Après plusieurs créations en grande majorité fondées sur des œuvres du XVIIe siècle, le Théâtre du Kronope s’empare cette fois du fameux Dindon de Georges Feydeau. Sur la scène sont donc confrontés deux genres comiques qui n’ont a priori rien à voir : le théâtre de boulevard et la Commedia dell’arte. Une telle alliance suppose deux fois plus de rire – telle est du moins la promesse. Néanmoins, le mélange ne prend pas vraiment, et le résultat manque cruellement de finesse.
La compagnie se passe de justification quant au parti-pris qui est le sien. Adepte de la Commedia dell’arte, elle en emprunte tout simplement certains traits caractéristiques et les réinvestit dans le théâtre de Feydeau. L’art de ce dernier pour les comiques de situation, de répétition, de langage – incarnés par l’Anglaise à l’accent redoutable et la vieille dure d’oreille – se voit doublé de masques, de jeux de mime, de gestuelles et d’attitudes grotesques propres au théâtre populaire italien du XVIe siècle. Les codes sont donc démultipliés et le résultat d’un tel alliage est un constant surjeu dont le seul objectif est de faire rire, par tous les moyens possibles.
Cette esthétique mixte prend place dans une scénographie neutre, qui prend ses distances avec le boulevard. Le salon des Vatelin, la chambre de l’hôtel Ultimus et celle d’Ernest Redillon dans lesquels se nouent toutes les histoires de cocuages que Feydeau s’amuse à emmêler sont simplement suggérés par l’évolution permanente de quatre boîtes identiques, dotées de portes sur deux côtés. Le jeu de l’amant caché dans le placard, de l’inopportun brutalement renvoyé, de la porte claquée au nez ou soudainement ouverte sur quelqu’un sont ainsi largement mis à l’honneur. Ces cabines montées sur roues sont également des lieux de passage et de métamorphose qui permettent de multiples variations, même si le procédé est un peu répétitif à la longue.
Les comédiens donnent beaucoup d’eux-mêmes et assurent tous les rôles à cinq seulement, avec beaucoup de fluidité. Mais plutôt que d’alléger ce théâtre extrêmement prévisible, ils tendent à l’alourdir encore. La bande-son est en partie responsable de cela : prétendument inquiétante, caractérisée de « diabolique », elle surajoute une troisième ambiance à l’ensemble, qui semble trahir une peur du vide et du silence.
Certains rient aux éclats en continu pendant une bonne heure et demie, tandis que d’autres ne sourient qu’à de rares occasions, lorsque liberté est prise et que se manifeste un peu de fantaisie. Les amoureux de Feydeau seront comblés, tandis que les aficionados de la Commedia regretteront de la voir ainsi réduite à quelques ressorts seulement, et de ce fait appauvrie.
F. pour Le Bruit du Off
Pour en savoir plus sur ce spectacle, rendez-vous sur le site du Off d’Avignon.