« Le Père Tralalère » de Sylvain Creuzevault à la Colline

C’est obscène : à la fois au-delà de la scène et cru. Ça commence avec un repas de mariage, où un tas de banalités sont dites et échangées, et ça finit dans un bain de sang. Entre temps, se sont déroulés plusieurs repas, et les échanges ont progressivement été minés de l’intérieur. Dans cette évolution, les personnages changent, vieillissent et le voile de l’hypocrisie se lève.

On entre dans le « petit théâtre » de la Colline, qui est en effet une petite salle, où les gradins sont placés de part et d’autres d’une grande tablée. Le couvert y est mis, l’entrée servie, il ne reste plus qu’à ouvrir le vin. Entrent huit personnages, puis un, qui arrive en retard, qui viennent fêter une noce, en famille et avec quelques amis.

Nous voilà  alors placés dans une situation de voyeurisme, grâce à laquelle on entend les commentaires les plus banals sur le paysage, la nourriture, la noce, etc. On rit de se voir si bien représentés, avec autant de réalisme et de simplicité. La parole circule librement, on capte ce qui est près de nous et tant pis pour le reste.

Avec les discours des uns et des autres, ça commence un peu à dégénérer. Une reprise de pirouette cacahuète, une fable de La Fontaine qui est en fait de Madame de Scudéry, un poème… Et tout à coup une scène d’amour bestiale sur la table, au milieu des conversations, sans que les autres ne la voient.

À partir de là, la table devient une scène à proprement dit. On y glisse, on y grimpe, on s’y allonge. Le ton monte, jusqu’à son paroxysme, avant que la parole ne soit à l’article de la mort. Il n’y a plus rien à dire, c’est en apparence plus creux qu’au début, mais c’est pesant.

LePereTralalèreDernier sursaut avant le silence final, le paternel s’égosille jusqu’à la mort, tenant un discours plutôt confus, touchant notamment au théâtre.

Comment en est-on arrivés là ? Du rire jovial au rire jaune, de la maladresse à la grosse bourde, de la vexation à la colère, les langues et les gestes sont déliés. Plus aucune mesure, les verres s’écrasent par terre, les chaises valsent, le sang gicle, et ce à quelques mètres seulement des spectateurs.

Rien ne laissait présager un tel drame, surtout quand on sait que l’origine de la pièce est une suite d’improvisations. Mais la crudité n’est pas là tant pour choquer que pour soulever des questions centrales, concernant aussi bien la vie quotidienne que le théâtre.

C’est dynamique, violent, inattendu, et l’impression mitigée tend à devenir positive.

F.

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