« Andromaque » de Stéphane Braunschweig à l’Odéon – sinistre reflet du désordre extrême de notre époque
Après Jours de joie d’Arne Lygre en 2022, Comme tu me veux de Luigi Pirandello en 2021 et Iphigénie de Racine en 2020, Stéphane Braunschweig revient à ce dernier et à la guerre de Troie avec Andromaque. Ce n’est que le troisième texte de Racine que le metteur en scène monte depuis Britannicus en 2016, alors que son identité artistique est fortement constituée par la mise en scène des classiques, qu’il fait partie des rares artistes, dans le paysage actuel, qui s’y mesurent sans les adapter ou les confronter à d’autres textes. Avec l’équipe qui lui est fidèle, il propose donc le texte de Racine seul et intégral, dans une scénographie sur laquelle repose, comme à son habitude, une grande partie de sa dramaturgie. Sans en avoir l’air, Braunschweig produit cependant un effet de relecture profond de la pièce de Racine, qui n’apparaît plus comme une tragédie classique qui puise dans un matériau épique antique pour démontrer à partir de lui les lois implacables de la fatalité, mais comme un reflet sinistre – au sens racinien du terme – de notre époque et de nos passions destructrices.« Phèdre » de Brigitte Jaques-Wajeman aux Abbesses – que faire de nos classiques aujourd’hui ?
Après avoir monté toutes les pièces de Corneille ou presque, Brigitte Jaques-Wajeman aborde désormais celles de Racine. Assurée par ses précédents spectacles, elle se confronte d’emblée à ses tragédies les plus célèbres : Britannicus, il y a quinze ans, et Phèdre désormais. Pour cette dernière création, la metteure en scène travaille encore et toujours avec la compagnie Pandora, qu’elle a créée en 1976 avec François Regnault. Pendant quatre décennies, les déviations ont été rares de Corneille à Racine, avec quelques incursions du côté de Molière, une pièce de Claudel (Partage de midi) ou une autre d’Hugo (Ruy Blas). Même lorsque la compagnie s’est aventurée du côté des écritures contemporaines, elle choisissait des réécritures, de Sophocle par exemple (Tendre et cruel, Martin Crimp). Une telle persistance à monter un répertoire classique, dans l’indifférence de toutes les évolutions plus ou moins heureuses qu’a connu le théâtre depuis les années 1980, invite à se demander ce qu’il est possible de faire des tragédies du XVIIe siècle sur nos scènes actuelles.« Bajazet, en considérant le Théâtre et la peste » de Castorf à la MC93 – parcelles brillantes d’humanité au coeur du chaos
Alors que le corpus qu’il avait constitué au fil des ans le tenait à distance de la littérature française, l’Allemand Frank Castorf s’intéresse à Racine en cette fin d’année, après le Don Juan de Molière en 2018. Parmi ses pièces, il choisit Bazajet, tragédie de l’amour et du pouvoir, mais surtout tragédie de l’Orient, du sérail, des sultans et des esclaves. Contrairement à ses habitudes, Castorf précise néanmoins le titre de son spectacle : Bazajet, en considérant le Théâtre et la peste. Il annonce ainsi d’emblée lire Racine à la lumière d’Artaud – ou l’inverse. L’indication annonce également de manière plus implicite que le metteur en scène fait preuve dans ce spectacle d’une conscience aigüe de son art, qui le rend pleinement maître de ses moyens.« Iphigénie » de Chloé Dabert au T2G – les vers de Racine, tout simplement
Le spectacle de Chloé Dabert, Iphigénie, présenté à Avignon l’été passé, est repris en ce début d’année au T2G et au 104. La simplicité de l’énoncé intrigue : est promise une mise en scène d’une tragédie classique, pas même « d’après » Racine, mais bien simplement « de » Racine. La formulation n’est pas trompeuse, car aucun parti-pris spectaculaire ne vient détourner de l’œuvre elle-même. Chacun de ses vers se retrouvent, dans une mise en scène aux accents certes contemporains mais qui n’a d’autre ambition que de mettre en valeur le texte. Ce qui a longtemps dominé le théâtre, qui lui a même servi de définition – la mise en scène d’une œuvre classique avec une perspective moderne – fait figure d’exception dans les programmations de ces dernières années. Le spectacle de Chloé Dabert ne promet donc « que » la redécouverte de l’œuvre de Racine à notre époque – et c’est finalement déjà pas mal.« Le Neveu de Rameau » de Diderot mis en scène par Jean-Pierre Rumeau
Se peut-il ? Diderot aurait trouvé quelqu’un à la verve encore plus vive que la sienne ? Un paradoxe vivant comme il se plaît à en dépeindre dans tous ses écrits ? Oui, et cet énergumène n’est autre que le neveu de Rameau, du Rameau.…