie pendant le bal qui va rassembler les deux héros, et nous renvoie à nous-mêmes et à notre quotidien par des paroles ou des gestes vulgaires dont on se passerait sans problèmes. Il faut donc faire son choix et goûter le meilleur, ce qui n’est pas une mince affaire.
On s’adonnera donc sans concession au jeu d’un Roméo touchant, presque désarticulé à force d’exprimer corporellement tout ce qui l’habite. On saluera une mise en scène toute en verticalité et en mouvement qui étonne la perception et la rend dynamique, grâce à des praticables manipulés avec souplesse. On se laissera bercer avec des dessins à la craie, extrêmement poétiques, et par les éphémères dont Py est friand – comme les confettis de la fête qui deviennent fleurs funèbres. Enfin, on retiendra les assimilations de personnages joués par un même acteur pour le sens que cela ouvre.
En revanche, on laissera de côté le piano, qui circule lui aussi sur la scène et constitue l’unique effet sonore, pour ses airs de mauvaise comédie musicale. On mettra aussi de côté le palmier dont on ne réussit pas à percer le sens et les allers-venus dans le parterre qui rappellent que les comédiens courent partout et dans tous les sens au point de rendre étroite une scène pourtant conséquente.
Un regret, qui n’est pas mineur, tient au jeu de Juliette qui manque de progression. Sa maturité est trop vite trop grande pour une jeune vierge de 14 ans qui n’est jamais sortie de chez elle ou presque. Heureusement, son jeu trouve toute son ampleur dans la seconde partie. Après l’entracte, les lumières de la salle restées à demi-allumées s’éteignent pour de bon et indiquent le tour tragique que prend la pièce.
A partir de là, il est plus difficile pour Py de poser sa marque sur le texte. C’est pour le mieux car l’émotion peut enfin prendre son envol et rester intacte. Ainsi la mort de Roméo, dans le tombeau des Capulet où repose Juliette, encore sous l’effet du somnifère, est saisissante. La grande gélatine rouge qui a coloré le bal redescend, nouant leur rencontre et leur fin, et teintant de sang l’amour interdit. Les corps de Tybalt et de Paris qui gisent juste à côté ôtent leur intimité aux amants jusque dans la mort et rappelle une nouvelle fois l’omniprésence de la société qui condamne cet amour.
Le spectacle nécessite donc d’être repensé et questionné avec le recul. Une fois la part des choses faite entre ce qui est bon et ce qui n’est pas à garder, ne reste que l’émotion intouchée d’un texte puissant, qui laisse chaque fois croire que Frère Laurent aura le temps de prévenir Roméo et que les amants révèleront leur mariage au grand jour et recevront la bénédiction de leurs deux familles.
F. pour Inferno
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